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La prison, un lieu de soin ?

Anne Lécu Les Belles Lettres, 2013, 280 p., 25,50 €

Je n’hésite pas à le dire : voici le livre le plus intelligent, le mieux informé et le plus profond sur les prisons qu’il m’ait été donné de lire. On souhaiterait qu’il joue aujourd’hui le même rôle que Surveiller et punir de Michel Foucault dans les années 1970. Écrit par une dominicaine de la Présentation, médecin et philosophe, il correspond bien à son titre : qu’en est-il des soins donnés en prison ? Mais il le dépasse et le subvertit totalement. Il devrait s’appeler : « Ce que l’exercice de la médecine en prison dit de la justice pénale, ce que la justice pénale dit de la philosophie ». On y trouvera tout ce qui peut être dit sur la prison et la peine, qui a souvent été exposé avec beaucoup de précision, de conviction et de pertinence. Seulement ici, cet univers est abordé avec un sens extrême des enjeux philosophiques. Ce livre fait penser à la formule de Proust : « Je ne décris pas mes personnages, je les radiographie. » On y trouve ce que seules les hautes théories peuvent produire : la compréhension des liens qui unissent des faits apparemment disjoints, comme la modélisation des risques par les compagnies d’assurance et la possibilité pour un médecin inspecteur de cocher, un jour, la case « Troubles de l’humeur » devant les pleurs d’une femme, quand il faudrait cocher la case « Enfants à dix mille kilomètres », si seulement elle existait. La fonction même du langage a été, au passage, affectée par « l’innocent » cahier électronique de liaison ! Pour que l’anecdotique cesse de l’être et devienne signe, il faut décrypter les mouvements souterrains qui déplacent nos paradigmes et leurs ambiguïtés (êtes-vous sûrs qu’en humanisant les prisons, vous n’êtes pas en train de préparer inconsciemment des lieux d’où il ne sera plus jamais question de sortir ?). Alors une action devient possible, faite de mêtis, l’intelligence fluide et avisée qui « profite des occasions, utilise les failles du pouvoir adverse », braconne, crée des surprises, renverse les plus vieux réflexes, comme celui qui fait dire « Depuis quand on se met à croire les détenus ? ».

Alain Cugno
10 avril 2013
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