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Fresnes, histoires de fous

Catherine Herszberg Seuil, 2006, 192 p., 16 €

C’est là un livre admirable, à lire alors que se prépare une loi pénitentiaire sur des bases très inquiétantes. Il ne s’agit pas seulement de décrire une réalité, celle de l’enfermement des malades mentaux dans les prisons françaises et des conséquences atterrantes qui en découlent. Il ne s’agit pas non plus seulement de décrire le travail inouï qu’accomplissent les équipes psychiatriques œuvrant en prison. La dénonciation ne porte pas sur un secteur du système pénitentiaire français qui fonctionnerait plus mal ou d’une façon trop injuste. L’enjeu est autrement important : le sort actuellement réservé au fou dans le système judiciaire français est en réalité la manifestation la plus visible de la formidable régression que vit notre société. Il faut lire et relire la conclusion en forme d’épilogue. Elle constitue à ma connaissance l’un des textes les plus synthétiques, les plus équilibrés et les plus convaincants sur ceci : notre société ne sait plus ce qu’est le droit parce qu’elle a instauré une incroyable prétention à tout juger, à tout rendre transparent avec une seule réponse, la sanction pénale privative de liberté. Les horizons moraux, cliniques, juridiques, philosophiques ne sont plus séparés mais communiquent au point d’y perdre leur identité - et leur efficacité. Considérons le remplacement de l’article 64 du Code pénal de 1810 par l’article 122-1 du Code pénal de 1994. L’article 64 écrivait : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » S’il n’y a ni crime ni délit, alors l’acte commis est autre chose qui n’est pas visible dans l’horizon juridique et qui doit être traité avec les moyens qui lui conviennent, aussi bien en ce qui concerne l’auteur de l’acte que sa victime. L’article 122-1 comporte deux alinéas, l’un déclarant que la personne dont le discernement est aboli par « un trouble psychique ou neuropsychique » n’est pas responsable pénalement et l’autre qu’elle « demeure punissable » si ce trouble n’a fait qu’altérer son discernement. C. Herzberg met justement quiconque au défi de dire à quel registre du savoir (droit, psychiatrie, morale ou philosophie ?) un tel texte appartient. Et les conséquences de cette approximation sont atroces : les juges prennent le rôle des médecins (incarcérer un fou pour qu’il soit soigné) ; les experts psychiatres prennent le rôle du juge (histoire de « responsabiliser » le fou) ; les jurés interprètent l’élément modérateur du texte (« la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime ») dans le sens d’une aggravation des peines pour les fous ; l’opinion est invitée à penser que les victimes trouvent la possibilité de leur « travail de deuil » dans la sanction visant l’auteur – et comment pourrait-il en aller autrement puisqu’il n’y a aucun moyen pour distinguer entre soin, peine et diminution du risque, dès lors qu’on ne détermine plus ce qui est par essence crime ou délit ?

Alain Cugno
13 juin 2008
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