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La biodiversité en sursis

La barge à queue noire est sur la liste rouge des espèces menacées en France de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). / Crédit : Pixabay
La barge à queue noire est sur la liste rouge des espèces menacées en France de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). / Crédit : Pixabay

Plus d’un million d’espèces sont menacées de disparition à court ou moyen terme. Ce constat appelle une mise en application ambitieuse de la Convention sur la diversité biologique.


Après deux reports successifs dus à la Covid-19, la 15e Conférence des parties ou COP15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) devrait se tenir à Kunming, en Chine, en octobre 2021. Elle réunira les délégations des 196 États parties de cette convention adoptée en 1992 au sommet de la Terre de Rio de Janeiro, peu avant celles sur le climat et sur la lutte contre la désertification.

La CDB vise trois finalités : la conservation de la diversité biologique (dont la protection des espèces et des écosystèmes), l’utilisation durable de ses éléments (comme une pêche responsable n’épuisant pas les stocks) et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques (par exemple lors de la conception d’un médicament à partir d’une plante endémique à un pays).

Dans son « Plan stratégique 2002-2010 », la COP6 de La Haye s’était fixé pour objectif de réduire fortement le rythme de l’érosion de la diversité biologique. Or celui-ci s’est au contraire accéléré. Huit ans plus tard, la COP10 de Nagoya définissait à son tour un « Plan stratégique 2010-2020 » assorti des « 20 objectifs d’Aichi ». Hélas, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) a montré, dans son « Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques » adoptée à l’unanimité en 2019 par les 132 États-membres, et confirmée en 2020 par la cinquième édition du Global Biodiversity Outlook de la CDB, que seuls quatre de ces objectifs seraient partiellement atteints.

20 811 populations de 4 392 espèces de vertébrés ont perdu 68 % de leurs effectifs en quarante-six ans.

Le rapport Ipbes, synthétisant 15 000 publications scientifiques du monde entier, dresse un tableau sans concession de l’état du monde vivant : réduction de la forêt à 54 % de son niveau préhistorique au rythme de 13 millions d’hectares défrichés par an ; disparition de 87 % des zones humides existant en 1 700 ; extinction depuis 1850 de 1,8 million d’espèces d’eucaryotes1 ; menace de disparition d’un million d’autres espèces sur les quelque 8 millions subsistant aujourd’hui et effondrement des populations d’espèces sauvages.

L’indice « Planète vivante 2020 » du WWF le confirme : en moyenne, 20 811 populations de 4 392 espèces de vertébrés ont perdu 68 % de leurs effectifs en quarante-six ans. Les causes principales en sont clairement identifiées et hiérarchisées : le changement d’usage des terres, la surexploitation des espèces sauvages, le réchauffement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes.

Écosystème complexe

L’échec de ces plans stratégiques2 est dû au fait que leurs objectifs étaient surtout incantatoires, ne prévoyant ni étapes intermédiaires, ni cibles chiffrées, ni mécanisme pour suivre objectivement les progrès et échecs de chaque État, ni articulation entre les mesures prises aux niveaux national et international. Surtout, le fonctionnement « en silo » des négociations internationales n’a pas permis de coordonner la CDB et les autres conventions. Enfin, les moyens financiers étaient insuffisants pour faire tenir ses objectifs à chaque État et soutenir spécialement les pays en développement.

La CDB s’inscrit dans un « écosystème » institutionnel particulièrement complexe. Il existe, d’une part, une multitude de conventions thématiques ou régionales traitant de la nature, dont cette convention devrait être « le vaisseau amiral ». Citons notamment la Convention de Washington réglementant la chasse aux cétacés (1946), la Convention de Ramsar sur les zones humides (1971), la Convention de l’UNESCO sur le patrimoine mondial (1972), la Convention de Washington sur le commerce international des espèces menacées (1975), la Convention de Bonn sur les espèces migratrices (1979), la Convention sur la conservation de la faune et la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR, 1982) ou encore la Convention de Berne sur la faune et la flore en Europe (1982) et les directives et règlements européens qui en dérivent, sans oublier les négociations en cours pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine de la « haute mer ».

La biodiversité n’est pas un enjeu secondaire à traiter après la crise de la Covid-19 et le retour hypothétique du monde d’avant.

