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Lors d’une expédition scientifique en Méditerranée, un équipage croise la route d’un banc de raies Mobula. Cette rencontre pacifique et curieuse inspire au philosophe et pisteur Baptiste Morizot une réflexion sur le rapport de l’humain aux autres vivants.
C’est un matin sur la mer d’huile, sur un voilier au large, pas de vent depuis deux jours, pas de houle, hors de portée de toute côte, inaccessible, et le ciel blanc comme un cercle posé sur tous les horizons, le silence, tout donne l’impression qu’on navigue désormais dans un autre monde – une mer originelle. Nous sommes en Méditerranée pour la mission Whaleway. L’enjeu est d’enquêter sur les mœurs invisibles des cachalots.
Ce matin-là, sur la mer d’huile donc, après deux heures de quart infructueux, quelqu’un crie à l’avant : des ailerons à 12 heures, ce sont des raies Mobula ! Nous glissons dans la mer d’argent, nos corps augmentés par les grandes palmes d’apnée, les combinaisons et les masques. Nous croyons nager vers elles, mais ce sont elles qui avancent. Deux apparaissent dans la vitre du masque, puis trois, puis cinq, puis elles sont impossibles à compter dans le ballet anonyme de leur bande, et elles nous voient.
Au lieu de disparaître, elles se jettent vers nous, dans une ondulation paresseuse et fulgurante, elles sont là, elles glissent entre nos corps, d’un coup d’aile elles s’approchent presque à nous toucher et, au moment de disparaître, elles font le mouvement conscient et volontaire de bifurquer pour revenir à nous encore, et encore, et encore, pendant plusieurs dizaines de minutes, interminables comme un salut berbère.
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