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Dominer Enquête sur la souveraineté de l’État en Occident

Pierre Dardot et Christian Laval La Découverte, 2020, 736 p., 26 €

La réalité de la souveraineté, tant comme idée que comme pratique, apparaît difficile à comprendre, au regard des contextes dans lesquels l’État moderne est supposé l’exercer. Le droit juridique international s’apparente à une négociation entre propriétaires de parcelles du monde (souveraineté du « dominium » ou de l’« imperium » ?). La grande opposition entre l’État et le capital n’est-elle pas un piège pour la pensée de la souveraineté, même si elle pointe justement sur le système mondial de domination ? La souveraineté doit-elle s’entendre comme domination de l’État, mais en quel sens et à quelles conditions ? Une Europe souveraine est-elle une alternative pertinente ? L’objet central de l’ouvrage de Pierre Dardot et Christian Laval est de repérer et de restituer les événements qui ont concouru à cette fiction de droit d’un sujet nommé État, personne publique dotée d’une volonté souveraine. Il s’agit avant tout de l’État moderne occidental, caractérisé par la domination impersonnelle d’une « personne publique ». La méthode choisie est celle de la généalogie, au sens de Foucault mais non sans une distance critique par rapport à celui-ci (ce qui donne lieu à une Annexe tout à fait remarquable sur « Foucault et l’historicité problématique de la souveraineté »). Le lecteur est invité à un parcours sur la longue distance, depuis l’État archaïque de Mésopotamie jusqu’aux mystères de l’État moderne, au fil de onze chapitres. La documentation offerte est exceptionnelle, qui permet d’entrer avec finesse et clarté dans les analyses, dans les nombreux débats, au fil des siècles et des époques, sur la genèse de l’État et la conception qui émerge peu à peu de la souveraineté. Les moments majeurs sont le coup de force politique du pape Grégoire VII au XIe siècle qui s’auto-attribue inconditionnellement une autorité politique souveraine ; puis le tournant, au début du XIVe siècle, quand la notion de souveraineté l’emporte sur celle de république ; enfin, bien sûr, les expériences révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle, avec la question du sujet de la volonté souveraine et le début des ambiguïtés autour de la représentation. En conclusion, même si la souveraineté de l’État semble faire retour sous la forme du nationalisme autoritaire, il reste que la souveraineté est aujourd’hui en crise, une crise que les auteurs caractérisent comme fiduciaire, c’est-à-dire une crise qui ébranle la foi dans l’État. Et, de fait, la crise de la représentation politique constitue une crise des fondements de la souveraineté étatique. Finalement, la souveraineté doit-elle s’entendre comme domination, représentation qui s’impose aux esprits et dans les formes concrètes d’un pouvoir, ou plutôt comme responsabilité, responsabilité pour un territoire que l’on habite et sur lequel on exerce une forme distinctive de contrôle ?

Jean-Marie Carrière
20 novembre 2020
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