Éloge du métèque
Abnousse Shalmani Grasset, 2019, 198 p., 18 €L’écriture de ce livre use volontiers de l’accumulation, dès la page 12 et tout au long du livre : « Métèque, ce mot accolé à tout ce qui n’est pas d’ici, à tout ce qui fait peur, à l’exotisme, à l’aventure, à la méfiance, à la traîtrise, au déracinement, ce mot tranquillement balancé aux visages trop burinés, aux mains calleuses, aux esprits libres, aux athées, aux juifs, aux Noirs, aux métis, aux Arabes, aux étrangers, aux clochards, est l’un des plus beaux mots du monde. » Au premier contact avec ce style, le lecteur pourrait ressentir un peu de fatigue à devoir parcourir ces séries, qui font monter en lui l’impression d’une hésitation un peu irritante de la plume qui écrit. Et, cependant, au fil des portraits qui visitent une grande diversité de vies, littéraires ou cinématographiques, avec une grande finesse unie à beaucoup de tendresse (depuis les Hébreux, Romain Gary, la muse haïtienne de Baudelaire, Modigliani, Hercule Poirot, Ava Gardner, Hérode, Salman Rushdie, Esmeralda, Albert Camus et tant d’autres), l’impression première se mue en admiration. Comment, en effet, écrire le métèque autrement qu’en essayant des mots, lui qui est polymorphe, qui est un tempérament, une ambition, une esthétique, une transgression, une sensualité, un malentendu ? Car le métèque, que nous invitons par curiosité tout en lui réservant une place au bout de la table, est toujours le résultat des crises de l’Autre. Transfuge par excellence, il est cet autre qui se sait destiné à repartir et ne se laisse jamais enfermer, qui s’éprouve voué à intriguer et à inquiéter, parce qu’il vit dans une identité mouvante, un exil perpétuel, une vraie liberté. L’exilé naît des mouvements de l’histoire, il n’est pas autonome, il est relié à plus grand que lui, qui lui intime une attitude à ajuster sans cesse : il n’accède à son identité relationnelle qu’à la condition de se réinventer et de se choisir. Abnousse Shalmani écrit l’éloge du métèque, au sens ancien, grec ou latin, du terme : un discours public, qui vise à construire les mérites d’un humain. Avec une compétence très remarquable et fort agréable pour le lecteur quant au maniement de la langue et de l’écriture, et une familiarité avec la culture de langue française. Voilà qui pourra donner à réfléchir : avec le métèque, nous partageons, à tout le moins, et avec bonheur, la langue. Et ce n’est pas rien.
6 février 2020