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Devoir de vigilance Une victoire contre l'impunité des multinationales

Olivier Petitjean Éditions Charles Léopold Mayer, 2019, 174 p., 10 €

Ce livre est le récit d’une épopée : l’adoption improbable d’une loi qui constitue une véritable première et marque une profonde rupture dans le droit. En effet, au-delà d’un simple « reporting » (la communication par une entreprise de données portant sur son activité et ses résultats), la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (promulguée le 27 mars 2017) oblige les firmes multinationales à établir et mettre en œuvre de manière effective en matière de respect des droits humains et de l’environnement un plan de vigilance qui inclut leurs filiales et sous-traitants jusque dans les pays du Sud. Mieux, cette loi instaure la responsabilité civile pour des multinationales qui, par leur nature, peuvent échapper à la justice. Olivier Petitjean démontre ainsi en quoi la responsabilité sociale des entreprises (RSE) est un écran de fumée qui leur permet de continuer à jouir d’une véritable impunité et de rendre inopérants les mécanismes instaurés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : la catastrophe de Bhopal et l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, ont illustré dramatiquement la nécessité de mettre fin à cette situation d’impunité. De plus, cette loi constitue l’une des rares législations issue d’une initiative citoyenne. Les institutions de la Ve République font, qu’à de rares exceptions près – citons la « loi d’interdiction de la publicité commerciale dans les émissions jeunesse de la télévision publique » à l’initiative du Mouvement pour une alternative non-violente, promulguée le 2 décembre 2016 –, la législation résulte généralement de projets de loi émanant du gouvernement ou de propositions législatives d’initiative parlementaire acceptées par le gouvernement.

L’inscription de ce devoir de vigilance est le fruit d’une coalition d’une vingtaine d’organisations non gouvernementales écologistes et de solidarité internationale formée à l’initiative de trois d’entre elles (CCFD-Terre solidaire, Sherpa et Amnesty international) qui ont lancé une vaste campagne « devoir de vigilance » soutenue de manière parfois très active par tous les syndicats français. La proposition de loi est ainsi le fruit d’une collaboration étroite et inédite entre ces acteurs de la société civile et un trio de parlementaires. Ce travail en commun a porté tant sur la rédaction du projet que sur la conduite d’une âpre bataille juridique qui a duré de 2012 à 2017.

L’auteur décrypte ce combat de « David contre Goliath, mais sans fronde » qui a débouché sur une victoire. La première condition fut la capacité de cette coalition à rester unie, à mobiliser des réseaux plus larges, notamment universitaires, et à susciter une mobilisation citoyenne. Ce fut un travail collectif de plaidoyer qui a duré plus de dix ans et a permis de parler d’une seule voix tout au long d’une procédure chaotique : démarche à caractère exemplaire compte tenu de la diversité des champs d’action, des cultures et des pratiques des membres de la coalition.

La seconde condition est « l’intelligence de la loi » : tout en introduisant des mécanismes contraignants qui changent la donne en profondeur, elle ne heurte frontalement pas les entreprises mais « se coule dans les formes de langage que les firmes et le petit monde de la RSE utilisent depuis des années ». Cet aspect s’est avéré essentiel alors que le gouvernement ne cessait de freiner et le Sénat de « retoquer » systématiquement le texte (jusqu’à saisir le Conseil constitutionnel au nom de l’atteinte portée à la « liberté d’entreprendre »).

La troisième condition fut la ténacité des initiateurs de la proposition pour mener le contre-lobbying nécessaire face à celui de l’Association française des entreprises privées qui entendait vider la loi de son contenu. Pourtant, la mobilisation de la société civile ainsi que la capacité du « bloc » constitué par la coalition et les trois parlementaires à négocier un compromis ont permis de préserver l’essentiel.

On peut regretter que la loi n’ait pas pleinement atteint ses objectifs. En effet, elle ne s’applique qu’à partir du seuil de 5 000 salariés en France (et de 10 000 à l’échelle mondiale) ; elle impose une obligation de moyens et non de résultats, instaure une responsabilité civile et non pénale et revient  sur le principe de l’inversion de la charge de la preuve qui aurait atténué l’asymétrie entre les firmes multinationales aux moyens financiers gigantesques et les victimes de leurs exactions. La victoire n’en est pas moins historique : pour la première fois les firmes sont soumises au droit ! « Les ONG ont souvent le réflexe de choisir des cibles moins ambitieuses qu’elles perçoivent comme plus facilement gagnables. » Or l’épopée de cette loi montre qu’il s’agit d’être ambitieux : « La bataille en vaut la peine, la victoire est possible. »

En conclusion, l’auteur expose les enjeux des nouveaux objectifs fixés pour la campagne « Stop impunité ! » : l’application effective de la loi « Devoir de vigilance » en France et son extension au niveau de l’Union européenne.

Jacques Muller
18 mars 2020
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