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La Chine verte défie les entrepreneurs français


RésuméSéduire les marchés verts chinois est un pari difficile, dans un pays qui hérite d’une culture éloignée de la modernité dispendieuse. Un éclairage de la Chambre de commerce et d’industrie française en Chine.

Dans nos vieux pays industriels, les décideurs d’entreprises comme les analystes de l’économie ont parfois du mal à admettre l’émergence de la Chine comme deuxième et bientôt première puissance économique mondiale. Ces vingt dernières années, ils ont cherché à se rassurer, comme un enfant qui, sur la plage, reconstruit inlassablement un château de sable toujours plus haut, que la marée recouvre inexorablement. Premier château : les besoins intérieurs de la Chine devaient endiguer le flot de leurs produits sur nos marchés. Le deuxième : la qualité des produits chinois devait les disqualifier sur nos marchés exigeants. Le troisième : les coûts sociaux devaient ralentir la croissance chinoise. Énième château de sable : celui de la contrainte environnementale sur la croissance. Il y a mieux à faire que de poursuivre cette course contre l’évidence : aucun de ces châteaux ne nous protégera durablement. Mieux vaut tenter de repérer les horaires des marées chinoises, comprendre leurs mouvements, leurs moments de force et de faiblesse et y inscrire notre propre trajectoire.

La Chine connaît les enjeux environnementaux de sa croissance nationale et du monde et assume de plus en plus son image de puissance dominante. Cette conscience existe bien dans l’appareil d’État chinois. Entre anciens et nouveaux, acteurs politiques et techniciens, des débats animent cet appareil quand il s’agit de définir des politiques à l’échelle du pays. La Chine sait ce qu’elle a à faire pour associer croissance et environnement et, mieux encore, quand elle ne le sait pas, elle va chercher les solutions ailleurs.

Au niveau mondial, il est possible que ce ne soit plus la même partie du « cerveau politique » chinois qui fonctionne. L’Empire du milieu se positionne en concurrent direct des entreprises étrangères. Dans les pays où l’État est faible, les exigences environnementales semblent moins contraignantes qu’en Chine même. Vu de France, la « Chine-Afrique » est le lieu où cette compétition paraît s’exprimer le plus vivement. Mais la Chine se fait extrêmement présente en Amérique latine et au cœur de l’Europe. Ses investissements en Grèce et au Portugal sont la partie émergée d’un iceberg en formation.

La stratégie verte de la Chine est-elle visible pour les entreprises étrangères? A-t-elle un pouvoir d’entraînement sur leur recherche et développement (R&D) dans le champ des technologies et des produits « verts »? Quel est leur accès réel aux marchés verts chinois? Après un regard sur le territoire, on analysera les opportunités et les risques que présente, pour les entreprises étrangères, la stratégie internationale de Pékin dans le domaine de l’environnement.

La difficile conquête des marchés chinois

Il y a en Chine une économie dédiée à la meilleure adéquation entre croissance et exigences environnementales. Mais est-elle ouverte à l’étranger? Y emporter un marché est une équation complexe. Souvent, les chefs d’entreprises français font porter leur lobbying sur les ministères, à Pékin. Il est vrai que de grands chantiers y sont conçus et que les industriels allemands tirent leur force de leur capacité à s’y présenter avec tous les corps de métiers requis. Les entreprises françaises, dans l’industrie ferroviaire par exemple, peinent à franchir les barrières des appels d’offres.

Mais bien des marchés se jouent au niveau de la province, du district ou de l’entité urbaine. Les provinces et les municipalités (Pékin, Shanghai, Tianjin et Chongqing) ont une grande autonomie pour traiter, décider et financer des actions sur ces marchés. Or nos entreprises1 ont du mal à intégrer qu’il est stratégiquement plus adapté de se positionner au cœur des territoires, où il est plus aisé de construire un relationnel, que devant la porte du palais impérial! En outre, la grande majorité d’entre elles n’ont probablement pas la taille d’un positionnement national sur ces marchés. Être présent, connu, référencé sur une province chinoise, même moyenne (la plupart ont une population comparable à celle de la France), est un vrai succès commercial. Mais considérer la Chine comme une pluralité de marchés à gagner n’est pas encore une évidence pour nos entreprises, poussées à exporter, mais inadaptées dans leurs structures (financière, R&D) et leur management. De nombreux chefs d’entreprise se plaignent de l’opacité des marchés et des « cités interdites » des ministères à Pékin : le légendaire guanxi2 a bon dos… D’autres ont depuis longtemps compris la géographie des affaires en Chine. Carrefour, du fait de son activité, a une connaissance poussée du terrain et y adapte son approche, de même que Veolia sur d’autres marchés (eau, déchets, transports).

