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La subsidiarité : quelle contribution à la construction européenne ?

Intérieur du Parlement européen de Strasbourg © Cédric Puisney/Wikipedia/CC
Intérieur du Parlement européen de Strasbourg © Cédric Puisney/Wikipedia/CC
La subsidiarité, consacrée par le traité de Maastricht, a de quoi faire rêver les tenants d’un véritable fédéralisme européen : à chaque échelon ses pouvoirs. Mais le principe est ambigu par nature, ce qui permet à chacun de l’instrumentaliser à son avantage, voire de le vider de sa substance, faute d’une vision commune.

Le principe de subsidiarité est en lui-même un paradoxe, à la fois suppléance nécessaire de la part d’une instance supérieure, commune, pour engager des initiatives qui, prises isolément, n’aboutiraient pas, et reconnaissance de la pleine responsabilité des divers échelons d’une communauté, là où elle peut s’exercer. Ce paradoxe s’avère constitutif de la construction européenne.

Inscrit, puis densifié dans les traités successifs pour rassurer des régions et des États inquiets de la direction prise par l’Union européenne (UE), le principe porte aussi en lui une promesse, plus ou moins explicite, d’intégration fédérale. S’il se donne à voir comme une arme de protection des échelons de proximité, il peut tout aussi bien justifier une centralisation de l’exercice des compétences au niveau européen. Le ballottement entre ces deux injonctions peut à lui seul expliquer les incertitudes sur son apport véritable et son utilité concrète.

La consécration juridique du principe dans le droit communautaire, opérée par le traité de Maastricht, procède d’un compromis dont les principaux termes ont été formulés par Jacques Delors, lui-même particulièrement réceptif à un concept issu de la doctrine sociale de l’Église. Sous sa houlette, la subsidiarité, subtilement extraite de son acception naturaliste originelle pour épouser la logique du fonctionnalisme européen, réussira un tour de force : apaiser les angoisses respectives des Länder allemands et des conservateurs britanniques. La subsidiarité est fédéraliste pour Jacques Delors, souverainiste pour les Britanniques, régionaliste pour les Länder. Aussi le mot est-il chargé de potentialités pour le moins opposées et riche d’une teneur politique que sa juridicisation ne saurait effacer.

Malgré les précisions apportées par la suite quant à sa portée concrète, le principe demeure dans une sorte d’angle mort définitionnel bien difficile à saisir juridiquement : que l’on considère l’activité législative, les discours institutionnels et politiques ou la jurisprudence des juges de Luxembourg, son emploi s’est assurément diffusé, mais ses effets restent, somme toute, modestes sur le terrain de la pratique quotidienne de l’Union. De telles déceptions tiennent finalement à l’ambiguïté du principe – une ambiguïté qui est en même temps la source de différentes perspectives politiques susceptibles de donner sens à la construction européenne.

L’entrée dans la mobilité des compétences

Le plus souvent brandi comme un critère global de répartition des compétences, le principe de subsidiarité n’est consacré par le droit des traités que comme un outil de régulation des seules compétences dites partagées entre les États et l’Union. Conçu par les négociateurs de Maastricht pour éviter d’avoir à établir des listes précises de compétences selon des domaines attribués à l’un ou l’autre des niveaux, il ne joue en fait que pour les compétences nouvellement reconnues à la Communauté et dans la seule hypothèse où le traité prévoit la compétence concurrente des échelons européen et étatique (il n’est donc en rien destiné à créer des titres nouveaux au profit de l’UE). Cependant, la doctrine juridique comme les spécialistes de l’Union y font souvent référence pour rendre compte des fondements de la répartition des compétences ou de la philosophie sur laquelle repose le procédé de la directive (l’Union fixe des objectifs et laisse aux États la compétence quant à la forme et aux moyens).

Aujourd’hui, l’amplitude prise par le principe permet d’identifier le passage d’un paradigme à un autre : l’époque du transfert des compétences des États vers la Communauté laisse place à une nouvelle ère de partage et d’exercice en commun. Les domaines de compétence exclusive de l’Union se résument désormais à cinq ou six chapitres, très denses mais clairement identifiés : union douanière, règles de concurrence au sein du marché intérieur, politique commerciale commune, politique monétaire (dans la zone euro) et conservation des ressources biologiques de la mer (dans le cadre de la politique commune de la pêche). Les compétences partagées – consacrées par le traité de Maastricht en même temps que le principe de subsidiarité – sont devenues la catégorie de droit commun. Elles couvrent toutes les compétences non exclusives de l’Union qui ne relèvent pas du domaine des actions d’appui.

