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Services : harmoniser le marché


Le marché européen des services est déterminant, puisque ce secteur représente 70 % du Pib de l’Union européenne et 75 % des emplois. Interrogées sur les perspectives pour les douze prochains mois 1, 52,1 % des entreprises (1 500 prestataires de services) s’attendent à une augmentation de leur volume d’activité, 38 % anticipant sa stabilité, quand 8,2 % d’entre elles prévoient une baisse de régime. Dans la seule Eurozone, le moral des professionnels est aussi au beau fixe, même si la part de ceux qui tablent sur une croissance est ramenée à 49,4 %, 8,5 % annonçant, a contrario, une diminution de leur activité. L’optimisme des entreprises est tangible sur la prise de commandes ; la moitié escompte une augmentation du volume des « nouvelles affaires ». Les sondés s’attendent en majorité à un gonflement de leurs revenus. Questionnées sur les facteurs alimentant la croissance du chiffre d’affaires, qui doit de surcroît s’accompagner d’une hausse des bénéfices pour la plupart d’entre elles, les entreprises mentionnent d’abord la conjoncture économique et un marché plus favorable. La baisse des revenus tiendrait en premier lieu à la hausse des prix d’achat, et à un contexte moins porteur.

Un marché à surveiller

Des disparités sensibles existent entre les pays. Notamment, la vitalité irlandaise tranche avec l’atonie française. De fait, 65,5 % des entreprises irlandaises anticipent une hausse de leurs revenus, soit le meilleur score des pays passés en revue par l’étude, la France ayant le plus mauvais avec un taux de seulement 37,1 %. Parallèlement, 41,9 % des sociétés françaises tablent sur une stabilité, et 17,1 % sur une baisse de leurs revenus, soit les taux les plus élevés de ceux relevés.

D’importantes disparités pointent aussi selon les branches. Dans le secteur Poste et télécoms, seuls 34 % des opérateurs prévoient une croissance de leurs revenus, en dépit d’une hausse attendue du volume de nouvelles affaires pour la moitié d’entre eux, 28,8 % s’attendant par ailleurs à une baisse de leurs revenus. En outre, 42,9 % des professionnels annoncent une réduction de leurs bénéfices, alors que la moyenne européenne pour cette catégorie est de 18,8 %. Autre secteur à la peine, les transports et l’entreposage : 41,7 % seulement des entreprises misent sur une hausse de leurs revenus et 23,3 % prévoient une baisse. Enfin, les retombées en termes de création d’emplois apparaissent modérées : 31,6 % des entreprises prévoient une hausse de leurs effectifs. Elles ne sont que 24,8 % en France… Les services des technologies de l’information devraient connaître une croissance annuelle de 5 % du marché d’ici 2010. Cette progression interviendrait après une croissance très faible en 2004, suivie d’une reprise en 2005, avec une hausse de 4,6 % du marché. Selon International Data Corporation, la croissance du marché joue en faveur d’un mouvement de consolidation des acteurs du marché.

La constitution du marché unique n’est pas aussi avancée qu’on le pense en général. Contrairement à ce qui a été constaté avec l’Alena aux États-Unis en 1989, les échanges de biens et de services ont progressé modestement en Europe. Le processus de convergence des prix s’est interrompu et il n’existe toujours pas de droit des affaires européen.

Pour relancer la croissance, il faudrait recentrer l’intégration économique dans les domaines porteurs : les transports, l’énergie, les télécommunications, les services aux entreprises. Développer ce potentiel suppose d’ouvrir les frontières et de ne pas instaurer ni conserver des procédures administratives qui, par leur lourdeur, s’apparenteraient à des moyens de protection des marchés nationaux. On devrait abolir les exigences administratives lourdes et disproportionnées, en particulier pour les Pme, à savoir les autorisations et déclarations préalables auprès de l’État d’accueil, l’obligation de transporter tous les documents sociaux normalement conservés dans les locaux de la société vers le lieu de détachement et de les y conserver, ainsi que l’obligation de désigner un représentant permanent établi dans l’État membre d’accueil.