D’autre part, les principales pressions exercées sur la biodiversité, le climat et la santé procèdent d’activités régies par d’autres institutions et traités internationaux qui ont jusqu’à présent relégué ces enjeux au second plan derrière les impératifs économiques (cf. les travaux de l’Iddri). Citons la FAO pour l’agriculture, l’Organisation mondiale du commerce pour les échanges marchands et, parmi les traités, les trois Conventions sur les déchets et les produits chimiques dangereux (1989, 1998 et 2001), sans oublier la Convention de Montego Bay des Nations Unies sur le droit de la mer (1982).

En pleine crise de la Covid-19, au moment où l’ensemble de l’économie mondiale peine à retrouver son rythme et où bien des États sont tentés par le repli sur soi et l’abandon du multilatéralisme, les puissances publiques prendront-elles enfin au sérieux l’avenir du monde vivant et de l’espèce humaine ? La biodiversité n’est pas un enjeu secondaire à traiter après la crise de la Covid-19 et le retour hypothétique du monde d’avant. En 2020, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et l’Ipbes ont mis en évidence une augmentation depuis cinquante ans du nombre d’épidémies émergentes chez l’humain (de deux à cinq nouveaux agents infectieux par an, dont 70 % d’origine zoonotique3).

« One Health »

Ce phénomène s’explique en grande partie par l’érosion de la biodiversité et la multiplication des contacts entre les humains, la faune domestique et la faune sauvage, du fait de la déforestation, de la multiplication des infrastructures, mais aussi de l’écotourisme, de la chasse, du braconnage ou encore des trafics et du maintien en captivité d’animaux sauvages. Les mécanismes impliqués, aggravés par le dérèglement climatique, sont de différentes natures : écologiques (destruction et fragmentation des habitats, changement d’aires de répartition de certains insectes vecteurs), épidémiologiques (amplification liée à la perturbation des communautés écologiques), adaptatifs (changements comportementaux de certaines espèces) et évolutifs (rupture de liens entre des pathogènes et leur hôte habituel).

Il n’est pas possible de garantir une humanité en bonne santé sur une planète malade.

Il n’est pas possible de garantir une humanité en bonne santé sur une planète malade. Notre santé et celles des animaux et végétaux domestiques sont soutenues par un monde sauvage sain et une planète saine. C’est la clé du concept « One Health ». Les enjeux humains sont aujourd’hui mondiaux et aucun pays, même le plus riche, ne pourra tenir seul si le climat est totalement déréglé, si la biodiversité est profondément perturbée et diminuée et si les épidémies se multiplient. Les changements globaux partagent souvent les mêmes causes : surconsommation, gaspillage, inégale répartition des richesses et démographie incontrôlée.

Les affronter suppose de dépasser les fonctionnements « en silo » des accords internationaux, de créer des passerelles efficaces et de leur faire prendre impérativement en compte les enjeux climatiques, sanitaires et de biodiversité et les acquis de la CDB. À défaut, les États continueront d’encourager la déforestation pour étendre les surfaces agricoles ou y installer des centrales photovoltaïques au sol, d’exploiter les ressources marines jusqu’au dernier poisson, de dégrader la biodiversité des sols et les infrastructures écologiques (haies, mares, etc.), tout en gaspillant des millions de tonnes de nourriture et d’eau. Il deviendra alors impossible de nourrir une communauté humaine qui continue de croître, les nouvelles pandémies s’enchaîneront et l’économie mondiale en pâtira.

Le chemin vers la COP15 est jalonné de négociations préparatoires. Depuis 2018, un groupe ad hoc prépare la proposition de « Cadre Post 2020 » qui succédera aux plans précédents. Il s’agit notamment de consolider la vision 2050 (« vivre en harmonie avec la nature »), d’actualiser la structure d’objectifs avec des cibles chiffrables aussi compréhensibles que les « +1,5 °C » de la Convention sur le climat, de se donner des indicateurs de suivi mesurables (comme les superficies d’espaces protégés), de fixer des règles de transparence (données sincères) et de fonder la responsabilité de chaque niveau de décision.

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1 Espèces dont les cellules sont dotées d’un noyau : plantes, animaux, champignons, etc.

2 Cf. travaux de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), notamment de Aleksandar Rankovic (2020).

3 C’est-à-dire que l’agent infectieux existait déjà, le cas échéant sous une autre forme, dans des organismes animaux.


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