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L’écoute chevillée au cœur Le pouvoir d’agir des bénévoles

© SOS Amitié - Déclics et des Mots - 2012
© SOS Amitié - Déclics et des Mots - 2012

24 heures sur 24, les bénévoles de l’association SOS Amitié répondent aux appels et aux messages de ceux qui ont besoin d’être écoutés. Des règles claires, un accompagnement solide et des valeurs communes régissent l’engagement de ces oreilles discrètes et empathiques.


Pourquoi les 1 600 écoutants de SOS Amitié sont-ils bénévoles ?

SOS Amitié ne fait pas partie des services publics : il faudrait créer 155 emplois rémunérés pour remplacer SOS, sans avoir forcément la même qualité dans la relation. On ne voit pas comment un service privé lucratif serait financé, même si, dans une petite mesure, les psychologues, psychiatres et psychanalystes ont aussi une fonction d’écoutants. Mais le bénévolat a les couleurs du don et de la gratuité. Bien sûr, les écoutants de SOS trouvent dans leur activité de nombreuses satisfactions et salaires symboliques.
Le bénévolat est par définition sans rémunération, sans obligation, tourné vers les autres. Cela correspond entièrement au modèle de SOS Amitié. En lisant le merveilleux livre d’Émile Ajar, L’angoisse du roi Salomon, on comprend que la rencontre « humaine » en est le ressort essentiel. Il s’agit du care : du souci de l’autre, de la bienveillance et de la sollicitude. « Les valeurs sont à la vie morale ce que les racines sont à l’arbre », écrivait Paul Ricœur. Certains s’appuient sur des croyances religieuses, d’autres non. De toute manière, l’association est apolitique et areligieuse.

L’écoute est au cœur de ce « métier » bénévole…

Il existe trois manières de répondre aux appelants : le téléphone, la messagerie Internet et les tchats. Ces deux dernières font peu à peu leur chemin, tandis que le public appelant se fait plus jeune.

Ce sont de multiples appels à l’aide, des angoisses qui rencontrent une écoute : des récits de violences, des problèmes ayant trait à la solitude, la grande précarité, la sexualité…

Ce sont de multiples appels à l’aide, des angoisses qui rencontrent une écoute : des récits de violences, des problèmes ayant trait à la solitude, la grande précarité, la sexualité… Des histoires sordides, parfois. Derrière un appel anodin se cachent souvent de vrais cris de détresse. Les appelants cherchent sympathie, empathie, consolation, compréhension, amitié ; ils souhaitent qu’on les aide à trouver en eux-mêmes comment aller mieux, comment se sortir d’une situation difficile. Il arrive que des écoutants se lassent face à la répétition de perversions multiples, au poids de situations désespérées, aux appels de ceux qui recherchent un plaisir à composante sexuelle. Il est parfois difficile de rester « neutre » et patient quand l’appel est d’une longueur insoutenable. Certains peuvent douter de ce qu’ils font, faute d’en voir les résultats. Mais l’écoute, ils le reconnaissent, permet aussi des échanges humains uniques et exceptionnels. Quelques personnes les remercient et expriment leur reconnaissance.

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SOS Amitié est une association d’aide par l’écoute, fondée par Jean Casalis en 1961. Son objectif, premier mais non exclusif, est la prévention de suicides. Le cœur de métiet des bénévoles est d’assurer 200 000 heures d’écoute annuelles. L’association essaye de répondre aux appels qui lui arrivent 24h/24.
Plusieurs principes imprescriptibles : l’anonymat des appelants et des écoutants, l’usage de la méthode non directive de Carl Rogers (voir encadré ci-dessous), le fait de répondre depuis un poste et non au domicile des bénévoles, le tutorat des nouveaux bénévoles.

L’anonymat et la confidentialité sont aux fondements de SOS Amitié…

C’est une valeur essentielle pour les bénévoles. L’écoutant ne donne ni son nom, ni l’adresse du poste. Jusqu’à il y a quelques années, il ne parlait même pas de son activité à SOS à des proches, des collègues, des médias, ni même à des donateurs et à des mécènes ! L’appelant non plus ne révèle ni son nom, ni son numéro de téléphone et, sauf à ce qu’il le demande expressément et donne son consentement, on ne lui envoie pas de secours, fût-ce en cas de suicide. Indispensable pour instaurer une relation de confiance, l’obligation d’anonymat peut être rapprochée du secret professionnel du médecin ou du prêtre.

Mais, depuis quelques années, l’anonymat « social » est rompu pour parler de SOS aux médias et à des proches, avec l’enjeu d’une plus large information pour éveiller et renforcer le nombre des bénévoles. Un nouveau système de reroutage augmente le taux de réponses en délocalisant les appels. Auparavant (certes rarement), une personne appelant plusieurs fois pouvait repérer les plages horaires d’un écoutant de Paris ou d’Aix et tenter ainsi de créer une relation régulière. Le reroutage est une protection : il est difficile pour un bénévole de retrouver quelqu’un qu’il a déjà écouté.

L’écoute des bénévoles de SOS répond au manque d’intégration de personnes devenues vulnérables, faute de liens sociaux.

Écouter la détresse des gens, est-ce efficace ?

