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Psychiatrie : les murs, les secteurs, les chapelles


Resumé Comment faire de l’hôpital psychiatrique un lieu de vie où les malades soient à l’abri des difficultés du monde, mais où ils ne restent pas trop longtemps ? Entre les murs, les secteurs et les querelles de chapelles, les professionnels peinent.

Projet – Depuis les années 70, la concentration et la mise à l’écart des malades psychiques ont laissé théoriquement la place à la sectorisation, avec le développement de structures extra-hospitalières plus légères. L’internement à l’ancienne a-t-il vraiment disparu ? Et à quel type d’équipement appartient l’hôpital Charcot où vous exercez vos responsabilités ?

Michaël Robin – Je n’ai pas connu les formes d’internement à l’ancienne, avec le recours à la douche froide, l’imposition d’un uniforme obligatoire pour les malades, ni des traitements barbares, mais j’ai néanmoins connu une forme de psychiatrie asilaire, lorsque j’étais interne en médecine générale en 1987, dans l’hôpital où nous nous trouvons. Et j’ai été confronté à la question de la psychiatrie asilaire lors de mon internat de psychiatrie à Marseille.

L’hôpital Charcot est un établissement public de santé construit au début des années 60, selon les principes idéologiques de la psychiatrie institutionnelle, qui voulait permettre de redonner au malade sa place dans la société. Les malades ont quitté alors le grand hôpital psychiatrique de Clermont de l’Oise (plus de 3 000 lits) pour trouver ici, selon les termes du projet du fondateur, un petit hôpital de 200 places à la campagne où ils puissent vivre, avec ses petits pavillons, sa chapelle, son coiffeur, son café et son grand parc, un hôpital-village qui soit une institution soignante et pas seulement gardienne des malades.

En 1987, s’y trouvaient du coup des malades hospitalisés parfois depuis plus de dix ans : par un effet pervers de la volonté originelle, sans doute, ils vivaient dans ce lieu plus qu’ils n’y étaient soignés. J’ai trouvé aussi de la violence et des équipes soignantes qui avaient tendance à se retrancher dans leur pavillon-forteresse. On peut dire que la psychiatrie institutionnelle a connu une dérive asilaire générale : vouloir le bien-être du malade revenait à faire l’inverse de ce que disait la théorie prévoyant de faire vivre les malades dans leur environnement naturel. On avait le sentiment qu’entrer à l’hôpital, c’était se couper du monde. Cette psychiatrie qui se voulait hors les murs a permis, dans les années riches pour cette spécialité, d’être dans une logique d’équipement ; c’est ainsi que le secteur public a pu ouvrir nombre d’établissements divers de soins et d’accompagnement pour les patients. Mais, curieusement, les psychiatres sont demeurés depuis dans une logique de demande de moyens alors que les choix politiques des années 80 (budget global, etc.) allaient en sens inverse. La durée d’hospitalisation en milieu psychiatrique avait à l’époque à peine diminué (plus de 200 jours par an en moyenne) par rapport aux années 60. Il faudra attendre les années 90 pour constater une baisse de la durée d’hospitalisation, avec l’augmentation continue de l’activité des structures ambulatoires.

Projet – Cette évolution a-t-elle été la même partout ?

Michaël Robin – Non, bien sûr. Tout dépend de la structure. Chaque secteur a un projet de soins pour son territoire. Ici, par exemple, l’hôpital regroupe six secteurs adultes et deux unités de psychiatrie infanto-juvénile. Lors de la mise en place des secteurs, le projet était que chacun d’eux propose toute la palette des soins, de la prévention aux soins les plus spécialisés en passant par la médecine d’urgence, la réadaptation, la resocialisation, etc.

Même si, jusqu’au milieu des années 80, le secteur (c’est-à-dire une unité territoriale correspondant à 80 000 habitants) a été utilisé pour développer l’appareil de soins, on se rend compte qu’il existe des situations et des problèmes pour lesquels on ne peut pas organiser les soins à cette échelle, mais plutôt pour deux ou trois secteurs à la fois, voire à une échelle plus large. Ainsi pour la réponse aux urgences : elle a été pensée et organisée à l’échelle d’un territoire de santé de 600 000 habitants.

