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La rage et la lumière. Un prêtre dans la révolution syrienne

Paolo Dall’Oglio Les éditions de l’Atelier, 2013, 200 p., 19 €

Ce livre a été écrit en avril 2013 par le père jésuite italien Paolo Dall’Oglio (en collaboration avec la journaliste Églantine Gabaix-Hialé). Son auteur a été enlevé quelques semaines plus tard (fin juillet), à Raqqa (Nord-est de la Syrie), alors qu’il tentait de négocier la libération d’otages au milieu des affrontements entre milices kurdes et djihadistes. Est-il encore vivant ? Qui le détient ? À l’heure où ces lignes sont écrites, on reste sans nouvelles. « Vivrai-je ? J’ai vu tellement de morts pendant ces quelques jours », s’interrogeait-il déjà en mai 2012 lorsqu’il tentait, à Qusayr, d’obtenir la libération d’autres otages et qu’il était menacé par les divers partis et les feux croisés des combattants. Paolo Dall’Oglio est né dans une famille de paysans chrétiens antifascistes. Dans sa jeunesse, il fut militant actif pour le Viêt-Nam ou contre la dictature au Chili, puis pour la paix au Proche-Orient et les droits des Palestiniens. Ordonné prêtre au milieu des années 1970, il ne cesse dès lors de s’intéresser à la région, apprend l’arabe et l’hébreu, assiste aux premières années de la guerre civile libanaise. Au début des années 1980, il s’installe en Syrie ; il va créer, dans le monastère en ruine de Mar Moussa, une communauté dédiée au dialogue islamo-chrétien. La Syrie devient son pays. Quand éclate le soulèvement populaire et pacifique de 2011, il prend fait et cause pour la demande de liberté et de dignité des manifestants, mais constate que le pouvoir de Bachar el-Assad s’en tient à sa ligne de brutale répression puis de guerre interne totale : « Ya l-Assad, Ya nuhriq el-balad » (« Ou Assad ou nous réduirons le pays en cendres »). En raison principalement de l’attitude du régime, le soulèvement populaire face à un État policier se transforme en affrontements sanglants et multiples. Au fil des combats sur le terrain, les groupes islamistes, notamment djihadistes, se renforcent, mieux équipés et organisés que les autres rebelles. Les initiatives et les prises de parole de ce prêtre engagé, qui va animer une émission de dialogue sur une chaîne de l’opposition (Orient news TV), ne sont guère appréciées d’une hiérarchie catholique locale souvent soumise à Bachar el-Assad. Menacé de mort, il est finalement expulsé du pays en juin 2012. Il s’exile un temps au Kurdistan irakien, puis revient en Syrie début 2013. Le livre rend compte de toutes les facettes de la tragédie syrienne. Il rappelle la réalité du régime avant 2011 et les espoirs déçus de libéralisation des années 2000, la répression permanente et l’évolution sociale du pays qui ont conduit à l’explosion de 2011. « Dans le sillon du succès des mouvements tunisiens et égyptiens, se sont engouffrées les révolutions libyenne, bahreïnie et syrienne ». Mais, constate-t-il, « pour le Bahreïn et en Syrie, la répression s’est accompagnée de l’abandon international. L’envergure de la tragédie syrienne est inégalée dans l’histoire arabe contemporaine. » Paolo Dall’Oglio raconte cette tragédie. Le mouvement unitaire de 2011 est confronté à la guerre. Militant actif et passionné de la non violence, il s’interroge sur le sens du combat et ses limites : « À partir de quand la non-violence devient-elle passivité coupable ? Et quand la violence, assumée comme légitime défense, se transforme-t-elle à nouveau en une agression coupable ? » Il décrit en détail les effets de la répression du régime, les replis confessionnels et communautaires, la mécanique de la violence et de toutes les « petites guerres » qui s’en nourrissent dans un pays ravagé. Il témoigne de manière saisissante de la situation à Qusayr au printemps 2012 ou de celle à l’est du pays tenu par les Kurdes en 2013. Il croise aussi bien l’imam sunnite Al Bouli rallié à Bachar (et tué dans un attentat) que le chef salafiste Abou Omar à Qusayr, des Frères musulmans et des démocrates laïques, des chrétiens s’armant pour se défendre ou se préparant à l’exil, parce que « leur espace de vie s’évapore », des militants kurdes qui construisent leur avenir et leurs adversaires djihadistes de Djabat al-Nosra qui croient gagner leur salut, des familles éplorées et des gens du régime… Il négocie, s’interpose, prie, doute… Une plongée au plus près des gens, dans la réalité de la guerre. Comment faire cesser les combats, espérer une paix qui ne soit pas celle des cimetières, en une Syrie libérée et qui ne soit pas sous la domination des « fous de Dieu » ? Une Syrie plurielle et fédérale ? Il analyse l’implication des puissances régionales et mondiales, et les effets des actions des uns et des autres : implications directes et indirectes, transferts d’armements et de soldats, déclarations et proclamations, qui font espérer et désespèrent les Syriens… Il constate que la guerre dure et va durer, car le régime, même s’il n’est pas en mesure de « gagner la guerre », a su, en 2013, reprendre l’initiative militaire et politique (grâce aux soutiens extérieurs). Bachar a profité du renforcement des djihadistes les plus radicaux (qui croient lutter contre le régime impie protégé par l’Occident et Israël) pour se faire passer pour le « bouclier contre le terrorisme ». Ce témoignage est aussi un appel à la solidarité avec le peuple syrien : « À toi jeune européen, ce livre voudrait t’aider à sortir d’une torpeur, nommer quelques-unes de tes angoisses, et t’aider à y faire face (…) Peut-être est-il vrai que nous sommes passés d’une dictature horrible à une horreur anarchique innommable. Mais, pour la société syrienne, le temps était venu, le glas avait sonné, le changement devait advenir. […] Il pourrait y avoir des comités ‘amitié Syrie’ qui se forment dans toutes les villes où le nom de la Syrie deviendrait le nom d’un rêve qui nous est cher et pour lequel nous nous engageons, qui n’est pas seulement un rêve de démocratie et de justice pour ce peuple morcelé, chassé, torturé, mais également le nom d’une conscience civile renouvelée. Une conscience capable de signer les peurs et les effrois qui ont permis à ce régime et aux dérives extrémistes qui les justifient de survivre pendant quarante ans. » Un livre à lire absolument pour comprendre la révolution syrienne et le drame qui se déroule sous nos yeux.

Bernard Dreano
11 octobre 2013
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