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Identité et violence

Amartya Sen Odile Jacob, 2007, 274 p., 23,90 €

Dans cet ouvrage, le prix Nobel d’économie se propose d’examiner les défis posés aujourd’hui par la coexistence d’identités culturelles multiples en montrant une ferme détermination à refuser l’enfermement de l’être humain dans des catégories réductrices (attitude que le lecteur lui connaît déjà dans ses ouvrages traitant d’économie). Construisant son texte à partir de conférences données à l’Université de Boston en 2001 et 2002, il dénonce le piège qui consisterait à considérer les êtres humains « comme les membres d’un seul et unique groupe (défini par la religion ou la civilisation et non plus par l’ancienne appartenance à une nation ou à une classe sociale) » (p. 11). Une telle catégorisation ne ferait pas droit à l’extraordinaire brassage de civilisations qui a toujours été une réalité. Une telle catégorisation reconnaîtrait aussi un poids excessif à la religion. En fait, Amartya Sen rejette toute référence communautaire englobante et souligne la complexité qui habite tout individu. « L’identité plurielle » de chaque être humain fait jouer différents registres (sexe, nationalité, religion, classe sociale, opinions politiques, etc.), et il revient à l’individu de « décider seul de l’importance relative qu’il doit accorder aux différents constituants de son identité » (p. 44), cette importance relative dépendant elle-même du contexte dans lequel il se trouve. Au fil des pages, A. Sen plaide pour que cette décision de l’individu émane d’un être humain éduqué à la liberté et la responsabilité, mais aussi à la découverte de son appartenance à une commune humanité. Il en appelle ainsi à la construction d’une société civile mondiale, portée par des citoyens résolus à engager la mondialisation dans une voie respectueuse de leur commune humanité. Au fil des pages, Amartya Sen relève les multiples composantes qui constituent « l’identité plurielle » de tout être humain ainsi que la liberté – une liberté éclairée – qui doit être la sienne pour mettre en avant telle ou telle de ces composantes, en fonction du contexte où il se trouve. L’ensemble de l’ouvrage invite ainsi à la réflexion. On peut s’étonner de voir les différentes composantes de « l’identité plurielle » présentées comme si elles relevaient d’un registre homogène, ou encore de découvrir la référence religieuse réduite à la seule appartenance à un groupe communautaire particulier (et jamais à une expérience spirituelle). Par ailleurs, l’invitation adressée à tout être humain d’arbitrer le poids respectif de ces différentes composantes en fonction des situations où il se trouve risque d’être comprise comme une voie ouverte à l’opportunisme, voire à l’épanouissement d’une certaine duplicité dans les relations humaines. Mais, dans le texte, cette invitation est relative à un projet plus fondamental, clairement affiché : l’éducation d’hommes et de femmes ouverts à la reconnaissance de leur commune humanité (quelle que soit la diversité qu’ils peuvent repérer dans leurs « identités plurielles »). La réflexion d’Amartya Sen est ordonnée à l’avènement d’une société civile mondiale, portée par des êtres humains éclairés. Les modalités d’apparition de cette autre mondialisation ne sont guère explicitées. Cette utopie – au sens positif du terme – n’est pas sans consonance avec les expériences spirituelles portées par diverses traditions religieuses.

Antoine Kerhuel
13 juin 2008
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