Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Projet - Comment vous êtes venu à la sociologie ? Cela n’était pas votre premier domaine de recherche...
Philippe d’Iribarne - En effet, comme un certain nombre de polytechniciens de ma génération, j’ai tout d’abord été fasciné par l’économie mathématique, découverte en suivant l’enseignement de Maurice Allais à l’école des Mines. Dans une société en pleine modernisation, le développement de son usage, au sein des entreprises et dans l’action publique, paraissait porteur de nouveaux progrès, fruits d’une plus grande rationalité des décisions. Puis, dans le milieu des années 60, le doute s’est introduit. L’image du monde sur laquelle les économistes raisonnaient n’était-elle pas fort éloignée du monde réel ? Si les populations, souvent suivies par les politiques, résistaient aux injonctions les mieux assises des technocrates, n’était-ce pas parce que les modèles de ces derniers ignoraient bien des choses qui comptent dans la vie des hommes, et non en raison de l’obscurantisme des masses ? L’augmentation du « bien-être » tel que les économistes le mesurent ne paraissait pas rendre l’existence réellement meilleure. Il fallait donc enrichir la vision des économistes et leurs modèles en y intégrant plus d’éléments de la réalité, et au premier chef une appréhension plus riche des effets de l’économie sur la qualité de l’existence. Une fois engagé dans cette voie, j’ai beaucoup tâtonné. J’ai cru d’abord qu’il suffirait de changer quelques variables dans les modèles économiques. Mais il m’est apparu progressivement que, pour comprendre comment l’économie fonctionne et comment elle concerne les hommes, il fallait aller beaucoup plus loin et s’intéresser à des phénomènes dont s’occupent classiquement la sociologie, l’anthropologie ou la philosophie politique.
Plus concrètement, j’ai commencé mes recherches en introduisant une once de dimension sociologique dans des modèles mathématiques de consommation, et en cherchant à rendre plus réaliste la théorie dite du bien-être – d’où le nom d’un centre que j’ai créé en 1972 1. Mais, au bout de quelques années, j’ai eu le sentiment que, une fois clarifiées les grandes relations entre la croissance économique et la qualité de la vie (question traitée dans La politique du bonheur, paru en 1973), il était difficile d’aller beaucoup plus loin. Après quelques tâtonnements je me suis plongé, au début des années 80, avec au départ une grande aide de mon frère Alain, dans des recherches portant sur un autre aspect des rapports entre l’économie et la société : l’influence des cultures politiques sur le fonctionnement des organisations et des économies, domaine qui s’est montré très fécond et tient toujours une place essentielle dans mes travaux actuels.
Projet - Qu’est-ce qui vous a fait changer d’orientation ? La limite méthodologique de l’approche, l’intérêt pour d’autres champs de recherche... ?
Philippe d’Iribarne - Ayant travaillé sur les différences entre sociétés en matière de consommation, et ayant cherché à relier celles-ci à des différences culturelles, il était tentant de regarder ce qu’il en était en matière de production, d’autant plus que la question du sous-développement m’avait toujours beaucoup préoccupé. Certes de nombreux travaux avaient déjà porté sur le sujet, dans la lignée de Max Weber ; L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme reste un classique. Mais il paraissait possible de reprendre la question autrement, en s’intéressant moins à l’entrepreneur et plus à la façon dont les hommes travaillent ensemble, en renouant avec les interrogations de Montesquieu et Tocqueville sur les rapports entre les règles et les mœurs, en allant voir sur le terrain comment les manières de coopérer affectent l’efficacité obtenue. Une première recherche a conduit à la publication de La logique de l’honneur. Par la suite, l’approche s’est étendue dans plusieurs directions : diversification des terrains, traitement de questions de gestion, approfondissement de la compréhension des différences entre cultures politiques, avec en particulier – j’y travaille actuellement –, la mise en évidence de la place qu’y tient la diversité des conceptions de la liberté 2.
Projet - En amont des conseils aux gestionnaires, n’avez-vous pas été amené à poser des questions directement au politique ? Et d’ailleurs, vous avez vous-même participé au politique...
