Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Surveiller et prévenir

Les éducateurs au défi du contrôle social


La prévention auprès des jeunes est un défi permanent, surtout lorsqu’ils sont stigmatisés par le discours sécuritaire. Parole d’éducateur.

Ce qui rassemble en définitive les « jeunes de banlieues », au contact desquels travaillent les éducateurs, c’est moins la nature des dommages qu’ils causent que leur statut social. Le jeune de banlieue, qui se discrimine parfois lui-même, est d’abord le représentant de la partie la plus pauvre de la jeunesse. Et non pas le jeune décrit par certains comme n’attendant que l’occasion de nuire à la société, au point d’en faire la nouvelle « classe dangereuse ».

Le discours dominant s’appuie sur des faits bien réels, d’une gravité indéniable. Mais l’amalgame est fait entre des formes de violence et de délinquance plus ou moins graves et plus ou moins légitimes, comme si « la violence » avait une réalité homogène. Ce discours, qui privilégie la suspicion et appelle à la sévérité, oublie que les problèmes en question concernent l’ensemble de la société française et que la délinquance n’est pas l’apanage des jeunes des classes populaires.

Il ne s’agit pas d’être inattentif aux demandes de certains habitants, ni aux difficultés intellectuelles et pratiques que pose aux représentants de la puissance publique et au praticien la transposition d’une vision globale à l’action de terrain. Il s’agit d’évaluer la déviance avant d’intervenir, de la comprendre et de la cerner avant de la réprimer ou de la refouler. « Toute jeunesse est en danger, mais point toutes également »1. L’assimilation jeunes des cités= délinquants contribue à disqualifier les démarches éducatives. La bienveillance et la main tendue, taxées d’angélisme et décrédibilisées2, ont cédé la place à la suspicion et à la répression, dont les déclarations fracassantes soulignent l’esprit de revanche, l’impuissance masquant le manque de moyens humains mis en œuvre sur ces quartiers. Comment éviter les pièges de ces deux approches, sans recourir à des solutions « simples et pratiques » risquant de renforcer la marginalisation et l’exclusion, déjà à l’origine de nombreux phénomènes de délinquance ?

Sortir d’une représentation angélique du travail social

Dès son origine, le travail des éducateurs de rue est vu comme une opportunité par la récupération d’une pratique informelle dont l’efficacité avait fait ses preuves : une démarche de proximité contribuant à la neutralisation des éléments d’une jeunesse résistant à l’embrigadement. Certes, l’action des premiers éducateurs n’avait pas cet objet pour première ambition. Mais par la souplesse et l’aspect informel des relations, l’attention portée au détail de la vie quotidienne, elle pouvait être un outil pertinent et intéressant pour les pouvoirs publics. Lesquels n’avaient pas nécessairement une ambition de pacification ; mais comme des problèmes émergeaient dans l’espace des relations de vie dans les quartiers, la sphère politique devait traiter la question.

Reste que les déclarations de « guerre aux voyous » peuvent mettre à mal les stratégies de coproduction locale de sécurité. Ces multiples dispositifs partenariaux3, mis en place à partir de la fin des années 1990 pour inciter les acteurs (police, justice, travailleurs sociaux…) à dialoguer sur leurs missions respectives, risquent d’avoir l’effet inverse. Compte tenu des différences de représentations, de valeurs, de normes d’actions, ils pourraient in fine entraver l’émergence de rapports de complémentarité sur la scène locale. Les travailleurs sociaux redécouvrent dans ces stratégies le danger de ne souscrire qu’à des pratiques de contrôle social, au moment où le fossé se creuse entre une partie de la population des banlieues et l’ensemble de la société. Le risque est d’être incompris et rejeté par leur public. La méfiance s’installe dans certaines zones où il existe des ruptures sociales graves, et où les institutions ont des objectifs décalés.

Communiquer sur des problématiques individuelles, en particulier, loin d’être un tabou pour les éducateurs, dépend des relations de confiance avec leurs partenaires et de la conformité de la démarche avec les valeurs dont ils sont porteurs. La loi de 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui les y contraint, est perçue comme l’expression d’un système de délation.

Le pari d’aller vers les jeunes

Éduquer est une nécessité. Or transmettre c’est se confronter aux autres. L’enjeu est de réactualiser les pratiques d’éducation populaire. Certains jeunes estiment que leur révolte ne peut s’exprimer que dans des actes de délinquance ou d’incivilité. Ils sont souvent « sans pitié » avec plus faibles qu’eux, comme avec les plus favorisés, et même entre eux. Il incombe aux professionnels de les confronter à une réalité sociale plus dure que la leur pour qu’ils constatent qu’ailleurs, des gens s’organisent et luttent sans délinquance. Des pistes d’actions éducatives existent, insuffisantes sans doute, parfois surmédiatisées, voire décrédibilisées.

