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Migrants. L’impasse européenne

Thomas Lacroix Armand Colin, 2016, 192 p., 22€, e-pub 15€.

La soi-disant « crise migratoire » de 2015 a provoqué de sérieux doutes quant à la cohérence et à la pertinence des politiques européennes en ce domaine. Il est nécessaire d’examiner les tenants et les aboutissants des contradictions politiques sur lesquelles repose le système européen, en caractérisant les dynamiques migratoires contemporaines et la manière dont elles « affectent » l’Europe, en  évaluant la façon dont les pouvoirs politiques en Europe considèrent les migrations, et les mesures qu’ils prennent pour les façonner en fonction de leurs besoins. Thomas Lacroix, membre du Laboratoire Migrinter de l’Université de Poitiers, répond à cette requête dans un ouvrage clair et complet, d’accès aisé. Le développement est progressif, adossé sur un donné statistique maîtrisé. Une excellente connaissance des situations européennes permet des mises en perspective instructives. Avec une grande tranquillité de ton, l’ouvrage mène avec rigueur une véritable opération critique qui clarifie beaucoup la capacité du jugement sur les politiques migratoires européennes. Les trois premiers chapitres explicitent les origines de la « crise » migratoire. Il s’agit tout d’abord de savoir de quoi l’on parle lorsqu’on parle de migration et de « migrant » (un participe présent, plus fréquent aujourd’hui qu’hier où l’on parlait d’« immigré », un participe passé). Les logiques des déplacements se comprennent mieux lorsque l’on se rend attentif aux motifs de partir, aux conditions individuelles et sociales d’une telle décision, et lorsque l’on étudie les destinations des mouvements migratoires. L’exemple des Erythréens en mouvement vers l’Europe aide à comprendre combien « la pulsion existentielle née de la conviction que construire sa vie sur place est impossible » définit la logique de la migration, qui n’est autre que la face humaine de la mondialisation. De là sont analysées les différences des situations et histoires migratoires des différents membres de l’Union Européenne. Un paragraphe sur la France reprend l’histoire de Calais où se heurtent frontalement les logiques migratoires et les politiques qui les concernent. Les trois derniers chapitres offrent une analyse de l’attitude de l’Europe. Les décisions publiques, après le tournant des années 70, évoluent vers une prégnance plus forte du cadre européen, avec les accords de Schengen, le règlement Dublin, l’externalisation de la gestion des flux migratoires. On comprend ainsi, comment la « crise » de 2015-2016 résulte en grande partie d’une approche d’externalisation centrifuge. Ceci reconnu, il est clair que la politique migratoire de l’Union est affectée, comme elle pèse sur les aléas de la construction européenne; la question de la souveraineté des Etats membres tend à se fixer surtout sur le contrôle des frontières, de même que l’enjeu identitaire se nourrit des incohérences des attitudes par rapport aux migrants. L’impact de cette « realpolitik » se ressent surtout dans le délitement des politiques d’intégration, le contournement des droits, et, pour finir, le développement de l’industrie de contrôle migratoire. Les circulations migrantes ne sont que marginalement affectées par la politique migratoire européenne, elles s’y adaptent. C’est donc plutôt à l’Europe de chercher une autre politique vis-à-vis des migrants. L’ouvrage de Thomas Lacroix plaide finalement pour une liberté de circulation, seule possibilité qui puisse rendre quelque cohérence à la politique migratoire de l’Union, et réduire les effets pervers qui affectent lourdement l’Union. Toute la question demeure de savoir comment mettre en œuvre un tel principe, pour l’instant quelque peu idéal. On pourrait suggérer de donner la parole aux migrants eux-mêmes. Et ce, de deux points de vue: du point de vue de l’anthropologie sociale, si tant est que la « pulsion existentielle » dont parle Thomas Lacroix ouvre de fait vers un type d’humanité, de comportement que nous connaissons mal et qui nous « dérange » ; et d’un point de vue de sociologie politique, parce qu’il n’est pas sûr que nous ayons une vue suffisamment fine de la manière dont les migrants espèrent « s’intégrer » dans les pays qui les accueillent.

Jean-Marie Carrière
20 mai 2017
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