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Au péril de l’humain. Les promesses suicidaires des transhumanistes

Agnès Rousseaux et Jacques Testart Seuil, 2018, 272 p., 21 €

Qu’est-ce qu’être humain ? Ne sommes-nous qu’un assemblage d’ADN ? Serons-nous encore humains lorsque nous aurons réalisé la fusion charnelle des corps et des technologies ? Est-il possible de tuer la mort et de devenir immortel ? Telles sont quelques-unes des interrogations soulevées dans un ouvrage passionnant par Agnès Rousseaux, co-rédactrice en chef du journal en ligne Basta !, et le biologiste Jacques Testart, qui a permis la naissance, en 1982, du premier bébé éprouvette en France.

Qui ne rêve d’améliorer ses performances physiques ? Les auteurs mettent en garde contre la mobilisation du transhumanisme dans la lutte contre le handicap. Ils y voient le cheval de Troie d’une entreprise bien plus ambitieuse : la création d’une nouvelle espèce humaine augmentée… Car dans le monde du post-humain, l’humain, cet être imparfait, s’affranchit de sa condition (trop encombrante) pour fusionner avec la machine (symbole de perfection).

À l’heure où l’intelligence artificielle est présentée comme une voie inévitable, Au péril de l’humain fait un état des lieux cauchemardesque de ce que porte en germe la mouvance transhumaniste, en proposant un monde d’apprentis sorciers immatures et sans limites. Dans un tour d’horizon qui donne le tournis, les auteurs passent en revue les initiatives les plus folles de ce qui se fait déjà et de ce qui se fera sans doute, sans aucune consultation démocratique : effacer ou créer des souvenirs via des implants cérébraux, lire dans les pensées, détecter les mensonges, façonner la moralité individuelle, créer une sélection génétique, cloner des espèces disparues comme les mammouths… Tuer la mort !

Une grande partie de l’ouvrage est consacrée à une compilation précise des mutations proposées : « implant party » pour devenir des cyborgs, fabrication d’organes via des imprimantes 3D, implants aux enfants pour prévenir les risques d’enlèvement ou à des migrants pour mieux les surveiller… Voyant dans le corps humain « un gisement de croissance prometteur, la nouvelle frontière à conquérir par le système capitaliste », l’idéologie transhumaniste entretient une vision morcelée de l’être humain, divisé entre un corps (sorte de machine défaillante à augmenter) et un esprit (tout puissant, qui survivra au corps). Une vision déshumanisante et un rapport au spirituel, à la métaphysique, atrophié. Au prétexte de se libérer de la servitude de la chair, nous irions vers une soumission à la technoscience.

Le paradoxe du transhumanisme réside dans le décalage entre une approche qui se veut scientifique et moderne et un rêve vieux comme l’humanité : l’immortalité et la toute-puissance. Les papes du transhumanisme (qui travaillent chez Google ou Facebook notamment) sont prêts à s’ériger en dieux, en créant une espèce humaine augmentée, immortelle, qui dirigera le monde ainsi que ceux qui resteront de simples « chimpanzés du futur ». La mort et la vieillesse ne sont plus que des problèmes techniques : « La mort deviendra un choix et non plus notre destin. » Prêts à s’injecter du sang jeune pour retarder le vieillissement ou à payer des sommes astronomiques pour se cryogéniser dans les laboratoires de la Silicon Valley, ils déclarent, sans ironie : « Le scandale est que 80 % des gens meurent de vieillesse » !

Les résultats ne sont heureusement pas à la hauteur des ambitions, mais les capitaux affluent vers les start-ups. L’analyse des acteurs économiques et politiques en présence souligne les risques en termes de démocratie et de préservation de l’environnement. Google, Apple, Amazon, ExxonMobil, Total, Microsoft, Nokia, Samsung, Sanofi Aventis, GlaxoSmithKline, BASF, Cargill, Boeing ou encore BPI France sont les grands acteurs qui promeuvent cette idéologie1. Les auteurs notent aussi l’importance des ministères de la défense et des armées, en première ligne aux côtés de ces géants industriels et pharmaceutiques. Les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et la Chine se partagent ainsi le gâteau transhumaniste à coups de milliards de dollars d’investissement dans la recherche et développement.

Dès lors, « qui gagnera, les comités d’éthiques ou les intérêts financiers ? ». Les auteurs posent la question de la démocratie et du rôle du politique face aux dogmes technoscientifiques. La science apporterait des solutions « neutres et pragmatiques » ne nécessitant pas de changements systémiques ni de remise en cause d’un système productif destructeur. « La révolution mondiale est possible mais exit le politique. C’est la croyance en la technoscience qui doit seule opérer ». Cette vision légitime ainsi l’absence de débat démocratique, au risque d’abandonner ces questions fondamentales à des scientifiques financés par les multinationales. Le parallèle s’impose avec la vision défendue par les pro OGM : la promesse de perspectives révolutionnaires et inéluctables grâce aux progrès de la science. Mais les technosciences ont besoin de ressources naturelles importantes, notamment de métaux rares. Comment ignorer la réalité de la finitude de nos ressources ? Certains transhumanistes « écolos » imaginent d’améliorer notre vision nocturne afin de faire des économies d’énergie… ou de réduire la taille de l’être humain pour minimiser son empreinte écologique !

Cette quête pour s’affranchir des limites de la planète comme des limites biologiques de l’humain n’est-elle pas, en un sens, une idéologie de remplacement, succédant aux croyances dans les bienfaits du capitalisme (une croissance illimitée source de progrès social) ? Aux yeux des auteurs, le transhumanisme n’est que le dernier habillage d’un capitalisme dérégulé, où il est normal que les plus forts écrasent les autres.

Un bémol cependant à cet excellent ouvrage. Les auteurs tombent dans un travers classique : celui d’un constat pertinent mais d’un déficit de solutions. « Mener un combat politique contre le néolibéralisme et l’idéologie de la compétition » : certes, mais comment créer des cadres légaux pour faire primer le bien commun sur les intérêts des puissances privées ?



1 À l’échelle planétaire, « les principaux investisseurs et promoteurs (…) comprennent six des dix plus grandes entreprises chimiques, six des dix plus grandes entreprises productrices d’énergie, six des dix plus importants négociants en grains et sept des plus grandes entreprises pharmaceutiques ».

Carole Peychaud
19 septembre 2018
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