La disponibilité et l’écoute ne sont pas les qualités premières de notre société. Le temps donné est pourtant une vraie ressource pour des personnes vulnérables. À SOS Amitié, l’écoute est un moyen d’action. Les bénévoles ici soufflent un peu d’humanité pour qui le demande. Leur écoute répond aux dérèglements de la société et au manque d’intégration de personnes devenues vulnérables, faute de liens sociaux. SOS diffuse une culture de l’écoute. Pendant la période de confinement due au coronavirus que nous venons de traverser, l’urgence et la demande étaient telles que les écoutants ont dû passer leurs appels depuis leur domicile.

Quel recul prenez-vous sur les pratiques de l’association ?

En 2018, une étude a été lancée pour préparer des états généraux de l’écoute. Elle portait principalement sur les pratiques, sur les parcours des écoutants bénévoles, sur les structures et sur les publics spécifiques (prison, hôpitaux, services psychiatriques). Des questions ouvertes sur quatorze sujets ont été posées à tous les bénévoles. Il a fallu ainsi analyser plus de 750 questionnaires, sans perdre la richesse des longs témoignages. Les synthèses présentées ont montré l’attachement des bénévoles aux principes fondamentaux de l’association. Parmi les suggestions avancées, celles d’autoriser le tchat à domicile, de nouer des partenariats spécifiques, d’organiser des formations pour répondre aux changements de problématiques auxquels ils font face.

La méthode rogérienne (voir encadré ci-dessous) demeure, aux yeux des bénévoles, une spécificité de l’association. Cette écoute non directive est difficile à observer scrupuleusement et à enseigner aux nouveaux écoutants, qui doivent acquérir un « tour de main », mais elle ne semble pas soulever de réticences majeures. Cependant, certains pas de côté sont parfois suggérés. Des lassitudes de bénévoles ont pu, en effet, se manifester face aux cas lourds et aux urgences, en particulier à l’écoute d’une personne suicidaire, suicidante ou mettant en danger la vie d’autrui. Les appelants se divisent en plusieurs catégories : ceux qui sont seuls et recherchent un interlocuteur au cœur de leurs insomnies, ceux qui ont des problèmes lourds et cherchent, sinon à les résoudre, du moins à les confier, ceux qui sont proches du suicide. Dans l’ensemble, les écoutants considèrent que tout appel peut cacher une urgence et pratiquent ce que Carl Rogers appelait une écoute active.

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La méthode rogérienne
L’approche centrée sur la personne (ACP) est une méthode mise au point par le psychologue américain Carl Rogers dans les années 1940. Elle ne se focalise pas sur le problème (maladie, symptôme…), mais sur la personne. Elle a confiance dans le potentiel d’évolution et d’épanouissement de chacun.
Selon cette méthode, l’écoutant reformule, il est compréhensif et manifeste de l’empathie. Il respecte même le silence pendant les moments d’angoisse. Il n’impose rien, ne conseille ni n’interprète.

Qui sont les bénévoles ? Comment sont-ils accompagnés ?

Les écoutants sont majoritairement des femmes, des retraitées notamment. Leur niveau d’éducation est très au-dessus de la moyenne. 60 % ont des responsabilités, agissent et militent dans d’autres associations. Les bénévoles sont en charge de l’organisation, l’administration et la représentation de SOS Amitié. À eux de faire connaître l’association auprès d’appelants potentiels ou de professionnels. Ils sont chargés de renouveler le volant des bénévoles, de les sélectionner et de les former. Ils doivent trouver des fonds afin de couvrir toutes les dépenses. Si certains des postes sont mis à disposition par des municipalités ou des organismes publics, c’est loin d’être le cas général et les frais de location sont élevés.

Ceux qui se proposent comme bénévoles sont strictement sélectionnés et formés : une procédure lourde, mais indispensable. Car il s’agit d’acquérir les éléments de la méthode rogérienne et de se familiariser avec des principes intransigeants. Face à des règles strictes et des contraintes importantes, comme l’obligation de se rendre dans le poste, parfois éloigné, une partie des candidats peuvent renoncer. Mais c’est une manière de se couper de son environnement et de franchir un seuil symbolique. De nuit, certains bénévoles sont amenés à dormir sur place pendant que leurs camarades répondent… Ce sont là, bien sûr, des freins au recrutement des bénévoles. Ces règles protègent et fragilisent à la fois l’association.

Du fait de sa confidentialité, le bénévolat à SOS Amitié est mal connu et les bénévoles ont peu de reconnaissance.

Une fois par mois, les écoutants d’un même poste participent à des groupes de partage, animés par des psychologues. Ils échangent sur leurs expériences et font part de leurs questionnements. C’est un moment rare de socialisation : souvent les bénévoles ne font que se croiser lorsqu’ils partent ou arrivent pour les écoutes. Naturellement, des rencontres nationales et des réunions d’administration permettent de réunir des bénévoles, élus ou non, venant des diverses régions.

Le bénévolat à SOS Amitié, on le voit, est exceptionnel : du fait de sa confidentialité, il est mal connu et les bénévoles ont peu de reconnaissance. Malgré la rigidité des plannings et les écoutes de nuit, les bénévoles soutiennent les principes fondamentaux de SOS, témoignant de la force de leur engagement. La quantité d’appels reçus parle d’elle-même : l’écoute des bénévoles est tout aussi nécessaire qu’efficace.

Pour aller + loin

  • Dan Ferrand-Bechmann, L’écoute. Un cœur de métier bénévole, Chronique sociale, à paraître.
  • Dan Ferrand-Bechmann, Le bénévolat. Au bénévole inconnu !, Dalloz/Juris, 2014.
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