Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Des documents classés « confidentiel défense » ont révélé l’utilisation d’armes françaises dans le conflit au Yémen. Amnesty International se mobilise pour mettre l’État français face à ses responsabilités et interdire ces ventes d’armes.
La « pire crise humanitaire au monde ! ». Les Nations unies nous interpellent ainsi régulièrement face à la situation créée par le conflit au Yémen. Pourtant, la France – l’opinion comme le gouvernement – continue de fermer les yeux et d’être complice de cette tragédie. Car on ne saurait ignorer les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis : visant les rebelles houthistes, elles atteignent aussi la population civile. Des associations comme Amnesty International France ne pouvaient pas rester passives. Grâce à un travail de plaidoyer mené depuis des années pour dénoncer l’omerta pratiquée par le gouvernement français, nous avons voulu révéler les blocages, voire les mensonges, sur la question des ventes d’armes. Notre détermination, conjuguée à l’engagement d’organisations non gouvernementales (ONG) présentes sur le terrain et à un patient travail pour alerter l’opinion publique, a finalement eu un impact, obligeant le gouvernement à tendre l’oreille et à nous recevoir. Fer de lance de la recherche et développement en France, secteur pourvoyeur d’emplois et de richesses, l’armement est, curieusement, un sujet tabou pour les parlementaires. Ceux qui sont les garants indispensables du débat démocratique se sont longtemps désintéressés des ventes d’armes de la France, considérées comme relevant du domaine exclusif de l’exécutif.
Fer de lance de la recherche et développement en France, secteur pourvoyeur d’emplois et de richesses, l’armement est, curieusement, un sujet tabou pour les parlementaires.
En avril 2018, cependant, une inflexion se dessine. Sébastien Nadot, alors élu de la majorité – il en a été exclu récemment –, dépose une proposition de résolution en faveur de la création d’une commission d’enquête sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. L’Assemblée nationale s’en tiendra à une mission « d’information ». Sans la pression des ONG, de l’opinion publique et d’élus de tous bords, cette mission n’aurait pas vu le jour. Depuis, cinq autres projets de résolution ont été déposés à l’Assemblée et au Sénat, plus de quarante questions écrites et interventions orales ont été formulées. Cette mobilisation parlementaire marque certes un tournant, mais elle reste insuffisante pour peser sur l’exécutif.
En avril 2019, le média d’investigation Disclose publie un document de la Direction du renseignement militaire listant les armes françaises vendues à l’Arabie saoudite et utilisées dans le cadre du conflit au Yémen. Ces révélations, largement relayées par d’autres médias, auraient dû inciter le gouvernement à suspendre tous les transferts d’armes susceptibles de contribuer à de graves violations des droits humains au Yémen. Il n’en est rien. Alors que la ministre des Armées, Florence Parly, déclarait le 20 janvier 2019 : « Nous n’avons récemment vendu aucune arme qui peut être utilisée dans le cadre du conflit yéménite […] Je n’ai pas connaissance du fait que des armes soient utilisées directement dans ce conflit », ces révélations mettaient en lumière les mensonges éhontés de l’exécutif et renforçaient notre exigence de transparence et de contrôle.
Alors même que le Yémen entre dans la cinquième année de conflit, le gouvernement français s’enfonce dans l’hypocrisie. La mobilisation citoyenne devient indispensable pour peser sur les autorités. C’est dans ce contexte qu’Amnesty International lance en 2019 la campagne « Silence, on arme ! », pour questionner le manque de transparence qui entoure une industrie dont la France est si fière. Cette campagne vise à donner aux citoyens les moyens de demander des comptes et d’agir. C’est ce qui s’est passé, par exemple, les 9 et 10 mai 2019, quand un cargo saoudien a été empêché d’accoster dans le port maritime du Havre grâce à la mobilisation des ONG, de l’opinion publique et de quelques élus. Ce cargo devait charger une cargaison d’armes à destination de l’Arabie saoudite.
L’action des organisations de droits humains et humanitaires (Amnesty International France, Oxfam France, SumOfUs…) a permis de recueillir plus de 200 000 signatures pour demander à la France de suspendre ses exportations à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Des centaines de mails ont été envoyés à la ministre des Armées, Florence Parly, pour lui demander l’arrêt des transferts d’armes vers cette coalition.
Si le débat semble timidement s’installer au sein de la classe politique, par l’entremise de certains députés, comme dans les médias, nos appels répétés restent encore sans véritable réponse. Comme nous le constatons depuis le début du conflit yéménite, le travail de campagne doit nourrir le travail de plaidoyer et vice-versa l’enjeu est qu’enfin le gouvernement français prenne ses responsabilités et refuse de vendre des armes qui peuvent servir à commettre des atrocités.