Peuples et populisme
Catherine Colliot-Thélène et Florent Guénard Puf, 2014, 104 p., 8,50 €Sujet invisible des démocraties modernes, représentatives, le peuple en est aussi l’un des principaux points d’achoppement. Pour gouverner, il doit déléguer et donc s’absenter de la scène politique ; pour s’exprimer, il doit contester l’unicité du principe représentatif, en l’élargissant à la pratique participative ou contestataire. Par ailleurs, la montée en puissance des « nouveaux populismes », de droite et de gauche, ne cesse de questionner les sciences sociales et la philosophie politique sur la nature, l’effectivité et la portée politique du « peuple ». Quel est le peuple de la contestation populiste ? Est-il compatible avec l’ordo legis de la démocratie représentative ? Mais en aval d’une réflexion sur la nature, les frontières et les limites du « principe-peuple », il convient de s’interroger sur la capacité de la démocratie à s’en accommoder. La démocratie contemporaine doit-elle renoncer à sa fiction constituante et fondatrice, le démos, en raison de l’incapacité du peuple à (se) gouverner et sous prétexte que l’idée même du peuple peut donner lieu à tous les excès ? Telles sont les questions auxquelles s’attachent les contributeurs de ce livre : Catherine Colliot-Thélène y compare le démos des démocraties et le peuple du populisme ; Pierre Rosanvallon décrypte les simplifications et les apories de la politique populiste, dans le but de complexifier, renforcer et protéger la démocratie ; Florent Guénard conteste, en actualisant la réflexion de Schumpeter, la légitimité d’un principe-peuple dans nos démocraties modernes ; Chloé Gaboriaux analyse la construction, intellectuelle et politique, du peuple par la gauche républicaine au XIXe siècle, en lien avec le prolétariat urbain et la paysannerie ; enfin, Juliette Roussin relit le « principe-peuple » à l’aune des débats sur l’autorité en démocratie (sur la base de quels principes cognitifs et argumentatifs prend-on des décisions ensemble ?). Le principal apport de cet ouvrage est de clarifier, dans une perspective philosophique « élargie », la nature et (surtout) les limites du « principe-peuple » en démocratie. Sa faiblesse est de proposer une problématisation peu satisfaisante du populisme. Celui-ci n’est jamais relié, en tant que phénomène politique, à des formes de politisation populaire spécifiques, ni, comme moment historique, à la tradition latino-américaine, une référence pourtant centrale pour les spécialistes.
28 mai 2014