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Pauvreté et assistance en Angleterre


A l’heure où le Parlement s’interroge sur des nouvelles formes d’allocation aux personnes sans emploi, en instaurant un revenu minimum d’activité (RMA) pour remplacer le RMI, la question de la pauvreté se pose ; elle sera l’objet du dossier du prochain numéro de Projet. Nous proposons ici une présentation historique du système d’assistance de l’Angleterre, afin de comprendre dans quelle mesure les Anglais du XVIe au XIXe siècle partageaient nos préoccupations. Il faut remonter l’espace et le temps pour tracer le portrait de ce pays à une époque troublée, depuis le début de la révolution agraire jusqu’à la naissance d’un prolétariat urbain.

L’Angleterre fut l’un des premiers pays à instaurer un système de charité publique, distribuée au niveau local mais définie par un cadre juridique national. L’abolition des ordres religieux par Henri VIII, à la suite du schisme avec Rome, justifie la mise en place de cette structure, car tous ceux qui vivaient des aumônes dispensées par les monastères se trouvent démunis. Des hordes de mendiants et de vagabonds sont source de troubles. A la fin du règne d’Elizabeth 1ère, les assister n’est plus une mesure de charité mais de sécurité publique.

Deux lois (de 1597 et de 1601) régissent la distribution de l’aide. Celle-ci s’organise au niveau de la paroisse, grâce à des fonds récoltés localement, et est allouée aux résidents, dont le statut sera défini par les Acts of Settlement de 1662. Dans les textes, l’assistance ne peut être donnée qu’en contrepartie d’un travail fourni au bénéfice de la paroisse. Malgré ce cadre législatif, les variations régionales sont importantes. Deux types de pratiques coexistent tout au long de la période : l’ outdoor relief, nom de l’assistance dispensée au domicile du nécessiteux, et l’ indoor relief, terme employé pour désigner l’aide distribuée dans des établissements fermés, ceux que Charles Dickens décrira dans Oliver Twist (1837-1838).

Quelles sont les personnes susceptibles de faire appel à l’aide de la paroisse ? La définition de ceux qu’on appelle les « pauvres » ou les « indigents » pose problème : ces termes dépendent de ce que chaque communauté considère comme l’abondance et la pénurie. Une définition retient l’attention, celle Jeremy Bentham, qui, à la fin du XVIIIe siècle, propose de distinguer l’indigent du pauvre. Est indigente toute personne qui fait appel à la paroisse pour survivre et est pauvre toute personne qui n’a que la force de ses bras pour s’assurer un revenu. Le travail représente cette frontière ténue entre l’indigent et le pauvre. Si l’ouvrier perd son emploi, il sombre dans la misère. Tout individu pauvre est donc potentiellement indigent.

Quelle est la proportion de pauvres à cette période ? Le premier recensement anglais n’a lieu qu’en 1801 ; il est difficile d’avoir des données statistiques fiables avant cette date. Un ouvrage sert néanmoins de référence aux historiens pour la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècles, celui de Gregory King, paru en 1688. Selon ses évaluations, sur une population de 5,5 millions de personnes, 1 300 000 seraient assistées régulièrement ou occasionnellement. Mais 1 200 000 autres risqueraient toujours de sombrer dans l’indigence, à la suite d’un revers de fortune, d’un décès, d’un accident ou d’un abandon de famille. Selon ces estimations, les services paroissiaux auraient un groupe fluctuant d’environ 51% de la population susceptible de faire appel à leur aide. En 1806, Patrick Colquhoun étudie la population anglaise à partir de principes plus scientifiques. Selon lui, 39,2% d’une population forte désormais de 9,5 millions d’âmes, pourrait tomber à la charge de la paroisse à un moment ou à un autre. Les enquêtes sociales de Sir Frederick Morton Eden, annonçant celles d’un Charles Booth dans le Londres du XIXe siècle, permettent de dresser un portrait-type du miséreux à la fin du XVIII siècle. Parmi les pensionnaires des Maisons de Travail ( Workhouses) ou les bénéficiaires des aides à domicile, les femmes sont sur-représentées, ainsi que les enfants, les personnes âgées et celles qui présentent un handicap. Que ces catégories constituent le gros des personnes assistées n’est guère étonnant, car c’est un groupe fragile ou désavantagé par le fonctionnement social ou économique de la société. En revanche, parmi ces nécessiteux se trouvent aussi des hommes valides. Ce constat a de quoi surprendre. L’explication réside-t-elle dans l’avènement d’un nouvel ordre économique ?

Les Révolutions politiques, agraires et industrielles successives n’ont pas souvent été identifiées par les penseurs de l’époque comme la cause des malheurs des masses laborieuses. Ils préfèrent accuser les ouvriers agricoles ou industriels d’imprévoyance, de paresse, d’ivrognerie. Le principe d’une assistance obligatoire est remis en cause par certains de manière constante depuis la fin du XVIe siècle : le système d’aide est jugé inefficace, entraînant la perversion morale des assistés. Ce débat de fond, étayé ensuite par l’implacable logique malthusienne de la croissance exponentielle de la population (pauvre) et de la croissance arithmétique des moyens de subsistance, mène l’Angleterre à remettre en cause l’organisation de ses secours obligatoires en 1834. Elle instaure les Maisons de Travail comme unique mode d’aide. Ces établissements doivent être des repoussoirs pour dissuader les indigents de venir y chercher le gîte et le couvert. Face à la misère qui s’étale dès lors dans les rues, la voie est ouverte à Friedrich Engels et à Karl Marx pour une critique du système capitaliste.


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