Philippe d’Iribarne - Il est vrai que j’ai fait partie un temps de l’appareil de l’Etat, dans diverses fonctions dont conseiller à la Présidence de la République du temps de Georges Pompidou. J’ai alors ressenti profondément le décalage entre les éléments de la réalité que l’on prenait en compte dans les sphères du pouvoir et ceux qui comptent pour la population. J’ai évoqué cet écart il y a trente ans dans mon premier livre La science et le prince, qui me paraît maintenant bien lointain.
Je ne me suis pas senti à ma place dans l’univers des décideurs, même si le rôle du politique me paraissait et me paraît toujours fondamental. C’est un métier de conduire une politique en prenant comme données les « évidences » qui prédominent dans l’opinion, qu’on les partage ou qu’on s’en accommode, ou en cherchant tout au plus à les faire évoluer à la marge. C’en est un autre de questionner ces évidences sans souci de rallier d’emblée une majorité, comme le fait le chercheur. A la différence de l’essayiste, celui-ci travaille moins à orienter l’action d’aujourd’hui qu’à produire les connaissances de base qui influenceront celle de demain. J’ai été un peu essayiste dans les années 70 ; rétrospectivement, j’ai l’impression d’avoir été à la fois bien ignorant de la complexité des questions qui me préoccupaient et bien utopiste dans la recherche de solutions (ce qui allait ensemble). En bifurquant pour creuser les fonctionnements comparés des organisations dans des cultures différentes je me suis situé sur un terrain autrement solide.
Projet - Comment avez-vous choisi les pays sur lesquels vous avez alors travaillé ?
Philippe d’Iribarne - Ce choix, lors de la recherche initiale, a en fait été très conditionné par les implantations de l’entreprise partenaire de cette recherche, Pechiney. Par chance, comparer la France, les Etats-Unis et les Pays-Bas s’est montré très fécond. L’aventure a vraiment commencé une fois les enquêtes faites, quand il s’est agi de trouver une logique dans les manières de faire propres à chaque pays. Cela a été spécialement difficile pour la France. Pendant quatre ans, je n’ai rien compris. Ce n’est qu’au bout de ce temps, et aidé par certaines similitudes avec ce que j’avais observé dans une usine indienne, que j’ai perçu combien chacun était en fait attaché à quelque chose qui était de l’ordre des devoirs de son état, ce qui m’a renvoyé à Montesquieu et à ses considérations sur l’honneur. Pour les Etats-Unis, la manière dont la défense âpre de ses intérêts par chacun fait bon ménage avec l’étalage de bons sentiments n’était pas facile à comprendre.
Projet - Comment conciliez-vous votre recherche personnelle avec le travail en équipe ? Qui fait quoi dans l’orientation de la recherche ? Quel est le rapport réel entre l’équipe et le chercheur ?
Philippe d’Iribarne - Comme nous travaillons sur des pays très divers (26 à ce jour) chacun a son domaine de compétence : ainsi Alain Henry pour l’Afrique, Jean-Pierre Segal pour l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie. Lorsque nous publions un livre comme Culture et mondialisation, chaque membre de l’équipe écrit les chapitres correspondant à ses propres terrains d’enquête. Mais chaque texte est très largement discuté entre nous. En outre, chacun est stimulé, dans la compréhension de ses propres terrains, par la confrontation avec ce que les autres observent ailleurs. Ainsi, en Afrique, la critique et la sanction sont « naturellement » interprétées comme un signe de « méchanceté » et non comme une expression de l’objectivité des choses. Le remarquer amène à se demander quels mécanismes sociaux leur permettent d’être interprétées autrement chez nous. Il y a une dynamique de la recherche qu’entretient également le fait de revenir sur les mêmes terrains en se posant d’autres questions. Par exemple un travail, actuellement en cours, sur l’éthique des affaires amène à approfondir notre compréhension du rôle de l’héritage protestant dans la culture politique américaine.