Le principe de subsidiarité met en lumière une dynamique souterraine – entérinée par le traité de Lisbonne – qui tend à faire fonctionner la répartition des compétences sur le mode de la mobilité et de la perméabilité. Les compétences sont toujours plus ou moins communes, et non plus exclusives à l’Union ou aux États. C’est en cet endroit précis que la subsidiarité se donne à voir comme une alternative, plus ou moins latérale, au principe de souveraineté. Celui-ci, qui implique l’indivisibilité de la puissance publique, tolère mal, voire refuse (selon les écoles), toute idée de partage des compétences. En appréhendant les compétences du point de vue non pas de leur titulaire mais de leur exercice effectif, la subsidiarité élude cette question. C’est la notion même de partage qui est interrogée. Il n’est pas ici le résultat d’une répartition a priori, mais le fait de partager en tant que tel. Pareille interprétation rejoint les travaux qui insistent sur la dialectique des transformations complémentaires de l’État et de l’Union : l’Union ne devient pas un État (fédéral) ; les États se transforment eux-mêmes en tant qu’États épousant tour à tour deux rôles distincts : celui d’État (considéré individuellement) et celui d’État membre (de l’Union).

L’encadrement du rôle de la Commission

Quand bien même tous les acteurs de l’UE doivent en assurer l’application, le principe concerne en priorité la Commission. Accusée de « furie réglementaire » depuis l’Acte unique, elle s’est emparée du principe dès 1993 pour l’appliquer non seulement aux textes en préparation mais aussi, de manière rétroactive, aux textes déjà en vigueur. Ce souci de rationalisation, adossé à l’impératif de bonne gouvernance, a trouvé à se concrétiser dans la publication de rapports annuels intitulés « Mieux légiférer ». Où il s’est agi d’ajouter l’objectif de l’amélioration qualitative de la législation à celui de la décrue quantitative. La pratique permet à la Commission de faire état de ses justifications au regard de la subsidiarité – et de la proportionnalité – en leur conférant une cohérence d’ensemble, en évaluant chaque année la manière dont les deux principes infléchissent l’action de l’Union et en indiquant comment elle entend les interpréter à l’avenir.

À considérer la vingtaine de rapports publiés, les critères de mise en œuvre du principe consistent en deux éléments distincts et cumulatifs : la vérification de la nécessité de l’action de l’Union (qui suppose l’insuffisance des actions nationales), la vérification de sa valeur ajoutée. Critères éminemment politiques, dont la logique repose sur un intérêt général européen sur lequel il est peu aisé de s’accorder.

Le principe entend jouer à tous les stades de la procédure législative, ex post et surtout, ex ante. Avant de proposer un texte, la Commission est tenue de procéder à de larges consultations, prenant en considération, le cas échéant, la dimension régionale et locale des actions envisagées. Bien plus, tout projet d’acte législatif doit être formellement motivé au regard de la subsidiarité. Les exigences intègrent désormais des indicateurs qualitatifs et quantitatifs, une analyse d’impact financier, une évaluation des implications réglementaires et législatives (quand il s’agit d’une directive), des critères de bonne gestion des fonds publics. Le tout est exposé dans une « fiche subsidiarité ». En retour, les États membres font eux-mêmes l’objet d’une surveillance par la Commission et par la Cour de justice, dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union.

Tout projet d’acte législatif doit être formellement motivé au regard de la subsidiarité.

Après Maastricht, la Commission a donné du principe de subsidiarité une interprétation moins tournée vers la proximité que vers la proportionnalité. Puis, au tournant du siècle, elle a su réinstaller le principe dans le nouveau cadre de la gouvernance multi-niveaux. Cette entrée dans l’ère des compétences partagées lui a permis d’avoir prise, au moins indirectement, sur des domaines que les traités n’attribuaient pas à l’Union. Tel est le sens de la place désormais accordée à la « méthode ouverte de coordination », qui consiste à mesurer l’efficacité comparative des politiques nationales pour susciter une émulation entre États dont on escompte des effets bénéfiques sur l’intégration européenne.