Ne soyons pas naïfs; l’opacité et les dysfonctionnements existent aussi au niveau des territoires provinciaux : dates de clôtures d’appel d’offres avancées pour favoriser telle entreprise – nationale le plus souvent –, utilisation des marchés comme levier de négociation avec l’étranger… Face à la logique politique, le critère de qualité intrinsèque d’une offre n’est pas nécessairement décisif pour l’emporter. L’histoire d’Airbus en Chine est instructive sur ce point. Pour « vendre heureux » en Chine, il est parfois avisé de « vendre caché », à l’ombre des marchés de niveau provincial. Enfin, rien n’est jamais acquis. Il est très difficile de savoir si et quand une décision d’attribution est prise de façon ferme et définitive. Cette pression peut devenir insoutenable pour des entreprises de petite taille, qui n’ont pas assez de trésorerie pour financer une présence sur place en vue de faire accoucher de la décision.

De plus, vendre vert est un défi de R&D et de performance que la Chine sait placer à haut niveau, exigeant non seulement les versions les plus avancées des produits et équipements mais aussi savoir-faire. Les entreprises étrangères doivent être en mesure d’évaluer si leur offre est à la hauteur des enjeux environnementaux chinois. Est-elle adaptée à la Chine, à la sortie de la pauvreté de masse et à l’émergence d’une classe moyenne? Combien d’entreprises se sont accrochées à la conviction que, leurs produits étant les meilleurs, c’était au client de s’améliorer pour accéder à ce « standard »! L’industrie automobile française en Chine est un véritable cas d’école. Après l’échec de Peugeot à Canton, puis la lente remontée de PSA Citroën à Wuhan, le groupe a pris dernièrement des décisions stratégiques pour s’adapter aux spécificités culturelles chinoises : cylindrées des véhicules, volumes, espaces intérieurs, carrosseries et gammes de couleurs, service après vente, etc. Dans le secteur de l’environnement, la pertinence du positionnement dans la complexité chinoise est un des points forts de l’offre française. Des entreprises comme Veolia, GDF Suez, Degrémont, la Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime ou AREP sont en mesure de proposer de vrais hubs environnementaux autorisant la gestion qualifiée des flux (air, eau, transports, électricité, carbone, gaz, déchets, etc.) articulés à un savoir-faire reconnu en urbanisme et en architecture urbaine. En témoignent l’intégration réussie, dans un tissu urbain dense et complexe, de leurs solutions technologiques dans les villes de Wuhan au centre du pays, Chengdu plus à l’ouest, ou Tianjin sur le Golfe de Bohai (à l’est de Pékin).

Une tradition de sobriété forcée

Ce besoin impérieux d’adaptation s’applique également au secteur de l’industrie verte. L’environnement comme enjeu de société mérite une mise en perspective culturelle, historique et sociétale, tant l’achat vert est indissociable en Chine de la relation très particulière tissée avec l’environnement naturel. Tout au long de son histoire, la Chine a été très peuplée, mais limitée en ressources alimentaires, donc le lieu de disettes toujours possibles et, de fait, assez fréquentes. Ainsi se sont forgées une culture et une économie de valorisation des rebuts. Les Chinois ont su donner une valeur gastronomique, parfois la plus haute, à des produits comme les abats animaux, les racines… qui, en situation d’abondance alimentaire, auraient été ignorés. Quittant les disettes endémiques, dans la seconde moitié du XXe siècle, la Chine émergente des années 2000 voit cette étonnante spécificité culturelle et économique s’affadir.

On a même le sentiment qu’une course contre la montre s’est engagée pour ne pas perdre cette mémoire de la précarité, face à la séduction d’une modernité dispendieuse. La Chine semble vouloir mettre la « sobriété ancestrale » (pas nécessairement choisie par le peuple!) au service de ce défi ahurissant de la modernité : croître sans polluer, consommer sans dilapider ce qui n’est pas disponible à merci, etc.

