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Le nettoyage ethnique de la Palestine.

Ilan Pappe Trad. de l'anglais par Paul Chemla, Fayard, 2008

Ilan Pappe.

Israël vient de fêter ses 60 ans. Pendant toutes ces années, il a figuré au premier rang de l’actualité internationale, à cause d’une petite bande de terre qui a pour nom Palestine. Pourtant, les origines précises de l’interminable conflit qui oppose Palestiniens et Israéliens n’ont guère été portées à la connaissance du grand public. D’où l’intérêt majeur de cet ouvrage : un éclairage historique trop ignoré nous permet d’entrer dans la logique d’un dessein qui n’a jamais été officiellement reconnu par les responsables de l’État d’Israël et que Ilan Pappe qualifie de « nettoyage ethnique ». L’accusation est grave, on en convient. Si elle ne venait pas de la plume d’un Israélien, elle porterait l’inévitable suspicion d’anti-sémitisme. Mais l’auteur appartient à l’école des « nouveaux historiens » qui ont reconstitué avec minutie, à partir du dépouillement des archives, de journaux personnels et de témoignages directs de survivants, l’occupation du territoire de la Palestine par les Juifs en 1948 et 1949.

C’est donc en historien qu’I. Pappe montre comment le peuplement de l’État d’Israël fut une entreprise préméditée, et non la conséquence involontaire d’une guerre israélo-arabe comme le répète l’historiographie officielle. A la fin de 1947, les deux tiers des deux millions d’habitants de la Palestine étaient Arabes ; un an plus tard, les Juifs étaient largement majoritaires dans un État occupant 78 % du territoire, tandis que 800 000 Arabes palestiniens étaient parqués hors des frontières. Entreprise planifiée d’expulsion, de destruction et de massacres, comparable aux « nettoyages ethniques » qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ? Le 10 mars 1948, rappelle l’auteur, le plan Daleth était adopté, sous l’impulsion de Ben Gourion : « un plan global d’expulsion de tous les villages de la Palestine rurale. Des instructions semblables ont été données, à peu près dans les mêmes termes, pour les actions visant les centres urbains » (p. 118). Au bout de six mois, une population pacifique et sans défense était chassée par la violence et l’intimidation : 531 villages détruits, 11 quartiers vidés de leurs habitants, 800 000 personnes déracinées (la moitié de la population indigène de Palestine), et la population arabe de nombreuses villes remplacée par les Juifs.

Toutes ces opérations furent menées dans l’indifférence générale. Les Britanniques, présents, étaient à la fin de leur mandat ; les rapports des observateurs de la toute nouvelle Onu, qui avaient pris leur relève, ne franchirent pas la barrière du Conseil de sécurité ; quant aux Jordaniens, ils en profitèrent pour conclure un accord de partage avec Israël et annexer la Cisjordanie. Ainsi, « sous l’œil vigilant des observateurs de l’Onu qui patrouillaient dans le ciel de Galilée, l’ultime étape du nettoyage ethnique, commencée en octobre 1948, s’est poursuivie jusqu’à l’été 1949. Du ciel ou du sol, il était impossible de ne pas voir les hordes d’hommes, de femmes et d’enfants qui avançaient tous les jours vers le nord » (p. 248). Or c’est dans ce drame qu’est enracinée la revendication palestinienne du « droit au retour », auquel Israël est viscéralement opposé. Ce droit a pourtant fait l’objet de l’unique décision de l’Onu favorable à la Palestine : la résolution 194 du 11 décembre 1948, témoin de la brève période où les États-Unis n’accordaient pas encore un soutien inconditionnel à Israël.

On ne reviendra pas ici sur l’interminable liste des exactions commises à l’égard de Palestiniens, dont l’auteur précise qu’elles n’ont guère cessé depuis lors. Par contre, on ne peut omettre de noter le comportement souvent froid et inhumain de l’armée israélienne, et l’impunité totale dont continuent à jouir soldats et gradés – en dépit de faits qui devraient tomber sous le coup de crimes contre l’humanité. Nombre de responsables publics, il est vrai, sont issus de l’armée, et la collusion est étroite entre les deux milieux ; et il n’est pas surprenant que l’armée ait été, et reste, l’exécuteur sans états d’âme et le complice d’objectifs politiques peu avouables. A commencer par la hitkansout (en hébreu : « convergence », ou « rattachement ») qui constitue pour Ilan Pappe « le noyau dur du sionisme sous des dehors légèrement différents : prendre le plus de Palestine possible avec le moins possible de Palestiniens » (p. 320)…

Le livre rejoint ici l’actualité. Le Monde du 3 février 2009 mentionnait un rapport officiel sur la colonisation en Cisjordanie, resté longtemps secret tant sa teneur est explosive, et révélé par la presse le 30 janvier : il « jette une lumière crue sur les déclarations pacifiques d’Israël et sur la position officielle selon laquelle les colonies ont été créées en accord avec les normes internationales et dans le respect de la propriété privée ». En cette affaire, affirme l’avocat d’une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, « il y a eu une violation systématique des lois internationales et du droit de propriété des Palestiniens ». Le silence continue d’entourer cette page d’histoire contemporaine. On comprend que personne n’ait osé accuser les Juifs de nettoyage ethnique au lendemain de la Shoah. Il n’en reste pas moins étonnant « que le nettoyage ethnique de 1948 (ait) été presque entièrement extirpé de la mémoire collective mondiale et effacé de la conscience du monde » (p. 28). Une paix sincère et durable entre Israéliens et Palestiniens pourra-t-elle jamais être édifiée dans ces conditions ?


Sylvain Urfer
1er février 2009
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