Le rôle en devenir des Parlements nationaux

À travers ses protocoles 1 et 2, le traité de Lisbonne érige les parlements des États membres en gardiens officiels du respect du principe de subsidiarité. Dans un délai de huit semaines à compter de la transmission d’un projet d’acte législatif, ils peuvent adresser aux présidents des trois pôles du triangle institutionnel – Parlement européen, Conseil, Commission – des avis motivés sur la non-conformité de ce projet au principe de subsidiarité. Si le nombre d’avis représente un tiers (ou un quart, selon les hypothèses) des voix attribuées aux parlements, le projet doit être réexaminé. À cette procédure du « carton jaune », s’ajoute un mécanisme renforcé – un « carton orange », applicable aux actes adoptés dans le cadre de la procédure législative ordinaire (codécision) et déclenché par une majorité simple des parlements.

L’obligation de réexamen ne débouche pas nécessairement sur le retrait du projet. L’auteur de la proposition peut la maintenir, la modifier ou la retirer. En cas de « carton orange », il suffit que le Conseil ou le Parlement européen se prononce contre la conformité du texte au principe de subsidiarité pour que la proposition soit abandonnée.

À ce jour, on ne recense que deux cas de carton jaune. En mai 2012, douze assemblées de douze États ont exprimé un avis négatif sur une proposition de règlement relative au droit de grève des travailleurs détachés par leur entreprise dans un autre État de l’UE pour y effectuer une prestation de services. Elle contrevenait, selon elles, au principe de subsidiarité. La Commission a finalement retiré sa proposition. En octobre 2013, quatorze assemblées de onze États ont exprimé un avis négatif sur la proposition de règlement relative à la création d’un Parquet européen chargé de la protection des intérêts financiers de l’Union. Mais la Commission a maintenu son projet, considérant qu’il était conforme au principe de subsidiarité.

Outre ce double mécanisme d’alerte, le protocole 2 du traité de Lisbonne prévoit un contrôle en aval, dit « carton rouge ». Il intervient par la voie juridictionnelle et selon une procédure indirecte : ce sont les gouvernements qui sont habilités, au nom de leur Parlement, à saisir le juge de Luxembourg d’un recours pour violation du principe par un acte législatif européen.

En somme, la subsidiarité est moins un principe juridique qu’un révélateur d’une sortie de la souveraineté classique de l’État.

En somme, la subsidiarité est moins un principe juridique qu’un révélateur d’une sortie de la souveraineté classique de l’État. Elle est devenue, de manière peut-être plus ambitieuse, un principe de procédure législative. Contribuant à redéfinir la façon dont les acteurs de l’Union interviennent dans le processus de décision, son impact pourrait bien, à terme, se faire ressentir jusque dans la configuration d’ensemble de l’équilibre institutionnel européen. Après les exécutifs, au cœur du dispositif depuis le début, après les juges nationaux, devenus juges de droit commun du droit de l’Union, les parlements nationaux sont le troisième pôle à devenir des acteurs de l’Union à part entière. Car la sortie de la souveraineté classique de l’État n’exonère pas l’Union de la nécessité de se ressourcer auprès de la légitimité démocratique. Reste à savoir si les cadres institutionnels susceptibles d’en permettre l’expression sont suffisants et si la souveraineté des peuples peut véritablement, à elle seule, rendre raison de la situation d’un régime politique conçu en dehors des catégories canoniques (logique intergouvernementale de l’Union et légitimité fonctionnelle de la Commission et de la Cour, pour s’en tenir à l’essentiel).

Le défi de la résorption du déficit démocratique

Le renforcement du rôle des parlements nationaux au nom de la subsidiarité a contribué à déplacer le centre de gravité du principe du terrain de la clarification des compétences vers celui de la résorption du déficit démocratique. Comme si, après une période où cette charge de démocratisation avait principalement pesé sur le Parlement européen (avec le peu de réussite que l’on sait), les parlements nationaux étaient appelés à prendre le relais. Le tout afin de rassurer une nouvelle fois les États après l’épisode du traité constitutionnel.