Quoiqu’imperceptible depuis la France, au milieu du bruit de fond médiatique qui stigmatise le pays le plus pollueur au monde après les États-Unis, il existe en Chine un véritable désir d’une consommation plus durable. La Chine s’y engage par la recherche. Dans les universités et les laboratoires de recherche, l’intelligence scientifique est portée à la fois par les cerveaux des plus anciens, éduqués à la dure par les décennies Mao, et par de jeunes générations de chercheurs, soucieux d’éviter que leur pays n’avance vers l’abîme. L’innovation se développe tant dans le secteur des énergies renouvelables ou de l’économie circulaire3 que dans la pharmacie et la santé publique, entre tradition chinoise et modernité de type occidental.

La rencontre n’est-elle pas difficile entre les technologies du temps de l’abondance proposées par nos pays et une part de prudence lucide du plus grand pays du monde, qui sait que l’équation de son avenir n’est pas celle qui a conduit au développement des pays dits riches? Nos entreprises ont-elles gardé la mémoire des savoir-faire et des comportements managériaux d’avant l’abondance? Cette spécificité chinoise se traduit par des choix technologiques et des calendriers de développement qui peuvent interpeller les entreprises étrangères. Quitte à devenir pour elles une force d’entraînement. Elles auraient tort, en tout cas, de choisir une stratégie de tranchées, à l’instar de la médecine occidentale officielle qui n’a toujours pas accepté la main tendue de la médecine chinoise.

La Chine sur les marchés verts du monde

La Chine est entrée massivement en concurrence avec nos entreprises sur les marchés internationaux, tant autour des matières premières et des ressources énergétiques que des terres agricoles, des ressources forestières et halieutiques ou des marchés d’équipements et de produits verts (équipements solaires, éoliens et de stockage de l’énergie, matériaux de construction, pharmacie, technologies des protéines, etc.). En Europe comme en Afrique, les entrepreneurs chinois rencontrent tout à la fois des succès et de vraies difficultés. Eux aussi doivent vaincre leur propension à ne pas faire confiance aux étrangers et intégrer les particularités du cheminement des affaires au Congo, en Algérie, en France ou en Grèce!

Ces difficultés sont aussi le signal de partenariats possibles pour les entreprises étrangères, qu’elles soient déjà présentes dans l’Empire du milieu et en mesure de présenter une offre en ce sens aux entreprises chinoises, ou qu’elles sachent se montrer utiles pour mieux pénétrer les marchés en Afrique ou en France. Le partenariat entre entreprises chinoises et françaises peut ainsi consister en un accès aux marchés chinois contre une participation sur les marchés à l’étranger. Encore réservé à de grands groupes pétroliers, nucléaires et électriques, ce modèle a récemment gagné des secteurs comme les minéraux industriels, les ressources océaniques, le solaire et l’éolien. Les services de promotion du commerce extérieur français cherchent à promouvoir de tels partenariats sur les marchés outre-mer. Car les marchés verts mondiaux de demain seront probablement occupés par ceux qui apprennent dès aujourd’hui à associer concurrence et complémentarité avec les entreprises chinoises.

Hétérogénéité des territoires, préférence nationale massive et assumée, pauvreté culturelle de nos entreprises concernant la Chine… Le chemin d’accès aux marchés environnementaux de ce « Géant qui sommeille » émergent est semé d’embûches. On peut se tenir devant la Chine comme le héros du Désert des Tartares (de Dino Buzzati) ne guettant et n’attendant pour agir que l’avènement de son propre désir. Or, de ce désert seul, aucun Tartare ni aucun Chinois ne sortira! Il faut se placer dans le désir de l’autre, l’habiter et le rencontrer. C’est le cœur même de la démarche client d’une entreprise étrangère en Chine.

Notes


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(1) Il y a lieu de traiter différemment l’approche des marchés chinois par les grands groupes industriels. Seules les PME, les très petites entreprises et les entreprises de taille moyenne ou intermédiaire sont concernées par ces lignes.

(2) Réseau de relations personnelles et professionnelles d’une personne, qui fonctionne sur le mode du donnant-donnant.

(3) L’économie circulaire consiste à rapprocher les écosystèmes industriels du fonctionnement des écosystèmes naturels, équilibré et quasi-cyclique.


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