L’émancipation de Kant à Deleuze
Diogo Sardinha Hermann, 2013, 246 p., 25 €L’émancipation est omniprésente dans le langage quotidien. Est-elle pour autant facile à conceptualiser ? C’est à décrypter « ce que s’émanciper veut dire » que s’attelle le philosophe Diogo Sardinha. Le pronom réfléchi est ici central. Plus qu’à présenter les lignes d’une idéologie émancipatrice ou d’un manifeste pour la libération des dominés, ce livre s’essaie à percer le mystère du processus émancipatoire en lien avec le présupposé de l’autonomie individuelle : s’émanciper, davantage qu’être émancipé par quelqu’un (maître à penser, porte-parole, tuteur ou oracle…). Deux traditions intellectuelles apparaissent clairement : une tradition kantienne, qui arrime l’émancipation à un « devenir-majeur », analogue du « devenir adulte », et une tradition deleuzienne, qui la pense en lien avec un « devenir-mineur », ou un « devenir enfant ». Entre les deux, D. Sardinha tisse une histoire non linéaire, où Sartre, Heidegger, Bataille, Artaud et Foucault se disputent l’héritage d’un poète-philosophe, Baudelaire (et d’un philosophe-poète, Nietzsche). Dans cette « cartographie » conceptuelle, émancipation, sujet et modernité dessinent l’espace du pensable, et leurs ambiguïtés entrent en résonance. À travers ce parcours, où la problématique de l’émancipation sert essentiellement de toile de fond pour discuter des rapports entre le « devenir-majeur » et le « devenir-mineur », le lecteur aura acquis une plus grande attention : l’idée d’émancipation, utilisée pour décrire les combats des « mineurs » de l’humanité, les classes exploitées, les femmes, les colonisés, devra désormais être référée à une histoire et à une archéologie spécifiques. Ceci afin de la réactiver dans une pratique à travers l’établissement d’une « carte sur laquelle seront marquées (…) différentes stratégies critiques pour l’émancipation, autant de possibilités pour des prises de position (…) dans la vie de tous les jours » (p. 9).
13 mai 2014