Avec l’acte III de la décentralisation émergent de nouvelles formes de gouvernance territoriale. Le retrait de l’État a pour corollaire une montée en capacité des collectivités territoriales dans le paysage institutionnel français. Dans ce contexte où la capacité d’intervention de la puissance publique se trouve affaiblie, les territoires ruraux s’interrogent sur leur avenir. Les mutations socio-économiques et démographiques de ces territoires (territoire que le géographe Antoine Bailly définit comme « une portion d’espace appropriée par des groupes sociaux », p. 59) conduisent à repenser la manière dont la discipline économique a longtemps analysé l’évolution des phénomènes agricoles et ruraux. Cet ouvrage revient sur quarante années de pensée de l’économie rurale dont Philippe Perrier-Cornet, co-auteur de l’ouvrage, fut un des acteurs. Il témoigne de l’apparition de nouvelles approches qui dépassent l’étude de la production agricole, les espaces ruraux étant devenus multifonctionnels (résidentiels, à usage récréatifs, etc.). Cette discipline cesse d’être une économie agricole centrée sur la fonction productive, reposant sur une ruralité isolée des influences des éléments extérieurs. Elle recadre son objet d’étude dans un environnement politique et social, une ruralité dont l’espace social s’est considérablement élargi.

L’analyse des systèmes productifs régionaux, avec l’exemple des ateliers de fabrication de la filière comté, les « fruitières », permet ainsi de comprendre les raisons de leurs succès face aux grandes firmes laitières, les stratégies des éleveurs et des coopératives pour s’adapter. Elle observe les facteurs sociaux, la confiance, la cohésion sociale à l’origine de la réussite de cette forme originale de production. Dans un autre chapitre, la grille de lecture de l’économie des organisations nous aide à comprendre la restructuration du secteur vitivinicole. C’est désormais l’étude de l’espace rural et des territoires ruraux qui doit être appréhendée par les géographes, les historiens, les sociologues…

Dans un contexte d’accroissement de la compétitivité entre les territoires et de concurrence pour les ressources, la « demande d’État » ne faiblit pas. Alors que les territoires ruraux doivent affronter de façon cruciale la montée des inégalités socio-économiques (les deux tours des élections départementales nous l’ont rappelé), Repenser l’économie rurale propose aux chercheurs et aux élus de renforcer leur collaboration pour élaborer des politiques publiques adaptées aux attentes de ces espaces en recomposition et de leurs populations. Au lecteur, novice ou averti, il propose une autre vision de la ruralité : sa sphère d’influence s’est considérablement élargie à l’aménagement de l’espace, à l’urbain, à l’environnement, à la santé ou à la culture… Aux économistes d’en prendre la mesure !