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Dossier : Bidonvilles : sortir du déni

Roms ≠ bidonvilles

Bidonville du Franc Moisin © Pierre Gerson, 1969.
Bidonville du Franc Moisin © Pierre Gerson, 1969.
En France, on fait souvent des bidonvilles un « problème rom ». Un discours qui permet aux autorités de justifier un traitement différencié violant de nombreux droits fondamentaux, dans une indifférence quasi générale.

Les bidonvilles ne concernent pas que les Roms

Lors de mes déplacements1 dans les bidonvilles en France, j’ai croisé des Roumains, souvent Roms, des Bulgares turcophones qui ne se désignent pas toujours comme Roms, des Indiens, des Français… Mais la question des bidonvilles concerne aussi Calais, ou encore les dessous du métro aérien à Paris. On n’y croise pas ou peu de Roms, or les problématiques sont précisément les mêmes : conditions de vie indignes (peu ou pas d’accès à l’eau, à l’électricité, à des sanitaires) et expulsions régulières sans solution de relogement satisfaisante.

Dans son recensement des « campements illicites » en 20142, la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) évaluait la population des campements illicites du Pas-de-Calais entre 100 et 500 individus. Dans le même temps, les associations estimaient le nombre de migrants dans les bidonvilles de Calais entre 2 000 et 3 000 personnes. Pourquoi ces derniers n’étaient-ils pas comptabilisés? Est-ce parce qu’ils ne sont ni Roumains ni Roms ? La Dihal insiste pourtant sur le fait qu’elle n’adopte pas d’approche ethnique.

Les Roms ne vivent pas tous dans des bidonvilles

En France, la majorité des Roms ne vit pas dans des conditions d’extrême précarité. Assimiler Roms et bidonvilles laisserait croire que les 19 209 personnes habitant en bidonville (selon la Dihal3) constitueraient la totalité de la population rom en France. Cette idée, totalement fausse, réduit la perception des Roms, pour le grand public, à un groupe homogène formé de personnes extrêmement précaires, dont beaucoup vivraient uniquement de la mendicité. Hors des bidonvilles, leur identité rom n’est plus au cœur du débat, et se cantonne à ce qui relève de l’intime, de la sphère privée.

Cette idée, totalement fausse, réduit la perception des Roms pour le grand public à un groupe homogène formé de personnes extrêmement précaires, dont beaucoup vivraient uniquement de la mendicité.

Qu’ils se définissent ou non comme tels, les habitants des bidonvilles désignés par les autorités ou par la société comme « Roms » sont victimes de stigmatisation, de racisme et de discrimination. Des processus alimentés par de nombreux préjugés.

La « question rom », cache-sexe d’un problème de mal-logement

Éric Fassin décrit bien4 la façon dont la « question rom » a été fabriquée, devenant par-delà les clivages politiques un problème qui se pose à tous et qui viendrait des Roms eux-mêmes. La construction politique d'une altérité – ils auraient une « spécificité culturelle » et un « mode de vie » trop différents – permet d’éviter de traiter le phénomène des bidonvilles comme une question de pauvreté à part entière et de justifier une approche différenciée. Les droits fondamentaux des adultes et des enfants vivant dans les bidonvilles sont régulièrement violés. Des violations qui ne choquent presque plus personne.

La construction politique de l’altérité des Roms  permet d’éviter d’avoir à traiter la question des bidonvilles comme une question de pauvreté à part entière.

L’utilisation de l’expression « campement de Roms » caractérise cette mise à l’écart. Le mot renvoie à la notion d’itinérance, de choix de vie, et non pas à celle d’un habitat indigne, subi par les personnes qui y vivent. Il renforce implicitement l’idée que les Roms vivraient ainsi pour des raisons culturelles. Réduire les bidonvilles à un « problème rom » permet de cacher le véritable enjeu, celui du mal-logement, qu’il est possible de traiter avec les outils de politiques publiques5 déjà existants. Au lieu de quoi, la résorption des bidonvilles est abordée séparément, avec la mise en place de dispositifs spécifiques et au coup par coup.

Cette ethnicisation menace aussi les acteurs de la lutte contre la précarité. La surmédiatisation des bidonvilles et des « Roms » (qu’ils le soient ou non) qui y habitent pourrait laisser penser que le problème du mal-logement concerne seulement 19 000 personnes. Aujourd’hui en France, 141 000 personnes sont sans domicile et 3,5 millions de personnes mal-logées.



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1 L’auteure s’exprime ici à titre personnel.

2 Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement, État des lieux national des campements illicites, janvier 2014.

3 Id.

4 Aurélie Windels, Carine Fouteau, Éric Fassin, Serge Guichard, Roms et riverains. Une politique municipale de la race, La Fabrique, 2014, 240 p.

5 Cf. notamment des propositions de la Fondation Abbé Pierre, L'état du mal-logement  en France, 20e rapport annuel, 2015.


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