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Quand Robin des bois frappe les spéculateurs


Le 9 janvier 2012, Nicolas Sarkozy annonçait son intention de mettre en place une taxe sur les transactions financières (TTF) au niveau français dès 2012. La mesure est critiquée par certains dirigeants socialistes, qui jugent l’échelon national inapproprié, comme au sein de la majorité, qui voulait annuler en novembre un amendement du Sénat introduisant une TTF en droit français. Quels sont les enjeux et l’intérêt de cette taxe?

La taxe Tobin proposée en 1972 avait pour objectif d’enrayer la spéculation sur les devises, ne portait que sur les transactions de changes et proposait un taux de 1 %. La TTF discutée actuellement vise avant tout à prélever des sommes importantes au détriment des spéculateurs et au bénéfice de la collectivité. La société civile se mobilise dans une vingtaine de pays pour sa mise en œuvre rapide au profit des grandes urgences mondiales et des pays pauvres. Cette « taxe Robin des bois » vise l’ensemble des transactions boursières (actions, obligations, changes et produits dérivés) et propose un taux minime de 0,05 % en moyenne.

Sa faisabilité n’est plus guère contestée. De nombreux économistes la soutiennent, dont les Prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman, ou Jeffrey Sachs. Au G20 de Cannes, en novembre 2011, Bill Gates a rappelé aux chefs d’État qu’une telle taxe existait déjà de façon unilatérale dans de nombreux pays (Royaume-Uni, Suisse, Hong-Kong, Singapour, Brésil, Taïwan, Corée du Sud et Inde notamment), concluant qu’elle était « clairement techniquement faisable ». Un rapport du Fonds monétaire international de mars 2011 indique que 15 pays du G20 en disposent déjà, ce qui leur rapporte en tout près de 30 milliards de dollars par an.

L’utilisation des revenus reste débattue. Ne cédant apparemment pas à la tentation d’utiliser le produit de la taxe pour recapitaliser les banques, Nicolas Sarkozy affirmait à Cannes qu’une « partie à définir, importante majoritaire ou totale du produit, doit aller au développement ». L’intérêt serait double : freiner la spéculation et financer la lutte contre la pauvreté, l’illettrisme, les pandémies comme le sida ou le changement climatique. Dans les pays qui la mettent en œuvre, la taxe rapporte de 0,5 % à 0,8 % du Pib, ce qui, au niveau mondial, représenterait 300 à 500 milliards de dollars par an. De quoi apporter les moyens que nécessitent les objectifs du millénaire pour le développement d’ici 2015 (168 milliards de dollars par an) et l’adaptation au changement climatique (70 milliards de dollars par an).

Attendre un accord international ?

Qualifiée d’utopiste il y a quelques années, l’idée a fait son chemin, jusqu’à apparaître dans le communiqué final du G20 de Cannes. Depuis la crise financière de 2008, la société civile avait redoublé d’efforts en ce sens. Tout au long de l’année 2011, Paris a appelé à l’adoption par le G20 d’une TTF commune ou, à défaut, au lancement d’une coalition de pionniers. À Cannes, certains (le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du Sud ou encore l’Allemagne et l’Espagne) ont manifesté leur soutien, tous semblant s’accorder pour affecter une part des revenus au développement. Les États-Unis, réputés allergiques à toute forme de taxation et partisans de l’industrie financière, ont même renoncé à s’opposer à une TTF européenne.

Sur le plan européen, la Commission, historiquement hostile à la TTF, a fait volte-face en juillet 2011, lorsque les États membres ont indiqué qu’ils reverraient à la baisse le budget communautaire. Dès le 28 septembre, elle proposait une directive instaurant une TTF dans les 27 États membres, censée lever 57 milliards d’euros par an pour financer son budget. Le 8 novembre, elle a essuyé le rejet de nombreux États, dont le Royaume-Uni, le Danemark, Malte, la Suède et Chypre, opposés à l’augmentation des contributions au budget communautaire et au principe de taxation des activités spéculatives, dont certains se sont fait une spécialité. L’unanimité étant requise en matière fiscale et le budget communautaire devant être abondé par tous, les chances d’adoption de la directive sont faibles. Mais le 7 décembre 2011, la France et l’Allemagne ont indiqué leur souhait d’avancer vers une TTF au niveau de la zone euro, en utilisant les procédures de « coopération renforcée » et d’« orientation des politiques économiques », qui nécessitent en moyenne six ans pour aboutir. Depuis, le chef de l’État français a affiché son intention d’avancer, même seul.

Le caractère unilatéral de la démarche suscite des réserves. Certains font d’un hypothétique accord international ou européen un préalable indispensable. Cependant, la crainte de voir fuir les activités financières est largement exagérée. Certes, la taxe mal conçue de la Suède sur les courtiers en bourse, dans les années 1980, s’est soldée par un recours massif des Suédois aux courtiers londoniens. Certaines transactions sont plus difficiles à taxer, par exemple celles sur les contrats dérivés, ces produits financiers non régulés hautement spéculatifs. À Taïwan, la TTF est l’une des plus rentables au monde, mais les contrats à termes, taxés depuis 1999, ne génèrent que 5 % des revenus, ce qui suggère qu’une partie échappe à l’impôt. Reste que nombre de pays appliquent avec succès une TTF nationale. Année après année, les sommes collectées y restent très élevées. Loin de se délocaliser massivement, les activités financières imposées continuent. Le constat se vérifie aussi bien sur de grandes places financières très exposées à la concurrence, comme Londres ou Hong-Kong, qu’à Taipei ou Johannesburg. La taxe la plus significative est la Stamp Duty Reserve Tax anglaise, instaurée dans les années 1980, droit de timbre sur les transactions sur actions britanniques. Comme 70 % du footsie (équivalent britannique du Cac 40) est détenu par les investisseurs internationaux, l’essentiel de cette taxe pèse sur ces derniers. Si David Cameron s’oppose à une TTF européenne, c’est qu’elle renchérirait le coût global des transactions financières, aux dépens des profits engrangés par les banques de la City.

De quelques écueils

Les associations de solidarité internationale ont appris à ne pas se réjouir trop vite. En 2002, le gouvernement Jospin a déjà introduit une taxe sur les transactions de change… mais dans la foulée, il en a interdit l’application tant que toute l’Union européenne n’en aurait pas fait autant. Le risque d’une TTF au rabais est réel aussi, face au lobbying des banques et du vivier de cadres bancaires que constitue le ministère des Finances. En 2007, la Stamp Duty britannique rapportait 6 milliards d’euros, tandis que l’impôt de Bourse français n’en rapportait que 0,3. Surtout, les associations craignent que la taxe serve à renflouer les établissements financiers, annihilant une nouvelle fois les promesses présidentielles envers les pays pauvres. Si, en France, l’État perd son triple A, au Sud des dizaines de millions de personnes perdent leur santé, leur subsistance, leur vie. La taxe sur les transactions financières offre l’occasion unique de lever des fonds dédiés, pérennes et suffisants pour faire face aux urgences mondiales. L’utiliser pour éponger les excès spéculatifs, ce serait passer à côté de l’Histoire.


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