Cependant, la libéralisation de la prestation de services ne peut pas s’effectuer aveuglément. Il faut sauvegarder et respecter certaines valeurs chères à nos sociétés. Ainsi, les protections et les mesures de sécurité garanties par le droit du travail doivent être maintenues. La liberté de prestation de services ne doit pas devenir un moyen de frauder et de ne pas respecter les normes nationales qui protègent les intérêts publics. Les travailleurs détachés sont soumis aux conditions de travail de l’État membre où ils sont détachés. Ces conditions de travail recouvrent le salaire minimum, le temps de travail et les périodes de repos minimum, les congés payés minimums, la protection des travailleurs intérimaires, les normes de santé, d’hygiène et de sécurité, la protection des jeunes travailleurs et des femmes enceintes, l’égalité des traitements entre hommes et femmes et d’autres dispositions relatives à la non-discrimination, notamment à l’égard des personnes handicapées.

La directive Services cherche certes à diminuer les charges administratives pour les entreprises, mais en augmentant en même temps les contrôles grâce à une coopération renforcée entre États membres. L’État membre qui accueille a l’obligation juridique non seulement de veiller à ce que les conditions de travail, par exemple le salaire minimum, soient appliquées à tous les travailleurs détachés sur son territoire, mais aussi de procéder à une surveillance effective, comprenant des vérifications et des contrôles sur le terrain au besoin.

Une opposition non fondée

Tandis que nous réécrivions totalement le projet de directive dite « Bolkestein », beaucoup de pressions et d’oppositions sont venues de divers mouvements sociaux et politiques. Attac, par exemple, dans ses différents appels à manifester, arguait que ce texte favorisait la concurrence, mettait fin à nos services publics, organisait le dumping social, supprimait toute mesure protectionniste… Leur cheval de bataille était le fameux « principe du pays d’origine », inacceptable, il est vrai, tel qu’il était inscrit dans la proposition initiale de la Commission. Mais même après le vote en commission Marché intérieur, où ce principe avait été supprimé, leur argument restait identique.

De plus, la plupart des députés français socialistes au Parlement européen, tout comme certains parlementaires nationaux, se sont associés à ce refus, en rejetant totalement la directive. Cette opposition n’était évidemment pas fondée ; heureusement, les collègues du Parti socialiste européen des autres pays l’ont bien compris et ont été des partenaires efficaces dans l’établissement du compromis final.

Nous avons toujours souhaité un texte qui améliore la libre circulation des services dans le marché intérieur en éliminant les obstacles à caractère national. Ce principe existe en Europe depuis le Traité de Rome (1957), il est potentiellement créateur de nombreux emplois dans notre pays. Nous avons soutenu et obtenu l’exclusion du droit du travail du champ d’application de la directive, écartant ainsi tout risque de dumping social par la mise en concurrence des modèles sociaux. Il y a primauté du droit national et donc du pays d’accueil, ce qui empêche toute concurrence juridique éventuelle. Une clause de sauvegarde « généreuse » est prévue : tout État membre peut fermer l’accès à son marché pour des raisons impérieuses d’intérêt général (raisons liées à la sécurité et à la santé publiques, à l’environnement et aux conditions de travail). Enfin, les services publics sont exclus de la libéralisation. C’est la subsidiarité qui s’applique pour l’essentiel aux « services d’intérêt général et aux « services économiques d’intérêt général ». Cette Directive, votée le 16 février 2006 en première lecture au Parlement européen, et complétée par l’accord sur la position commune, le 29 mai au Conseil, ne présente plus aucune menace pour les garanties sociales dans certains de nos États membres.

Le principe du pays d’origine (PPO) est déjà appliqué pour les marchandises. Il signifie que le droit applicable à une prestation de services est celui de l’État membre dans lequel l’entreprise qui fournit la prestation a son siège statutaire, quel que soit l’État dans lequel a lieu l’opération. Le PPO concerne les modalités légales visant l’existence du prestataire de service (par rapport aux diplômes, à l’enregistrement au registre du commerce, etc.) et la fonction de contrôle de l’activité (assuré aussi par le pays d’origine de l’entreprise). L’idée est qu’il n’y ait aucune discrimination sur ces prestations de services entre États membres : un fournisseur de services doit avoir le libre accès et le libre exercice de son activité dans un autre État membre, qui a une obligation légale de supprimer les obstacles.

Ce principe, s’il a des avantages évidents, peut être très dangereux s’il n’est pas accompagné de mesures de sauvegarde, de protection. C’est précisément ce qui n’existait pas dans la proposition initiale de la Commission européenne et c’est pour cela que nous nous sommes battus pour supprimer ce principe.