La solution retenue laisse cependant perplexe : s’agit-il de renforcer la démocratie au sein de l’Union ou de compenser une perte de pouvoir des parlements nationaux ? La construction européenne ayant pu accompagner et aggraver, dans la plupart des États membres, une certaine centralisation exécutive au détriment du pouvoir législatif, elle servirait à présent à opérer un rééquilibrage. Faute de mieux.

Derrière l’apparence d’un retour des États, c’est bien plus la dissémination de leur présence que l’on observe : les exécutifs nationaux sont représentés au sein des conseils (Conseil européen et Conseil des ministres), les parlements nationaux ont désormais la faculté d’intervenir dans le cadre de la procédure législative européenne au moyen d’un pouvoir de « veto suspensif », sans que pour autant la concordance de ces deux circuits de représentation de l’État soit véritablement assurée. L’Union se place ainsi dans un dialogue direct avec les parlements nationaux. Mais quelle est la viabilité du schéma d’ensemble ? Telle est bien la difficulté : les démocraties nationales et européenne semblent mettre en commun leurs faiblesses plutôt que de se renforcer chacune indépendamment pour ensuite se consolider réciproquement.

Les démocraties nationales et européenne semblent mettre en commun leurs faiblesses plutôt que de se consolider réciproquement.

La thèse du constitutionnalisme multi-niveaux se propose comme rationalisation scientifique de la situation. Plus qu’un droit constitutionnel propre à l’Union, ce serait un droit constitutionnel commun à l’Union et aux États membres qui prendrait forme peu à peu, le contrôle de subsidiarité illustrant bien cette spécificité. Mais cette thèse se révèle de peu d’utilité pour donner un sens concret – et une lisibilité – à l’Union aux yeux des citoyens. L’enjeu juridique de la Constitution vient éluder la question politique de la souveraineté du peuple. En témoigne le nouveau dispositif du traité de Lisbonne, qui consacre, en quelque sorte, la Cour de justice comme interprète ultime – et authentique – du respect du principe de subsidiarité. Le paradoxe est de taille s’agissant de l’application d’une règle de portée politique qui comprend nécessairement une part importante d’appréciation subjective. Si, en tentant de juridictionnaliser le partage des compétences, le contrôle opéré par la Cour renforce le statut constitutionnel et fédéral de l’Union, il ne permet pas vraiment de densifier sa dimension politique et démocratique.

Pour une réappropriation démocratique

« Un principe indéfini pour un projet indéfini » : ainsi pourrait-on résumer les enjeux cristallisés par le principe de subsidiarité. Pour contribuer au bon fonctionnement de l’Union, celui-ci présuppose la définition d’un intérêt général européen assumé comme tel. L’exercice efficace de compétences partagées et mises en commun réclame en effet la définition d’une direction commune à laquelle se conformer et vers laquelle s’orienter. L’absence d’accord sur les finalités politiques ultimes que l’on rencontre dans la plupart des États européens se retrouve a fortiori au niveau de l’Union. La crise de légitimité chronique que traverse la Commission, censée incarner cet intérêt général, en est l’illustration. L’arbitrage par les finalités se révèle pour le moins difficile quand il n’existe aucun accord sur les grandes orientations. La subsidiarité saura-t-elle introduire davantage de philosophie du partage dans l’élaboration même des politiques et du droit de l’Union ? Trois directions peuvent être explorées, comme autant de voies – complexes – pour définir les cadres d’une réappropriation démocratique de l’objet européen.

Le succès du mécanisme de contrôle repose en définitive sur la capacité de collaboration et de mise en réseau des parlements nationaux. Seule la convergence des contestations nationales peut avoir un impact significatif sur la procédure. Si, depuis 2006, un réseau interparlementaire (Ipex) facilite l’échange d’informations sur les activités parlementaires liées à l’Union, aucun organe spécifique de coopération n’a été prévu par les traités. Les représentants des peuples des États sont désormais informés de l’activité législative de l’Union par les instances européennes, indépendamment des informations que leur adressent les États.

