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Dieu.e. Christianisme, sexualité et féminisme

Anne Guillard et Lucie Sharkey Les éditions de l’Atelier, 2023, 256 p., 20 €

En s’interrogeant sur les liens entre christianisme, féminisme et sexualité, cet ouvrage éclaire une pensée théologique invisibilisée.

« La religion chrétienne peut-elle exister sans l’oppression qu’elle génère dans le domaine sexué ? » C’est à cette vaste question que ce livre se propose de répondre. Plus précisément, les contributions cherchent à déterminer dans quelle mesure religion chrétienne et patriarcat s’entremêlent.

Successeur de l’idée de modernité en ce qu’il contredit les prescriptions de la nature, le genre serait, pour l’Église, la nouvelle idéologie à combattre depuis la seconde moitié des années 1990. Cette interprétation découle d’une mauvaise compréhension du terme et a mené à la construction du concept de « théorie du genre » pour « déprécier la scientificité des recherches sur le genre et rabattre ces dernières au rang de positions politiques contestables ».

La théologienne Anne Guillard retrace en introduction l’émergence de la théologie féministe, rattachée à la théologie de la libération, ainsi que ses divers courants (reprise d’arguments marxistes, mariologie de la libération, images bibliques revisitées, mise à jour des racines mariales du christianisme, mouvements postchrétiens, éco-spiritualité…). Enfin, elle se penche sur le tournant intersectionnel de cette théologie.

Au sortir de la guerre froide, le contrôle des corps et les questions de genre deviennent un enjeu identitaire.

En première partie, où les approches sociologique (Céline Béraud), historique (Anthony Favier) et psychologique (Lucie Sharkey) se succèdent, il s’agit de comprendre l’enjeu du genre dans les Églises chrétiennes. Au sortir de la guerre froide et alors que le christianisme s’essouffle, le contrôle des corps et les questions de genre et de sexualité deviennent un enjeu identitaire pour les groupes religieux comme pour les États.

Bien que les évêques aient joué un rôle dans les campagnes anti-égalité entre hommes et femmes, il s’agit de « ne pas surestimer un projet religieux autonome de (re)naturalisation du genre, de la sexualité, de la procréation. Ce qui en assure une assez large diffusion est précisément son instrumentalisation par des forces conservatrices, voire populistes, dont certaines parfaitement athées. »

Les auteurs et autrices invitent à ne pas essentialiser le christianisme et à engager des enquêtes locales, mais aussi à repenser le fondement des discours religieux même afin de dépasser les arguments naturalistes (la différence de traitement est fondée en nature), institutionnalistes (immuabilité du mariage) et libertaires (le mariage doit être aboli et non élargi) qui entérinent la discrimination des femmes.

Côté catholique, l’espoir suscité par le Concile Vatican II s’est soldé par une grande désillusion sous Jean-Paul II. 

La deuxième partie débute par une réflexion à trois voix (Adrienne de Barmon, Anne Soupa, Adrian Stiefel) pour renouveler l’anthropologie chrétienne, volonté commune à une grande partie des contributions de l’ouvrage. Force est de constater que l’invisibilisation des femmes va de pair avec l’obsession sacerdotale pour les questions sexuelles et du désir féminin.

Un dialogue entre Sylvaine Landrivon et Laurianne Savoy est l’occasion d’une histoire comparée des ministères pastoraux des femmes dans les Églises catholiques et protestantes. Côté protestant, l’accès aux facultés de théologie a marqué un véritable tournant. La perte de prestige des pasteurs est due non pas à l’arrivée des femmes, mais au fait que les pasteurs ne souhaitent plus être distingués des fidèles.

Côté catholique, l’espoir suscité par le Concile Vatican II s’est soldé par une grande désillusion sous Jean-Paul II, puis sous Benoît XVI. Le pape François, quant à lui, ne bouge pas vraiment les lignes. Les arguments scripturaires, théologiques et anthropologiques peinent à être dépassés.

Pour Caroline Ingrand-Hoffet, « pasteure de la ZAD », l’antinomie entre engagement pastoral et militant est un non-sens. Elle explique qu’elle ne s’est jamais sentie aussi accordée aux besoins de sa communauté qu’en prêchant de la sorte. Il est par ailleurs intéressant de constater que sa présence aux côtés du maire donnait une caution de sérieux à la ZAD de Kolbsheim.

Pluralité théologique

La troisième partie propose quatre nouvelles perspectives théologiques. Tina Beattie considère par exemple qu’il est nécessaire de réinterpréter le péché et que le courant féministe intersectionnel, via le respect de la sagesse passée, est à même de lutter contre les désirs débridés inspirés par le néolibéralisme et le consumérisme.

Kelly Brown Douglas propose ensuite un point sur la théorie womanist1 et le rapport à la sexualité de l’Église noire aux États-Unis, « un jour à l’avant-garde de la justice et des avancées sociales, et l’autre, vent debout contre ces mêmes causes ». Nombre de croyants afro-descendants ont en effet intégré que la sexualité est une souillure et peinent à rompre le tabou.

Une autre perspective théologique irait vers l’incarnation pleine et entière plutôt que vers les cieux, comme le propose le « regard queer » porté par Lisa Isherwood. Clarisse Picard, enfin, révise la Trinité et souhaite élever une idée de mère comme sagesse de Dieu aux côtés de Dieu avant même le début de la création.

Très divers, tantôt contradictoires et tantôt convergents, ces cheminements sont avant tout stimulants, et mériteraient une synthèse claire et systématique. Cette diversité pourrait être résumée ainsi : « La théologie n’a jamais été que contextuelle. »

1 Théorie qui, partant du constat que les femmes noires sont davantage susceptibles de subir des violences et bénéficient de moins de représentations dans l’espace politique, considère qu’il faut s’émanciper du courant dominant et privilégier des luttes portées spécifiquement par les premières concernées.

Marie Vesco
25 septembre 2023
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