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Dossier : Comment mesurer le bien vivre ?

Pour le meilleur ou pour le « Pib »

© Cellular immunity/Flickr
© Cellular immunity/Flickr

« Quels indicateurs pour inventer demain ?  » Dix ans après la crise financière, qui a démontré combien notre monde était déboussolé, Grenoble accueille sur cette question un «  Forum international pour le bien vivre  », du 6 au 8 juin 2018. L’initiative en revient à la ville, à la métropole et à l’université de la capitale iséroise, mais aussi à des associations (CCFD-Terre Solidaire, Forum pour d’autres indicateurs de richesse). Et elle tombe à point nommé, car l’obsession d’une majorité de nos «  experts  » et de nos politiques pour la croissance confine aujourd’hui à l’absurde.

La critique de la croissance – celle du produit intérieur brut (PIB, aussi prononcé Pib), instruite par quelques voix prophétiques depuis les années 1970, fait quasiment consensus, depuis dix ans, jusqu’au sein des enceintes qui influent sur l’économie mondiale (Union européenne, Onu, Banque mondiale, OCDE…) : le PIB, qui ne dit rien des inégalités, du travail non rémunéré, des enjeux écologiques… s’avère un piètre guide pour gouverner. Et pourtant, on continue de ne jurer que par sa croissance pour nous assurer prospérité, emploi et cohésion sociale. Comme si, dans le cockpit, les pilotes avaient les yeux rivés sur la vitesse de l’appareil et ne se souciaient ni de la pression atmosphérique, ni du niveau de carburant, ni de la direction, sans parler des tensions entre passagers…

Heureusement, le déni n’est pas généralisé. Des collectivités locales, au Brésil, aux États-Unis, en France, tentent de suivre une autre voie, en élaborant leur propre tableau de bord. L’objectif : mieux comprendre la réalité de leur territoire, orienter et évaluer les politiques publiques en fonction d’autres boussoles (le bien-être de la population, la situation des plus précaires, les dégradations environnementales, etc.). Le grand mérite de ces démarches est d’avoir permis une profonde respiration démocratique, en associant les citoyens à la recherche d’un dessein commun. Non sans impact concret : ici, priorité sera donnée à la dépollution d’une rivière, là, au développement des transports en commun ou à l’octroi de budgets éducatifs ciblés. Mais l’impact est-il à la hauteur des enjeux ? Aussi déterminée soit-elle, une collectivité n’est pas omnipotente sur son territoire, et changer de cap demande du temps, un temps que n’offre pas toujours le jeu des alternances politiques.

Or les scientifiques du monde entier clament qu’il sera bientôt trop tard pour préserver l’habitabilité de la planète. L’heure est venue pour l’économie mondiale de changer de cap. Ce qui suppose d’entrer dans une nouvelle ère des indicateurs de bien-être. Après le temps du débat intellectuel, après celui des expérimentations, est venu celui de l’efficience, pour que la prise en compte de la santé de notre société et de notre planète ait une incidence réelle sur l’agir de nos États et de nos entreprises.

Jamais un indicateur ne sera parfait. Comment mesurer le bonheur, la liberté, la fraternité ? Un indicateur n’est qu’une aide qui suggère un chemin. Qu’un État inscrive le «  buen vivir  » dans sa Constitution ne garantit en rien sa réalisation (cf. P. Solón). N’attendons pas non plus l’indice magique qui résoudrait toutes nos tensions. Les 17 objectifs du développement durable (ODD) fixés par les Nations unies sont d’ailleurs loin de les évacuer. Mais ils ont la force de l’universalité. Et le rôle des indicateurs alternatifs n’est-il pas précisément, en rendant visible ce qui ne l’était pas, faute d’être mesuré, de révéler des aspirations ou des impératifs contradictoires, ouvrant ainsi la voie à un approfondissement démocratique ? Qu’ils deviennent un élément clé du débat sur le budget de l’État (cf. É. Laurent) et les parlementaires pourront mesurer combien certaines politiques creusent une dette écologique à côté de laquelle le déficit budgétaire fait pâle figure ! Si l’environnement et la santé sociale fondaient une nouvelle comptabilité des entreprises (cf. P. Viveret), certaines, bien que rentables, seraient amenées à déposer le bilan environnemental, tandis que d’autres seraient sauvées de la faillite grâce au bénéfice écologique et social de leur activité !

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