À considérer la pratique effective, l’activité des parlements en matière de contrôle de subsidiarité s’avère très inégale. Peut-être la procédure est-elle d’autant moins efficace qu’elle ne concerne que le pouvoir d’édiction des actes législatifs, et non le pouvoir d’exécution. Mais le mécanisme, encore en phase de rodage, ne perdra son caractère d’exception que quand l’homogénéisation des vues sur les dossiers européens sera assez forte pour limiter les effets de la dispersion. Pour que des coalitions fluctuantes d’assemblées nationales deviennent un acteur collectif de l’Union (au même titre que les gouvernements), il faudra bien que la construction européenne retrouve une orientation commune à partir d’un horizon partagé.

Par ailleurs, les justifications données par la Commission ou par le juge de Luxembourg quant à la nécessité d’une action au niveau de l’Union demeurent pour le moins minimalistes. Les États défendent leurs prérogatives par la voie de leur exécutif ou de leur Parlement ; les deux institutions supranationales défendent les compétences de l’Union. Le langage de la subsidiarité adopté par la Commission, assez formel, peine à convaincre. Quant à la Cour, son interprétation reste timorée : jamais elle n’a prononcé sur ce fondement la moindre censure d’un acte européen. Elle préfère s’en remettre aux moyens plus classiques de la proportionnalité et de la base juridique. Pour que la subsidiarité joue tout son rôle, il faudra que ces institutions développent une vision plus constructive – fondée sur la confiance et la responsabilité mutuelle – du partage des tâches au sein de l’Union.

Enfin, le renforcement du rôle des parlements peut s’interpréter comme un moyen de compenser l’absence de chambre de la subsidiarité (idée émise au moment de Maastricht). Par un jeu de vases communicants, les parlements nationaux ont, en quelque sorte, ravi le rôle auquel le Comité des régions avait aspiré depuis sa création par le traité de Maastricht : un droit de contrôle préalable de la subsidiarité avant l’adoption de chaque acte de l’Union. Le traité de Lisbonne a certes rehaussé le Comité des régions, qui se voit reconnaître le droit de saisir le juge d’un recours pour violation du principe de subsidiarité par un acte législatif européen, mais ce droit ne vaut que dans les matières où les textes constitutifs prévoient explicitement sa consultation. Aussi demeure-t-il confiné dans un rôle essentiellement consultatif.

Le nouvel horizon d’attente du principe de subsidiarité ? Opérer la sortie du dialogue entre États et Union, pour mieux tenir compte des échelons régionaux.

Ce repli relatif n’efface pas la poussée symbolique de l’échelon régional. Face à la pression des régions d’Europe à compétences législatives, notamment celle des Länder allemands, l’article 5§3 du traité sur l’UE reprend au projet de traité constitutionnel cette stipulation inédite selon laquelle la subsidiarité s’analyse au regard des capacités d’action non seulement de l’État, mais aussi des entités régionales et locales. Si cette évolution reste, pour l’instant, sans effet marquant, peut-être est-ce là, cependant, le nouvel horizon d’attente du principe de subsidiarité : opérer la sortie du dialogue – longtemps exclusif – entre États et Union, pour mieux tenir compte des échelons régionaux. Il endosserait alors plus résolument le mot d’ordre de la proximité et ferait ainsi valoir la multiplicité des niveaux d’action.

Si la subsidiarité offre finalement un langage capable d’exprimer des enjeux et de poser des questions sur la recherche du niveau le plus adéquat d’exercice du pouvoir législatif, elle ne permet pas d’y apporter des réponses évidentes à même d’améliorer la lisibilité de l’Union. C’est bien à l’ensemble de ses acteurs qu’il revient de faire parler ce langage et de lui donner un sens : à la fois une signification et une direction.



Rappelons ici l’article 4§3 de la charte européenne de l’autonomie locale, adoptée en 1985 dans le cadre du Conseil de l’Europe. Il ne mentionne pas expressis verbis le principe de subsidiarité, mais il en donne une définition éclairante : « L’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L’attribution d’une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l’ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d’efficacité et d’économie. »

Pour de plus amples développements : J. Barroche, État, libéralisme et christianisme. Critique de la subsidiarité européenne, Dalloz, 2012.