Un autre problème est celui de la relation avec les structures médico-sociales qui ne dépendent pas du secteur. Celles-ci peuvent être des lieux d’hébergement – foyers occupationnels ou familles d’accueil –, des lieux d’insertion comme les Esat (anciens Cat) ou des services d’accompagnement à la vie sociale (Savs) : leur financement dépend largement des Conseils généraux et en partie de l’État. Le lien avec toutes ces structures était assez lâche car les associations gestionnaires estimaient que leur public n’était pas les malades psychiques mais les handicapés mentaux. Grâce à l’action des associations des familles des malades (Unafam), le concept de handicap psychique a été reconnu et inscrit dans la loi. Mais sur le terrain, les frontières sont moins claires qu’on ne le pense entre le handicap mental et la psychiatrie.

Projet – Dans l’opinion, on ne fait pas bien la différence entre tous ces troubles…

Michaël Robin – De plus en plus de crises relationnelles prennent une coloration psychiatrique ou rencontrent la psychiatrie via les urgences… Il existe d’ailleurs bien des troubles de l’humeur et des pathologies psychotiques qui pourraient être soignés par la psychiatrie ambulatoire.

Mais il faut que je vous précise la spécificité de notre établissement. Au milieu des années 80, mon prédécesseur, Serge Kannas, avait fait le constat de la chronicité hospitalière. Il pensait que la réponse des professionnels participait à cette chronicité et constatait que l’offre de structures en amont de l’hospitalisation était déficiente. De plus, à partir du moment où le malade était hospitalisé, la famille était souvent mise à l’écart. Pour remédier aux stratégies d’évitement mutuel entre patients, familles et médecins, qui se renvoyaient régulièrement la responsabilité de l’échec des soins, il a inventé et mis en œuvre en 1993 une réponse : « ERIC » l’équipe rapide d’intervention de crise. Créée dans le service dont il était responsable, celle-ci se déplace sur le lieu de la crise (domicile ou autre) pour traiter les patients et proposer une réponse alternative à l’hospitalisation pour la suite.

L’originalité de ce mode d’intervention tient à la mobilité mais aussi à la prise en charge de la post-urgence à domicile. Le taux de rechute et d’hospitalisation des malades suivis par ERIC est très faible.

Projet – Une telle expérience a-t-elle été reproduite ailleurs ?

Michaël Robin – Non ! Tel que, ERIC est unique en France. Mais l’idée se diffuse et des équipes mobiles en psychiatrie se développent : à Rennes, Sylvie Tordjman en a créé une destinée aux adolescents, ou Vincent Garcin à Lille. Elles se structurent en fonction de plusieurs paramètres : place dans la filière urgence, identité (spécialisée ou généraliste ?), objectifs de la post-urgence (accès au soin ou alternative à l’hospitalisation ?)… Sur notre territoire de santé, nous avons développé une offre coordonnée en tenant compte des réponses des deux services d’accueil des urgences de Versailles et Rambouillet. Au SAU de Rambouillet, moins important, la permanence d’urgence ne fonctionne que jusqu’à 19 heures. Ensuite, elle est relayée par ERIC qui peut aussi bien intervenir à l’hôpital de Rambouillet qu’à la clinique de Trappes (hôpital privé de l’ouest parisien), à la prison de Bois-d’Arcy ou à domicile.

Projet – La présence de malades en prison ou « dans la nature » est-elle liée, comme on l’entend dire, au fait que le nombre de lits en hôpital psychiatrique a fortement diminué depuis plusieurs années ?

Michaël Robin – La réduction du nombre de lits d’hospitalisation est logique, et je vous assure que ce n’est absolument pas le problème. Le problème est la capacité des psychiatres et de leurs interlocuteurs du secteur médico-social de proposer d’autres réponses que la psychiatrie, car au moins un tiers des malades hospitalisés pourraient être pris en charge ailleurs. Il n’est pas toujours souhaitable d’avoir côte à côte dans le service une personne déprimée, quelqu’un qui souffre d’un accès délirant aigu et un patient psychotique très désocialisé. Je ne veux pas dire qu’il faut inventer une structure pour chaque type de malades… En réalité, l’hôpital compte deux grandes catégories de patients : ceux qui sont domiciliés à l’hôpital et ceux qui y passent plutôt brièvement !

