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Personnes âgées et confinement : Que dit le droit ?

© iStock/Dobrila Vignjevic
© iStock/Dobrila Vignjevic

La crise sanitaire a conduit le gouvernement français à adopter, dans l’urgence, lois, arrêtés, décrets et ordonnances. Les règles de confinement adoptées en mars dernier ont particulièrement affecté les plus âgés. Au moment où la liberté se trouve restreinte pour tous, l’égalité de la mise en œuvre en arrive-t-elle à davantage laisser mourir les aînés ? Une analyse de la situation sous l’angle du droit.


Trois termes articulent ici la réflexion : les personnes âgées, le fait du virus et les mesures de confinement1. L’expression « personnes âgées », terme repris par le droit français (plutôt que seniors, vieillards, anciens ou aînés), est un construit social. Elle désigne, dans le code de l’action sociale et de la famille, toute personne majeure bénéficiant, à partir de 65 ans d’âge, de prestations (en espèce ou en nature) en cas de perte d’autonomie évaluée. L’âge varie dans d’autres situations. Ainsi, avoir 60 ans ouvre par exemple le droit à une allocation personnalisée d’autonomie (Apa).

Citoyenne comme toute autre, la personne âgée est titulaire et exerce tous ses droits et libertés. Seule une mesure judiciaire définitive, prise par le juge compétent, peut priver, limiter, mais surtout et d’abord, accompagner l’exercice de ces droits et libertés. Cette protection émaille tout le droit, en parlant de « majeur vulnérable », de « personne en état de faiblesse », ou de « personne vulnérable en raison de l’âge ».

Le virus sous l’oeil du droit

La pandémie a interrogé trois choses. D’une part, la mise en œuvre de la protection juridique des anciens. Celle-ci ne brillait déjà pas en temps ordinaire par un soutien étatique résolu et adéquat envers les plus âgés. N’est-elle pas maintenant anéantie, laissant les majeurs vulnérables livrés à eux-mêmes ? De plus, le droit élaboré lors de la pandémie ne renverse-t-il pas l’économie de la protection de façon inédite, en établissant, en ce qui concerne l’exposition au virus, une faiblesse présumée pour toute personne âgée ? Enfin, sans contrôle basé sur une décision individualisée émanant d’un pouvoir judiciaire (d’ailleurs mis en veilleuse en ces temps de crise), le justiciable âgé ne rentre-t-il pas dans l’invisibilité et le non-droit ?

Pour le droit, le coronavirus est « un micro-organisme hautement pathogène présentant les risques les plus élevés pour la santé publique ».

Pour le droit, le coronavirus est « un micro-organisme hautement pathogène présentant les risques les plus élevés pour la santé publique2 ». C’est une chose vivante et donc en constante évolution. Le phénomène, tantôt décrit comme une maladie transmissible, une épidémie, une pandémie (selon l’Organisation mondiale de la santé ou le code de la santé publique) constitue un fait, lui aussi en évolution. Il sera qualifiable de plusieurs façons selon que s’ouvrira ou non un « droit à » une réparation et au statut de victime.

Le phénomène pourrait relever d’un des « accidents de la vie courante » définis comme « l’ensemble des traumatismes non intentionnels » (code de la santé publique). Il pourrait également relever d’un « risque de catastrophes naturelles, de calamité publique ou de risque naturel prévisible » (code de l’environnement) d’un genre nouveau et donc assurable (selon le code des assurances). Il pourrait déclencher la responsabilité générale, soit pénale des risques causés à autrui, soit civile de personnes physiques (des ministres, des médecins, etc.), ainsi que la responsabilité spéciale des fabricants, importateurs ou utilisateurs en aval de toute substance dangereuse ou résultant du défaut de contrôle aux frontières (code de la santé publique). Pendant la pandémie, cela n’a pas d’ailleurs pas échappé aux autorités, qui ont pris le temps d’encadrer la responsabilité pénale. Celle-ci sera plus difficile à établir et, du même coup, la faute civile le sera également.

Il y a atteinte d’un type nouveau à la sécurité, définie comme « un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives ».

En tout cas, il y a atteinte d’un type nouveau à la sécurité définie comme « un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives » que l’État a le devoir d’assurer (code de la sécurité intérieure). La pandémie touche, parmi d’autres droits fondamentaux, à celui à la protection de la santé. Ce droit « doit être mis en œuvre par tout moyen disponible au bénéfice de toute personne », notamment par la prévention, « l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé, […] la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible » (code de la santé publique). Or la gestion à flux tendu du domaine de la santé n’a-t-elle pas exclu la possibilité de réagir efficacement à une pandémie ? Pauvreté en matériel adéquat et mesures de triage médical sont les conséquences d’une situation créée en milieu institutionnel et hospitalier par les récentes réformes managériales, d’ailleurs intégrées dans le droit.

Chose, fait, phénomène : le virus fait naître dès le 31 janvier 2020 une règlementation mille-feuille sous état d’urgence, d’abord sanitaire puis étendue à tous les domaines de la vie. Elle aboutit à la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, inscrivant un nouveau chapitre traitant de l’état d’urgence sanitaire dans le code de la santé publique. Cette loi déclare l’état d’urgence sanitaire Covid-19 et son train de mesures ; un état prorogé jusqu’au 11 juillet 2020 par une loi du 11 mai 2020 – avec des modifications. De tels ajustements continuels garantissent-ils la stabilité et la clarté du droit ? Le droit protège-t-il ainsi véritablement la vie et la santé de toute personne ?