Les tenants de la subsidiarité-proximité peuvent se référer à l’article 1er al. 2 du traité sur l’Union européenne (TUE) : « Le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. » Les tenants de la subsidiarité-centralisation peuvent se référer à l’article 352 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) (ex-article 235 du traité de Rome). Celui-ci prévoit un mécanisme – que la doctrine juridique qualifie de compétence subsidiaire ou de clause de flexibilité – selon lequel si une action de l’Union est jugée nécessaire dans le cadre de ses politiques pour atteindre l’un des objectifs visés par les traités, sans que ceux-ci aient pour autant prévu les compétences afférentes, le Conseil, se prononçant à l’unanimité (sur une proposition de la Commission et après approbation du Parlement), adopte les dispositions requises.

L’article 5 TUE pose trois principes essentiels : le principe d’attribution des compétences, d’une part, rappelant que l’Union n’a de compétences que celles qui lui sont attribuées par les États ; les principes de subsidiarité et de proportionnalité, d’autre part, qui régissent l’exercice de ces compétences, le premier les seules compétences partagées entre l’Union et les États, le second à la fois les compétences partagées et les compétences exclusives de l’Union. Le principe de subsidiarité est énoncé au §3 : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union. » La régulation des compétences partagées fonctionne sur le mode de la préemption européenne : les États sont seuls compétents tant que la préemption par l’Union n’a pas été exercée. Leur faculté d’agir ne disparaît qu’à partir du moment où l’Union intervient, mais une fois que l’Union a agi, ils ne peuvent plus exercer leur compétence dans le champ couvert par l’action européenne. Ce partage déploie donc des effets d’exclusivité, lesquels ne sont pas définitifs pour autant (dans la mesure où les retours en arrière demeurent possibles).

Il faut ajouter la compétence externe en matière de conclusion d’accords internationaux (prévus dans un acte législatif de l’Union).

Ce statut de catégorie par défaut était auparavant réservé aux compétences exclusives.

Les compétences d’appui couvrent la protection et l’amélioration de la santé humaine, l’industrie, la culture, le tourisme, l’éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport, la protection civile et la coopération administrative.

La souveraineté est ici définie comme la suprématie du pouvoir de l’État.

Cf. Luuk van Middelaar, Le passage à l’Europe. Histoire d’un commencement, Gallimard, 2012 [2009, trad. du néerlandais : Daniel Cunin, Olivier Vanwersch-Cot] ; Olivier Beaud, Théorie de la fédération, Puf, 2007.

Ce mot d’ordre a fait l’objet d’un accord interinstitutionnel en date du 16 décembre 2003.

Cette évolution est particulièrement perceptible en 1997 dans un protocole annexé au traité d’Amsterdam, qui pose une interprétation de la subsidiarité à la lumière de la proportionnalité.

En germe dans les traités de Maastricht (politiques économiques et budgétaires dans le cadre de l’Union économique et monétaire) et d’Amsterdam (stratégie pour l’emploi), cette méthode a été consacrée en mars 2000 par la stratégie dite de Lisbonne visant à faire de l’Union « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Sans l’institutionnaliser, le traité de Nice a étendu la « méthode ouverte de coordination » à de nouveaux domaines touchant à la sécurité sociale et la formation professionnelle, le traité de Lisbonne y faisant désormais référence de manière indirecte pour ce qui est de l’emploi, de la protection sociale, de la cohésion sociale, de l’éducation, de la formation, de la jeunesse et de la coordination des politiques économiques.

Selon la procédure prévue par le protocole 2, spécialement consacré à l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Le seuil d’un tiers est abaissé à un quart pour tous les projets d’acte législatif relatifs à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Sont particulièrement visées des matières sensibles comme la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération policière.

Dix-neuf – ou quatorze – sur cinquante-six, chaque État disposant de deux voix (en raison du bicamérisme pratiqué dans la plupart des États).

Soit le Parlement statue à la majorité simple des suffrages exprimés, soit le Conseil à raison de 55 % de ses membres.

D’après l’argumentaire de certaines assemblées, dont le Sénat français, le projet de règlement portait atteinte au droit de grève en établissant une égalité entre le droit d’action collective et les libertés économiques reconnues par les traités (liberté d’établissement et libre prestation de services).

Un droit de saisine a également été reconnu au profit du Comité des régions s’agissant des actes pour lesquels sa consultation est prévue par les traités.

Qu’il suffise de comparer les taux de participation aux élections européennes et aux élections nationales.

La Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires des parlements de l’Union européenne poursuit néanmoins le rôle qu’elle a endossé depuis le début des années 1990.

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