Ces questionnements croisés entre pays s’appuient aussi, bien sûr, sur la rencontre de travaux faits en dehors de notre équipe. Le travail que je mène actuellement sur les figures de la liberté est parti d’interrogations suscitées par une recherche menée en Tunisie sur la différence entre l’autorité qui s’exerce sur un homme libre et celle qui s’exerce sur un esclave. Ces interrogations ont conduit à mettre en rapport la diversité des conceptions de l’autorité et celle des visions de la liberté et cette démarche s’est montrée très féconde pour comprendre les différences entre des sociétés telles que la France, les Etats-Unis ou l’Allemagne.
Projet - Vous avez parlé de « culture ». Comment, dans un tel domaine, procédez-vous pour recueillir des données ? Il s’agit sans doute d’interviews... Sont-elles dirigées ou non ?
Philippe d’Iribarne - Nous faisons parler les gens de ce qu’ils vivent, des problèmes qu’ils rencontrent et de la façon dont ils cherchent à les résoudre, des questions que leur pose l’organisation de la production, en cherchant à rentrer dans leur propre vision des choses. Nous cherchons ensuite, en analysant leurs propos, quelles sont les évidences implicites sur lesquels ils s’appuient, en particulier à travers les catégories qu’ils utilisent. Il n’existe pas en ce domaine de méthode permettant d’être sûr que l’on a bien vu tout ce qui était important. A côté de choses très visibles, il y en a qui peuvent l’être beaucoup moins. L’usage de mots très spécifiques, dont on ne retrouve pas l’équivalent, si ce n’est très approximatif, dans d’autres cultures, ou en tout cas qui ne sont pas utilisés dans les mêmes circonstances, est un indice précieux ; ainsi enforcement aux Etats-Unis pour parler de la mise en œuvre de la loi, avec une dimension d’imposition difficilement pensable en Français, ou noble en France pour caractériser des situations de travail. On est ainsi mis sur la piste des repères au sein desquels les individus pensent, jugent, trouvent certaines situations acceptables et d’autres inacceptables et agissent en conséquence. Dans une société, donnée ces grands repères sont largement communs aux diverses catégories de population, hommes et femmes, ouvriers et cadres supérieurs, etc.
Projet - Faites-vous seulement un tableau de la diversité culturelle ? Il semble que vous allez plus loin et que vous interrogez les contraintes, donc les rapports politiques...
Philippe d’Iribarne - Une même culture est compatible avec des choix politiques extrêmement divers ; il faut bien distinguer les deux niveaux. Il y a dans chaque société de grands traits culturels qui traversent l’histoire. Par exemple, en Allemagne, la force de la référence à une communauté au sein de laquelle on délibère et où chacun doit se soumettre aux décisions prises en commun. On trouve cette référence dans l’Allemagne médiévale comme dans les entreprises allemandes d’aujourd’hui, aussi bien, pour prendre des auteurs ayant des positions politiques très contrastées, chez Habermas que chez Fichte. Mais le choix de la communauté prise comme référence, pour Fichte la Nation allemande et pour Habermas l’humanité entière, est un choix politique.
Notre travail de recherche met l’accent sur les grands traits culturels qui traversent l’histoire. Ceux-ci ne sont guère justiciables d’interrogations critiques tellement ils paraissent échapper à la volonté des hommes. Mais cela ne nous empêche pas d’énoncer à l’occasion des jugements critiques sur les choix politiques que cette permanence laisse ouverts. Ainsi, en France, la place que tient la référence à ce qui est plus ou moins noble dépasse les choix politiques et il serait vain de la critiquer. Mais on peut discuter telle stratégie politique, qui prend sens dans l’opposition entre noble et non noble mais que le poids de cette opposition n’impose nullement ; par exemple, chercher à ennoblir l’enseignement technique en le rendant plus abstrait.
Projet - Vous êtes donc à la fois directeur d’une équipe de recherche et essayiste. Vous posez des questions fortes.
Philippe d’Iribarne - Je ne crois pas que les essayistes aient le monopole des questions fortes et il me semble qu’on peut tenter de les aborder dans la perspective du chercheur. Ainsi, dans Vous serez tous des maîtres, j’étudie les mythes de fondation des sociétés modernes, et je tente à partir de là de comprendre la situation de ceux qui, dans des sociétés qui se conçoivent comme des sociétés de citoyens, ne ressemblent guère à la figure mythique du citoyen. Cela amène à comprendre l’impuissance de nos sociétés face à leurs pauvres, le fait qu’elles les rejettent en même temps qu’elles tentent de changer leur condition. Cela conduit plus largement à une vue beaucoup plus sérieuse des impasses des sociétés modernes que celle qui s’était développée, et à laquelle j’avais contribué, dans les années 60, à partir d’une critique de la société de consommation. Mais ce genre d’analyse est encore loin de recevoir le même accueil que celle des aspects culturels du fonctionnement des entreprises. Vous serez tous des maîtres n’a pas suscité le même intérêt que La logique de l’honneur. Par ailleurs, le fait que j’y fasse référence, pour l’opposer au regard moderne, au regard biblique porté sur les pauvres a scandalisé certains « laïcs ».
Une autre question, potentiellement forte, a trait à la construction européenne, et au rôle qu’y jouent les différences de cultures politiques entre pays européens, par exemple dans les différends franco-britanniques ou franco-allemands. Le discours politique ignore ce sujet. Si mon équipe de recherche tend à se cantonner aux problèmes de gestion d’entreprise c’est parce que c’est là qu’il nous est actuellement possible d’être entendus par les intéressés, de faire progresser les idées et d’être utiles. Dans le domaine des institutions politiques, le moment n’est pas encore venu.
Projet - Et sur la mondialisation, point d’aboutissement face auquel les cultures témoignent toujours de leur diversité, y a-t-il des évolutions dans le champ d’observation ?
Philippe d’Iribarne - Il y a de grandes évolutions dans les pratiques, c’est clair. En France, après la seconde guerre mondiale, on a importé dans les entreprises des pratiques de gestion américaines, puis, dans les années 80 des pratiques japonaises. Les idées circulent. Mais chacun réinterprète ce qu’il reçoit selon sa logique propre. Ainsi on parle beaucoup en France de relations contractuelles mais en pratique un contrat français engage autrement, surtout entre personnes engagées dans une relation à long terme, qu’un contrat américain. La lecture des situations dont est porteuse chaque culture politique amène à juger sévèrement les points faibles des formes de fonctionnement de la société qu’on observe ailleurs et à considérer avec indulgence les points faibles que l’on trouve là où elle prévaut. Par exemple, nous Français sommes très choqués par la manière dont on peut licencier les travailleurs aux Etats-Unis, alors que cela paraît normal dans la conception américaine, qui met l’accent sur la liberté contractuelle, des liens entre une entreprise et son personnel – nous venons de le voir avec les réactions des salariés de Danone. Et si l’Etat est largement perçu en France comme un protecteur des libertés, il l’est beaucoup plus comme une menace pour les libertés aux Etats-Unis, d’où des conceptions différentes de son rôle. On a les mêmes différences entre Allemands et Américains ou Allemands et Français. La mondialisation ne change rien à cela.
Projet - Sur l’attitude que certains ont tenue face au chômage en France, qui était d’en prendre leur parti, alors que cela restait inacceptable pour d’autres, y a-t-il une évolution ?
Philippe d’Iribarne - Attention une fois de plus à bien distinguer les pratiques, qui ont une marge d’évolution et les repères à l’intérieur desquels ces pratiques trouvent leur sens. Il y a toujours – on l’a vu dans les discussions à propos du Pare – une lecture bien française des pressions que l’on peut exercer sur un chômeur. Obliger un chômeur, sous peine de perdre ses allocations, à accepter un poste beaucoup moins bien rémunéré que ce qu’il avait auparavant est vu comme dégradant en France, non dans les pays scandinaves. C’est en France une question de rang qu’il est offensant de remettre en cause, dans les pays scandinaves une question de solidarité communautaire, qui demande que chacun contribue selon ses moyens à l’effort commun. La force d’un enracinement culturel qui va de pair avec une grande diversité des pratiques s’observe de même chez les organisations syndicales françaises. Chacune a sa manière propre de défendre les intérêts et la dignité des travailleurs en fonction du contexte politique et économique. Mais, simultanément, il est impossible d’imaginer leur équivalent dans d’autres pays. C’est que leurs stratégies prennent sens dans une manière française de lire les situations. Ainsi, en France, vouloir prendre part à une négociation n’implique nullement que l’on veuille avoir part à la décision à laquelle celle-ci conduit, ce qui est difficile à comprendre pour un Allemand, mais est parfaitement sensé lorsque c’est une question de reconnaissance qui est en jeu.