Une grande humilité s’impose aux éducateurs, qui ont une mission difficile. Ils doivent se mettre en mouvement pour faire prévaloir, chez leurs interlocuteurs, la possibilité de trouver leur place dans l’espace social. C’est faire le pari qu’il est possible d’entraîner dans le jeu de la contribution sociale les publics qui posent problème à l’intégration démocratique, puis à l’ordre public. C’est faire admettre l’idée qu’une frange de la jeunesse ne bénéficie pas de l’intérêt bienveillant de la société et qu’il y a un effort à fournir pour ne laisser personne sur le côté. Faute de quoi, les structures « de socialisation carcérale » sont les seules désignées pour intervenir dans ces trajectoires individuelles, avec ce qu’elles induisent comme souffrance personnelle et comme risques à long terme pour nos concitoyens.

Les pouvoirs publics entrent de plus en plus dans une spirale répressive, y compris les collectivités territoriales, contraintes ou consentantes. Quand l’opinion publique est persuadée que la réduction de la délinquance dépend de la répression, les relations entre les professionnels de terrain et la concertation avec l’État risquent de se résumer à des questions de sécurité, à l’exclusion de toute réflexion sur la prévention. Sans opposer l’une à l’autre, augmenter le nombre d’adultes qui développent dans ces quartiers une sensibilité aux problèmes de la jeunesse nous semble être une perspective d’avenir. La logique de la rigidité est vouée à l’échec. Les sanctions seront peut-être plus dures mais, même en renforçant les pouvoirs de police, la société ne parviendra pas à exister sans adhésion.



J'achète Le numéro !
Surveiller et prévenir
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Aux origines du patriarcat

On entend parfois que le patriarcat serait né au Néolithique, près de 5 000 ans avant notre ère. Avant cela, les femmes auraient été libres et puissantes. Les données archéologiques mettent en doute cette théorie. De très nombreux auteurs, de ce siècle comme des précédents, attribuent la domination des hommes sur les femmes à l’essor de l’agriculture, lors du Néolithique. Cette idée est largement reprise dans les médias, qui p...

Du même dossier

Ouverture: Surveiller et prévenir

Prévention : un beau mot, qui traduit une attitude au fondement du lien social. Il désigne une sortie de soi, pour « aller au devant » des appels des autres et se constituer dans cette rencontre comme sujet. Cette présence aux autres et au monde est en rupture avec un rapport d’immédiateté – celui de l’animal – et un élargissement de sa connaissance et de sa sensibilité. Mais cette sensibilité est aussi pour l’homme l’expérience d’un manque. Dès lors le rapport au monde devient risque, parce qu...

De la servitude volontaire

Resumé Obsédée par la surveillance, notre société prend de plus en plus la figure d’une prison. À croire que nous aurions peur de la liberté ! C’est une affaire entendue, nous sommes entrés dans une société de la surveillance obsédée par la sécurité et le risque zéro. En revanche, ce que signifie cette transformation et vers quelles attentes nos contemporains s’orientent, ce qu’est pour eux la réalité, voilà ce qu’il est moins facile de déceler.Certes, le thème de la sécurité est récurrent au po...

Entretien avec le maire de Clichy-sous-Bois

Resumé Claude Dilain est maire socialiste de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) depuis 1995. C’est dans cette ville qu’ont débuté les émeutes de novembre 2005. M. Dilain commente son engagement politique, ainsi que les difficultés auxquels il est confronté dans l’exercice de ses fonctions : politique de la ville, mixité sociale… Projet – Vous êtes maire socialiste de Clichy-sous-Bois depuis quinze ans. Pourquoi et comment vous êtes-vous engagé dans l’action municipale ? Avez-vous toujours vécu...

Du même auteur

Violence et pratiques éducatives

Entre les jeunes des quartiers, des accès de violence se produisent sans qu’on en comprenne toujours l’origine, ni qu’on en mesure les conséquences. Elles semblent suivre une logique de territoires : le fait même d’habiter une autre ville ou un autre quartier lorsque la ville est très grande, suffit à être désigné comme ami ou ennemi. La rencontre d’individus appartenant à des quartiers différents acquiert du sens en fonction de la connotation positive ou négative d’événements et de relations q...

1 / André Comte Sponville, « Le danger de vivre » Jeunesse et sécurité, Les cahiers de la sécurité intérieure, n°5, 1991, pp. 9-10.

2 / Au lieu de « jeunes en danger », on parle de mineurs délinquants.

3 / En 1983, ont été créés les Conseils communaux de prévention de la délinquance, puis en 1997, les Contrats locaux de sécurité, devenus Contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Ils côtoient les Groupements locaux de traitement de la délinquance et les Conseils départementaux de prévention de la délinquance.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules