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Face à la précarisation des jeunes par la crise sanitaire, la mise en place d’un revenu minimum garanti dès 18 ans fait débat. Une solution pourtant intéressante face à ce que certains qualifient de « refus de citoyenneté ».
La France est l’un des derniers pays d’Europe à considérer les jeunes majeurs civilement à 18 ans, mais mineurs socialement et comme ayant droit de leurs parents jusqu’à 25 ans. Avec la crise sanitaire, économique et sociale, l’ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans a refait surface dans le débat public. Près de deux tiers des Français y sont favorables1, et de plus en plus d’organisations de la société civile portent cette revendication.
La jeunesse constitue en effet un angle mort de l’« État-providence » en France, du fait de la forte « familialisation » de l’action publique. Ainsi, la logique de notre système de protection sociale veut que les aides aux jeunes passent par les familles : allocations familiales jusqu’à 20 ans, quotient familial, demi-part fiscale… Il en est de même pour les aides aux étudiants. Les bourses dépendent du revenu des parents. Elles n’ont pas pour fonction d’émanciper les étudiants en leur permettant de vivre, mais d’aider les parents à prendre en charge leurs « grands enfants » toujours scolarisés.
Ce système reproduit les inégalités sociales et affecte fortement les jeunes qui ne peuvent plus bénéficier de ces solidarités, parce qu’issus d’un milieu pauvre ou en rupture familiale. Pour Tom Chevalier, chercheur à Sciences Po Paris, cela débouche sur une « citoyenneté refusée ».
La crise économique et sociale que nous traversons a mis un coup d’arrêt à l’économie de la débrouille dont beaucoup vivaient. Elle va impacter durablement la jeunesse. Il ne s’agit pas de « donner la becquée », comme ont pu le dire certains responsables politiques. Les associations de lutte contre la pauvreté le martèlent, les études d’Esther Duflo, prix Nobel d’économie, le démontrent : les minima sociaux encouragent et facilitent la reprise d’activité.
Il faut un véritable « Big Bang » structurel des politiques de jeunesse.
L’urgence est telle que certaines collectivités locales, comme la métropole de Lyon, ont décidé de pallier les carences de l’État en créant un revenu de solidarité jeunesse. Au niveau national, le gouvernement a répondu à la crise avec le plan « 1 jeune, 1 emploi », doté de plusieurs milliards d’euros, pour « accompagner, former et faciliter l’entrée dans la vie professionnelle de tous les jeunes ». Si ces mesures ont permis en partie d’atténuer les effets de la crise, elles restent conjoncturelles. Or il faut un véritable « Big Bang » structurel des politiques de jeunesse, loin des débats caricaturaux.
Aujourd’hui, la « garantie jeunes », qui est un accompagnement vers l’emploi, est insuffisante face à la situation. Premièrement, il s’agit d’un dispositif, et non d’un droit, comme le RSA. Le nombre de jeunes concernés chaque année dépend du budget alloué par l’État. La mesure subit les « stop and go » de chaque loi de finances. De plus, elle est limitée à un an. Or, avec une aide à durée déterminée, vous n’êtes pas solvable pour un bailleur social ou un propriétaire privé. Il n’est déjà pas facile de trouver un logement avec le RSA ; avec la « garantie jeunes », c’est impossible. Enfin, elle est destinée aux jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation. Aujourd’hui, les travailleurs pauvres, beaucoup de livreurs à vélo par exemple, ne peuvent y avoir accès.
Quel que soit le nom du dispositif, l’objectif doit être de sécuriser durablement les parcours d’insertion sociale et professionnelle des jeunes, qu’ils soient très éloignés de l’emploi ou jeunes diplômés, en garantissant un droit qui tient sur trois piliers : un revenu minimum garanti, un accompagnement adapté et progressif en fonction des capacités du jeune et le financement par l’État de cet accompagnement. La création de ce droit est fondamentale, tant pour assurer aux jeunes les plus précaires les moyens de leur insertion que pour garantir la pérennité de notre système de solidarité intergénérationnelle, puisque ces jeunes seront les contributeurs de demain.
1 Selon le baromètre annuel d’Apprentis d’Auteuil, mai 2021.