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Dossier : Les mécomptes de la drogue

Sortir de la drogue par la mer


Pour Michel Jaouen, la drogue est une fuite (devant un problème personnel, affectif...). La traversée de l'océan offre une expérience où l'on ne peut pas fuir.

Projet – Votre voilier, le Bel Espoir, est connu pour ses croisières qui sont des itinéraires de sortie de drogue. Pouvez-vous nous raconter qui participe à ces sorties en mer ?

Michel Jaouen – Tout le monde et n’importe qui peut s’embarquer sur le Bel Espoir, jeunes et vieux. Mais je dois d’abord vous expliquer que je n’ai pas choisi de m’occuper de drogués !

J’étais aumônier des mineurs à la prison de Fresnes. J’ai vite compris que le problème était surtout la sortie de prison ! Alors j’ai créé le « foyer des Epinettes », avec 110 chambres (rue St Just) pour jeunes sortant de prison. Nouveau problème : il ne suffisait pas de les héberger et de les aider à se mettre au travail, il fallait aussi leur faire des propositions pour leurs loisirs. J’ai acheté un voilier pour les initier à la mer. C’est un beau vieux trois mâts sur lequel on peut vivre à quarante.

Plus tard, le ministre de la Jeunesse de l’époque, Joseph Comiti, m’a demandé de prendre des jeunes toxicomanes sur ce bateau, pour tenter de faire quelque chose pour eux. J’ai accepté sans trop savoir où j’allais et, pendant trois ans, j’ai fait la bêtise d’embarquer vingt jeunes drogués à la fois. Bêtise, car, ensemble et en état de manque, ils ne parlaient que de leur besoin de drogue. J’ai donc vite évolué !

Aujourd’hui, le principe est le suivant : on prend à bord six à sept toxicomanes sur vingt cinq passagers, les autres étant pour la plupart des jeunes retraités. Tous payent le même prix : les jeunes qui n’ont pas les moyens doivent se débrouiller auprès des services sociaux pour trouver le financement. C’est à eux de le faire, et ils se débrouillent bien. C’est une prise en charge redoutable. Il ne faut pas les considérer comme des malades, mais il ne faut pas non plus qu’ils s’imaginent qu’ils ont tous les droits, en particulier celui de faire une belle croisière pendant que d’autres s’échinent au travail, et qu’ils sont considérés comme malades !

Projet – Comment fonctionnent à la fois le bateau et votre association ?

Michel Jaouen – L’association a pour but officiel l’initiation aux métiers de la mer. Sur le Bel Espoir, quand j’y suis, je suis le capitaine. Mais un autre bateau, de même taille, navigue aussi sur l’Atlantique, et plusieurs petits voiliers tournent uniquement le long des côtes bretonnes. Nous avons créé une entreprise d’insertion à l’Aber Wrac’h, qui a en charge l’entretien et la réparation des bateaux.

Projet – Les toxicomanes qui embarquent sont-ils obligés ? Vous sont-ils adressés par leur famille ou par les services sociaux ?

Michel Jaouen – Un toxicomane vient librement sur le Bel Espoir, puisqu’il a décidé d’essayer de s’en sortir. Il est souvent poussé par sa famille, parfois par les services sociaux. La croisière « de base » dure cinq semaines, entre Brest et Fort de France. Il n’y a pas de drogue, pas de produit de substitution et pas d’alcool sur le bateau. Il n’y a pas non plus de suivi médical. Le sevrage est réel et efficace. Au bout de cinq semaines, ils sont en pleine forme physique. Je ne dis pas, bien sûr, que leur problème est réglé. Il faut surtout qu’il ne restent pas en Martinique à attendre la croisière de retour (dépendante des conditions de navigation), mais qu’ils rentrent en métropole immédiatement et qu’ils cherchent du travail pour ne pas retrouver les conditions de vie d’avant la croisière. Certains reviennent pour la croisière du retour, certains prennent goût à la mer et deviennent membres de l’équipage pour deux ou trois ans.

Projet – Quel levier utilisez-vous ? Qu’est-ce qui remplace la drogue : le mer, l’activité ?

Michel Jaouen – Non, ce n’est pas la mer, ce sont les conditions de vie et l’entourage. La drogue est une fuite et, sur le voilier, il n’y a plus de fuite possible : il y a le travail de navigation et les compagnons de navigation. Les toxicos se font de vrais copains en mer, alors qu’auparavant, ils n’avaient que des « complices », prêts à les lâcher pour de la came. Ceux qui ont embarqué en couple se séparent très vite, car les couples de drogués ne tiennent que par la drogue !

Sur le bateau, il n’y a jamais de catastrophe liée au sevrage, il n’y a pas de psychologues professionnels mais des personnes prêtes à aider les toxicomanes, ouvertes à la discussion naturelle. Ceux-ci peuvent donc parler quand et avec qui ils veulent, ce qui est bien sûr la meilleure thérapie.

Pour moi, la dépendance ne veut rien dire et le manque est un moment désagréable, mais pas dramatique. Ce qui, à mon avis, est catastrophique, c’est de remplacer l’héroïne par des produits de substitution. Le subutex, c’est aussi de l’héroïne, donc les toxicos ne « décrochent » pas, et on voit se développer maintenant un trafic de produits de substitution. Et je voudrais insister sur le fait que, pour moi, la consommation est bien moins grave que le trafic. Je suis favorable à la mise des produits sur le marché libre, car le marché libre entraînera la disparition du trafic.

Projet – L’alcool est en vente libre, et cela ne fait pas disparaître l’alcoolisme !

Michel Jaouen – Je parle de disparition du trafic, ce qui n’est pas la même chose. Et les Américains ont fait au siècle dernier l’expérience de l’interdiction de vente d’alcool, avec les conséquences négatives que l’on connaît… Les problèmes de violence dans les banlieues, qu’on dit liés à la drogue, sont dus en réalité aux aspects financiers du trafic.

Projet – Savez-vous pourquoi ils se mettent à la drogue, et les raisons sont-elles générales ou particulières ?

Michel Jaouen – La drogue n’est pas le problème, le problème est toujours personnel et toujours affectif. Neuf fois sur dix, c’est d’ailleurs leur environnement – le plus souvent leur mère –, qui est « malade ». Il faut éviter surtout qu’ils retrouvent ce milieu à leur retour de mer. Ce qui m’affole aujourd’hui, c’est l’augmentation incessante des divorces : les jeunes commencent à fumer dans plus de 90% des cas à partir du divorce de leurs parents. Cela ne va donc pas aller en s’améliorant. Et les familles – j’ose le dire – se débarrassent du problème en confiant leurs enfants aux psychologues alors qu’en général c’est elles qui sont malades.


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1 réactions pour « Sortir de la drogue par la mer »

Jean Merckaert
17 August 2016

Bonjour,

Le père Jaouen est décédé en mars de cette année. L'association qu'il animait reste apparemment active, je vous invite à consulter :
http://www.belespoir.com/
Bien cordialement,
Jean Merckaert
Rédacteur en chef de la Revue Projet

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