Projet - Qu’en est-il de la résistance, qui s’inscrit dans la durée ? Comment faire entrer ce qui bouge dans le champ de la compréhension ?
Philippe d’Iribarne - Un livre américain récent, History of freedom, est fort intéressant à cet égard. Il traite des combats menés aux Etats-Unis depuis les origines, au nom de la liberté. Des positions très diverses ont été prises en son nom. La Cour suprême a longtemps refusé toute intervention des Etats dans les contrats de travail au nom de la liberté de contracter, avant de tourner casaque au nom d’une conception plus exigeante de cette liberté, attentive à l’équilibre entre les capacités de négociation des deux parties. De même, c’est au nom de la liberté d’être propriétaire que l’esclavage a été longtemps défendu, jusqu’à ce que la propriété qu’a chacun de son propre corps soit mise en avant pour le condamner. Tous ces débats se sont inscrits dans une vision, jamais discutée, liant liberté et propriété.
En France, de même, la conception de ce qui est élevé et de ce qui est bas a, non sans combats, considérablement évolué dans l’histoire, en particulier lors de la Révolution française, mais l’opposition entre l’élevé et le bas a toujours gardé un caractère central. Pierre Bourdieu est extraordinairement français.
Projet - En fin de compte, quel regard portez-vous sur les cultures que vous étudiez ?
Philippe d’Iribarne - Mon auteur préféré est Pascal. Et je souscris tout à fait au regard qu’il porte sur les mécanismes, dans tout ce qu’ils ont à la fois de dérisoire et de nécessaire, qui permettent aux humains de coexister. Par exemple, raconte-t-il, quand je croise quelqu’un dans la rue, qui passera le premier ? Si on prend un critère fondé en raison, mais d’interprétation douteuse, nous allons nous battre. Si on adopte au contraire un critère stupide mais d’application non équivoque, tel que puisqu’il a quatre laquais et je n’en ai qu’un je le laisse passer, « nous voilà en paix par ce moyen, ce qui est le plus grand des biens ». Quand on analyse dans leur diversité les fictions qui sont au cœur des diverses cultures politiques, y compris celles des pays réputés les plus éclairés, on se convainc que les humains ne savent pas vivre ensemble sans systèmes de régulation qui reposent sur des fondements aussi peu assurés en raison que celui qu’évoque Pascal. Ainsi la révérence française pour les concours, la religion américaine du contrat ou le respect allemand pour la décision du groupe, apparaissent comme des ingrédients nécessaires de régulation sociale dans les sociétés considérées, sans que rien ne les fonde en raison. Seuls les « demi habiles », comme dirait Pascal, peuvent s’en offusquer. En prendre conscience doit pouvoir aider à prendre quelque distance par rapport à l’idolâtrie du politique dont est porteuse l’utopie moderne, idolâtrie qui a été au cours du vingtième siècle, et demeure source de tant de ravages.
1 / Philippe d’Iribarne avait écrit, lors de ses premières recherches, « La démocratie et la préparation scientifique des décisions » dans Projet n° 33, numéro spécial « La décision dans les sociétés industrielles avancées », mars 1969. Au moment de la fondation du Cerebe, Projet a publié « La croissance et le bonheur », n° 73, mars 1973.
2 / Cf. Philippe d’Iribarne, « Le destin des différences culturelles », Projet n° 262, Un seul monde, un monde pour tous ?, été 2000.