Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Nous vivons de plus en plus dans « un seul monde ». Les activités, les informations sont mondialisées. Et au-delà même de la sphère économique, les modes de gestion de l’ensemble de la planète se mettent en place. Dans plusieurs domaines (météo, circulation aérienne, par exemple) des solidarités se sont imposées. Dans d’autres secteurs, des initiatives nouvelles se dessinent (santé, normes techniques...). Mais il est vrai que le premier visage de la mondialisation est celui d’une circulation généralisée, de flux de produits, d’informations.
Ceux qui voudraient rester à l’écart, pour se protéger d’une ouverture qui bouscule les habitudes culturelles, les productions locales, les équilibres sociaux, doivent reconnaître en même temps la vanité des tentations d’autarcie. Le contraste est étonnant ! Au moment où l’opinion publique s’interroge sur la légitimité d’une organisation comme l’Omc, la Chine obtient, après 14 ans de candidature, de rallier le club du commerce mondial. Le pays des Boxers, opposés aux puissances qui voulaient forcer l’accès de l’Asie, juge que le ressort de sa croissance réside dans la liberté donnée aux flux de capitaux, aux investissements et aux échanges.
Nous sommes entrés dans un monde d’interdépendances : interdépendances pour la richesse, interdépendances dans les risques aussi. Les solutions particulières, nationales, sont en défaut pour permettre un accès et une sauvegarde des ressources devenues communes. Mais dans cette interdépendance et l’organisation des flux et des échanges, il y a une véritable inégalité. Il y a des « maîtres des flux » (Paul Blanquart), ceux qui sont à même de peser sur la définition des règles et ceux qui sont simplement pris dans ce mouvement et s’efforcent de ne pas être la marge. La première partie de ce dossier de Projet éclaire divers aspects de cette nouveauté d’un monde unique. Les clés d’analyse qui prenaient en compte les rapports Est-Ouest ou Nord-Sud sont devenues caduques. Mais cette mondialisation provoque des fragmentations et des dominations nouvelles.
Dans un espace élargi, où les frontières sont levées, les lieux classiques de régulation, de croisement et d’orientation des flux, se trouvent déstabilisés. Les Etats ne savent pas commander au marché. Ils voient leur souveraineté contournée par les interventions extérieures. Le droit et les compromis sociaux, qui étaient pour l’essentiel fruits d’une élaboration nationale, peinent à trouver une expression au niveau international. D’autant que les cultures résistent à une abstraction universelle ou à l’imposition d’une vision occidentale, voire anglo-saxonne, des valeurs et des moyens qui organisent le vivre ensemble.
A l’échelle du monde on ne sait pas bien, encore, comment réguler des flux qui traversent les lieux où se nouaient des contrats. Tel est cependant l’enjeu de la mondialisation : un enjeu d’appropriation, à laquelle nous invite la deuxième partie du dossier. Celle-ci est sans doute beaucoup plus à l’œuvre qu’on ne le croit. Le marché n’est plus le seul modèle jusque dans les instances internationales les plus soucieuses d’efficacité économique. Cette efficacité appelle l’élaboration d’un véritable droit international. Elle n’est durable que conjuguée avec une gestion respectueuse des ressources communes et d’une équité sociale. A cette mondialisation contribuent aussi ceux qui manifestent contre ses dérives ! Les Ong pèsent de plus en plus dans les conférences internationales. Au-delà de l’effet « Seattle », elles ont joué un rôle dans la définition de règles internationales pour l’environnement, le développement, le respect des droits de l’homme, etc.
Il reste cependant à construire une véritable « architecture » des régulations internationales. A ouvrir un débat, évidemment complexe à l’échelle de la planète, pour peser les priorités en matière de « biens publics » mondiaux : commerce, santé, éducation, rapports sociaux. On ne reviendra pas en arrière sur la mondialisation. Celle-ci aujourd’hui est très asymétrique. Se l’approprier, la démocratiser, demande de ne pas la voir comme une fatalité mais comme une construction à laquelle tous les acteurs sont appelés à participer : la planète est notre bien commun.