La solution pour supprimer le principe du pays d’origine sans remettre en cause le sens de la libre circulation des services a été d’établir une nouvelle proposition pour l’ouverture du marché sur la base d’une approche pratique : définir les obstacles que les États membres doivent abolir. Un État membre ne pourra invoquer d’autres exigences si elles ne sont pas liées à des intérêts fondamentaux de la société. Ces exigences devront respecter les principes du Traité et de la jurisprudence : la non-discrimination, la nécessité et la proportionnalité.

Approfondir l’Union

Cette directive Services a été totalement réécrite par le Parlement européen. Le texte voté le 16 février dernier en plénière ne ressemble en rien au texte présenté par l’ancien commissaire Bolkestein en janvier 2004.

La réécriture de l’article 16 a été cruciale. L’accord sur cet amendement n’a pas été facile et a révélé les différentes forces en présence. Un débat a eu lieu notamment à l’intérieur de notre groupe PPE-DE entre ceux qu’on pourrait qualifier de « libéraux », voulant toujours plus de libéralisation et ceux plus attachés à une ouverture du marché contrôlée, avec des mesures protectionnistes.Avec 394 voix, le texte a été adopté à une très large majorité (la majorité qualifiée est de 367) ! Les différents groupes politiques (en particulier le Parti populaire européen et le Parti socialiste européen) se sont mis d’accord sur un des plus importants textes de la législature actuelle. Ce vote large a été une victoire non seulement du Parlement mais aussi de toute l’Union européenne.

Ainsi, un message fort était adressé à la Commission (qui le 4 avril dernier, a présenté un texte qui retenait la quasi-totalité du contenu du nôtre) et au Conseil (qui, le 29 mai dernier, a repris également 98 % du texte réécrit). C’est donc un réel succès politique !

Lors des négociations de la directive Services, la question de l’harmonisation a également été soulevée. En effet, un modèle d’harmonisation centralisée pourrait être utile pour les services qui exigent un certain degré de qualification ; il permettrait de s’assurer que cette qualification minimum est bien suffisante et reconnue comme telle par tous les États membres. Cependant, une telle harmonisation requiert l’accord de toute la Communauté, soit de 25 et bientôt de 27 États. Un tel consensus et une telle harmonisation semblent bien difficiles à mettre en place au niveau de l’Union dans un domaine aussi sensible que celui des services.

On pourrait dès lors faire un parallèle avec les marchandises et la technique de la nouvelle approche. En effet, pour les marchandises qui tombaient sous l’article 30 du traité 2 – notamment les produits dangereux qui peuvent porter atteinte à la sécurité des personnes –, ce sont des organismes privés, regroupant des professionnels des États membres, qui discutent et élaborent des normes harmonisées à respecter. Des directives européennes font expressément référence à ces normes privées. Si les fabricants respectent ces normes privées, alors leurs marchandises seront présumées respecter les exigences essentielles de la directive, et les États membres ne pourront plus interdire l’accès de ces marchandises à leur marché national en invoquant un argument de l’article 30 comme la sécurité publique.

On pourrait dès lors imaginer un système analogue pour les services, c’est-à-dire un système d’harmonisation des reconnaissances ou d’équivalence des qualifications professionnelles dans l’Union européenne, facilitant la prestation de service transfrontalière.

Les difficultés apparues lors des négociations et de la recherche d’un compromis ont montré que les nouveaux États membres pouvaient avoir des intérêts différents de ceux des plus anciens. En effet, les nouveaux États membres voient en la libéralisation des services la possibilité d’entrer sur un nouveau marché et de consolider leur économie. D’anciens États membres craignaient, quant à eux, une concurrence déloyale et un dumping social de la part d’États où les garanties sociales et le coût de la main-d’œuvre sont largement plus faibles.

Après cette expérience de la directive Services, on pourrait s’interroger sur la capacité des institutions européennes d’approfondir comme d’élargir l’Union. Dans quelle mesure les institutions et leur mode de fonctionnement sont-ils adaptés à une Union à 25 membres, à 27 et même à plus… Cette directive n’a pas remis en cause l’élargissement, mais elle soulève la question de la réforme des institutions et mécanismes de l’Union.

Jacques Toubon


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1 / . Sondage extrait de l’article «Entreprises et marchés» de CP, Les Echos, 6 juin 2006, p. 23.

2 / . L’article 30 du traité énumère les exceptions à la libre circulation des marchandises, et les raisons que peuvent invoquer les Etats membres pour interdire l’accès de marchandises communautaires à leur marché national. Parmi celles-ci se trouvent «les raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale».


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