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L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché

Benjamin Lemoine La Découverte, 2016, 308 p., 22€

Les chiffres de la dette et du déficit de l’État constituent aujourd’hui l’horizon incontournable de tout débat relatif aux finances et politiques publiques. Benjamin Lemoine invite le lecteur à remettre cette évidence en perspective en proposant une généalogie de la « mise en marché » de la dette publique. A partir d’archives des ministères économiques, d’entretiens avec des hauts fonctionnaires du Trésor, il retrace les glissements –intellectuels, politiques et institutionnels- successifs qui ont conduit à faire de l’État « un emprunteur comme les autres ». Le financement de l’État sur les marchés financiers apparaît ainsi pour ce qu’il est : un choix politique. Dans une première partie du livre, Benjamin Lemoine présente le mode de financement de l’État mis en place dans l’après-guerre. Le lecteur comprend comment la construction du circuit du Trésor confère à l’État un rôle d’investisseur et de banquier de l’économie nationale. Mais, dès les années 1960, la volonté de lutter contre l’inflation et de soumettre l’État à une certaine discipline de marché conduit peu à peu à la mise en marché de la dette publique. La création des « Obligations assimilables au Trésor » (OAT) en 1984 sous le ministère de Pierre Bérégovoy en est la manifestation la plus claire: on voit comment l’émission de dette publique sur les marchés de capitaux rend nécessaire le développement de ces marchés! Cette mise en marché n’est pas un outil neutre mais bien un dispositif politique qui induit un cadrage, une certaine lecture des causes de la dette publique et des solutions pour y remédier. Ainsi, la seconde partie, analyse l’entrée de la dette dans le débat public durant les années 1990-2000. Des négociations européennes aux campagnes présidentielles, cette période marque la naturalisation de « l’ordre de la dette » et de sa « numérologie arbitraire ». Pour Benjamin Lemoine, cette importation du souci comptable dans la sphère politique conduit à un renversement: l’État n’est plus «la chose mesurante et planificatrice de l’économie […] mais bien la chose mesurée par les acteurs et les organisations du marché financier mais aussi par les institutions européennes» (p. 291). L’approche historique et sociologique proposée ici permet de mettre à distance la dramaturgie d’un État vivant au-dessus de ses moyens et reportant sur les générations futures le «fardeau de la dette». Mobilisant de multiples sources (rapports publics, notes internes, entretiens, articles de presse, etc.), l’auteur permet au lecteur de mieux comprendre le cadre institutionnel et idéologique sur lequel se déploient actuellement des débats techniques d’économie monétaire et financière. On regrettera un certain déséquilibre entre une première partie historique passionnante et une seconde partie dans laquelle le lecteur peut risquer de «se perdre» au milieu de développements plus techniques.

Thomas Chabert
18 décembre 2016
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