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Morale en désordre

Paul Valadier Seuil, 2002, 214 p., 18 €

Avec ce livre, Paul Valadier poursuit, avec l’acuité qu’on lui connaît, l’analyse critique des évolutions morales de la société contemporaine. Montrant les enjeux des débats actuels, notamment sur l’euthanasie, le clonage ou l’arrêt Perruche, il dénonce les conformismes ambiants et les facilités de la pensée. Face à une situation qualifiée de moralement confuse, tant en ce qui concerne l’opinion publique que les penseurs ou les institutions régulatrices de la société, l’auteur, qui contribue souvent à la réflexion de Projet, nous offre un bel exemple de discernement intellectuel. L’enjeu n’est rien de moins que de défendre une conception humaniste de la personne humaine, car pour l’auteur cette référence de la dignité de la personne humaine, centrale pour la démocratie, est aujourd’hui menacée. Dans un premier temps, P. Valadier décrit le désordre des pratiques et des pensées. Face à la mondialisation et à la complexification des interactions humaines, les politiques s’avèrent souvent incapables de décider de manière ferme et adoptent des positions pragmatiques au fil d’une opinion changeante ou selon une évolution sociale des moeurs considérée comme inéluctable. En fait, sous cet empirisme, un nouvel ordre moral de type libertaire s’est installé, qui impose sa loi sous l’apparence de progressisme : individualisme exacerbé, émancipation des structures « oppressives » traditionnelles de la société, libération de la sexualité, satisfaction des désirs… Par ailleurs, l’analyse de la pensée de quelques auteurs (Sloterdijk, Singer, Rorty) montre le risque de définir un « humainement correct » qui a pour effet d’exclure une partie non négligeable de l’humanité de la définition de « personne humaine », en justifiant des pratiques de sélection génétique, d’euthanasie, d’infanticide, voire de mise en doute de la priorité de l’humain vis-à-vis des espèces animales. Dans une deuxième partie, l’auteur s’aventure alors courageusement sur le terrain aujourd’hui essentiel, mais ô combien difficile, des relations entre droit et morale. La distinction entre moral et légal demeure centrale: une loi doit pouvoir être respectée, et sera parfois amenée, par souci du bien public et pour éviter un mal plus grand, à rendre licite ce que la morale réprouve. Il reste que le droit s’inspire d’une vision de l’homme et doit pouvoir faire appel à une instance extérieure au droit positif pour juger des évolutions possibles. Un tel recours à l’instance critique de la morale, pourrait aujourd’hui se rapprocher des droits de l’homme, « le droit qu’a chacun d’une égale considération par tout autre dans sa dignité d’homme » (p. 132). Or c’est précisément cette référence centrale qui est menacée par l’indétermination qui pèse sur ce qui mérite d’être respecté et sur le support de la dignité elle-même. L’auteur propose ainsi quelques références pour ancrer de manière plus solide la critique des moeurs dans une anthropologie relationnelle qui suppose la réciprocité des libertés, et dans une morale de la solidarité avec toute personne appartenant à l’espèce humaine. Dans sa troisième partie, en forme de conclusion, il revient sur le procès adressé à l’humanisme et propose une juste manière de le considérer, inspirée aussi du christianisme, en évitant les écueils qui l’ont rendu soupçonnable aux yeux de nos contemporains. Ouvrage de vigilance intellectuelle, ce beau livre offre bien des clefs pour ouvrir les débats actuels.

Alain Thomasset
4 juin 2012
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