Confinement des aînés

Le confinement des personnes âgées, effectif à partir du 17 mars 2020 (comme pour toute personne physique3) se relâche à partir du 12 mai 2020 (déconfinement par étapes) et du 5 juin 2020 relativement aux visites en institutions (Ehpad, etc.).

Le terme « confinement » touche à l’espace dans lequel vivent des êtres vivants et aux effets sur leurs rapports mutuels et leurs rapports aux choses inertes. Juridiquement, il se traduit par le terme nouveau de « mesures barrières », ou « mesures d’hygiène et de distanciation sociale dites “barrières” ». Définies au niveau national, ces mesures de police administrative sont générales ou individuelles. Prises « aux seules fins de garantir la santé publique », elles doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Le sont-elles ?

Pour les personnes qui vivent hors du domicile, en Ehpad notamment, les mesures sont plus restrictives que pour celles vivant à leur domicile.

Outre les ressources physiques, morales, sociales et spirituelles, vivre le confinement dépend du lieu de vie au départ de la pandémie. Deux situations possibles. Pour les personnes qui vivent au domicile, restent possibles, moyennant les gestes barrières, les « achats de première nécessité », les « déplacements pour des motifs de santé », « l’activité physique individuelle » en sortant de chez soi brièvement, les sorties pour les besoins de « l’animal de compagnie ». Pour les personnes qui vivent hors du domicile, en Ehpad notamment, les mesures sont plus restrictives : tout déplacement à proximité, vers et hors l’institution, est interdit, sauf prescription médicale. Les seuls contacts autorisés passent par des visites parloirs ou derrière une vitre via téléphone : relations visuelles et vocales, sans toucher, même avec l’entourage professionnalisé.

Un regard réducteur

Les mesures juridiques aident-elles à compenser ces situations pour les rendre moins pénibles, moins mortifères pour les personnes âgées ? Leur a-t-on seulement laissé la liberté d’une extraction des lieux clos où elles vivaient ? L’aide garantie, acheminée au domicile ou en institution, s’est adaptée ou raréfiée. Le droit a accentué, pendant la pandémie, le recours à la digitalisation des services (communication, paiement). La télé-médecine s’est imposée pour le suivi des patients chroniques et affectés, ce qui a exclu de facto les personnes sans technologies ou ne pouvant les utiliser. Le droit « Covid-19 » paraît ignorer toute discrimination positive soutenant les aînés, davantage exposés en milieux clos ou seuls, tout en les réduisant conceptuellement à un groupe affecté d’une vulnérabilité clinique.

Le droit « Covid-19 » paraît ignorer toute discrimination positive soutenant les aînés, tout en les réduisant conceptuellement à un groupe affecté d’une vulnérabilité clinique.

Et pourtant, les mairies connaissent « les éléments minimums relatifs à l’identité, l’âge et au domicile des personnes âgées » (code de l’action sociale) ainsi que leurs caractéristiques socio-professionnelles. Les données personnelles et sanitaires liées à l’épidémie Covid-19 sont davantage collectées et partagées (via le téléservice Contact Covid ou la plateforme SI-DEP – pour « système d’information de dépistage ») en diminuant l’espace de la vie privée et du secret médical. Face à l’étendue des informations et des pouvoirs d’urgence, pourquoi le virus reste-t-il donc si redoutable pour les personnes âgées vivant à des degrés variables la dépendance et, en particulier, celles vivant en milieu clos ?

Voilà un début de regard posé sur le droit français du confinement des personnes âgées en période de pandémie Covid-19. Les faits montrent que la raréfaction des interactions signifiantes et des espaces où évoluer poussent les plus fragiles à un accroissement de « taedium vitae » (affadissement de la vie, selon Sénèque), à un syndrome de glissement (se laisser mourir), voire au suicide. Une corrélation est certainement à étudier entre pauvreté, exposition au virus, qualité du confinement et effets physiques et psychiques, lorsque la dimension sociale propre à tout être humain se restreint ou s’éteint4. À quoi s’ajoutent les effets spirituels, souvent oubliés.

Le droit d’urgence échoue gravement à saisir ces faits de pandémie pour rejoindre la protection pour tous, et spécialement pour les aînés.

Le droit d’urgence, modulable selon les circonstances, échoue gravement à saisir ces faits de pandémie pour rejoindre la protection pour tous et spécialement pour les aînés. Pourtant, dans le code civil, le principe est clair : « Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire […]. Cette protection […] est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci. Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. » La règle d’humanité n’assigne-t-elle pas au droit de toujours soutenir l’espérance ? Est-il si fort, ce virus, qu’il puisse en saper les fondements et la confiance des plus vulnérables en sa force protectrice ?

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1 Une étude étendue est en voie d’achèvement, en collaboration avec Me Florence Fresnel du barreau de Paris. Les textes législatifs et réglementaires, les avis ou rapports cités ici se trouvent sur le site www.legifrance.gouv.fr.

2 Annexe I de l’arrêté du 30 avril 2012 fixant la liste des micro-organismes et toxines prévue à l’article L 5139-1 du code de la santé publique.

3 Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant règlementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19.

4 Voir la réponse du comité consultatif national d’éthique à la saisine du ministre des Solidarités et de la Santé, « Covid-19. Enjeux éthiques face à une pandémie », 13 mars 2020.


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