La vraie difficulté est de travailler avec des acteurs extérieurs au domaine de la psychiatrie et j’avoue que je l’ai fait moi-même avec beaucoup de crainte ! Nous avons ainsi un foyer médico-social, implanté sur le territoire du secteur, qui peut accueillir 60 personnes handicapées psychiques : avec ce foyer, nous avons établi un partenariat dans le cadre du réseau de santé mentale (à l’échelon du sud du département des Yvelines), nous les avons aidés par exemple à établir leurs critères d’admission, et je suis époustouflé de voir comment des patients qui y ont été transférés après des années d’hospitalisation se sont transformés, uniquement parce que l’offre, la prise en charge et le savoir faire y sont différents. Je pense qu’il faut multiplier ce genre de structures et d’autres lieux de long séjour non hospitaliers : foyers, familles d’accueil, etc. Mais cette proposition d’élargir l’offre extra-hospitalière, tout en diversifiant l’offre d’hospitalisation, provoque un débat interne à la communauté psychiatrique qui craint notamment le désinvestissement d’unités hospitalières dédiées aux patients les plus dépendants de l’institution.

Reconnaissons que certains patients, une infime minorité, constituent un danger durable pour la population, mais ils ne sont pas plus dans la nature aujourd’hui qu’il y a trente ou cinquante ans ! Le danger a toujours existé à certains moments de la vie des malades. Nous avons ici un patient qui a attaqué son précédent psychiatre au cutter. Pourtant, je prétends qu’il n’est actuellement pas dangereux pour la population. Il pourrait cependant le devenir en l’absence de soins. À cet égard, je voudrais relever combien les propos du Président de la République sur ce sujet il y a quelques mois sont problématiques, accompagnant purement et simplement l’émotion et la demande sociale ; la presse amplifie cette dramatisation par l’opinion et le discours politique s’y appuie, en assurant protéger la population contre les malades. Il bute là contre l’opinion des professionnels de la psychiatrie qui ont pour vocation de protéger les malades contre l’extérieur. Ce hiatus survient dans un contexte social du « plus jamais ça », du refus de la mort injuste. Évidemment, dans ces conditions, la communauté psychiatrique est poussée vers une position défensive. Pour autant, le patient qui a tué un étudiant de Grenoble et ainsi provoqué le discours présidentiel, aurait peut-être pu bénéficier d’un autre mode de soins que celui qui était en place.

Projet – Comment décidez-vous précisément d’un processus de soins ? Avec qui en discutez-vous ? Comment les innovations thérapeutiques sont-elles expérimentées ? Et que répondez-vous à l’accusation fréquente qui vous est adressée d’abrutir les patients avec des médicaments ?

Michaël Robin – Cela dépend bien entendu des problèmes et des personnes concernées ! Il y a un mouvement d’évolution de nos pratiques en termes de relations avec les patients eux-mêmes et avec leur entourage familial. On gagne à ne pas renoncer complètement à une attitude « paternaliste » qui consiste à agir dans le sens de ce qu’on pense être bon pour le malade, tout en respectant de plus en plus le principe d’autonomie : le patient comme sa famille ont le droit d’être informés, de savoir, de choisir. En réalité, une part non négligeable des patients souffrent de maladies relationnelles qui influencent l’environnement : l’environnement participe donc du problème. La schizophrénie est une maladie de la relation et non seulement du psychisme. Je ne dis pas qu’il faut soigner la famille, mais que la famille est co-participante de ce qui se passe, et l’organisation des soins a des répercussions sur les relations entre le patient et son entourage. D’ailleurs, l’échec éventuel du traitement sera vécu comme tel autant par sa famille que par le patient lui-même.

Le psychiatre est l’organisateur des soins mais discute de leur mise en œuvre avec le patient, dans la recherche de son autonomie (sa partie saine), et dans la recherche du rôle de la famille. Certains psychiatres ne sont pas toujours en accord avec cette nouvelle façon de se situer par rapport à la famille. Dans le service, la position du psychiatre n’est plus seulement dans l’exclusivité du colloque singulier avec le patient. Cela entraîne un partage des responsabilités du soin avec les autres soignants, les patients eux-mêmes et leurs familles. Toutefois, la disparition de la filière spécifique d’infirmiers psychiatriques (depuis 1992), a entraîné une perte de certains savoir-faire infirmiers. C’est d’ailleurs une revendication du corps infirmier de bénéficier d’une formation particulière 1.

Au sein de l’hôpital, il est possible qu’une perte d’initiative et du savoir-faire soit provoquée par la standardisation, par la normalisation et l’accréditation des pratiques, même si cette normalisation est source aussi de véritables progrès. Dans les centres médico-psychologiques (CMP), la mobilisation des infirmiers demeure importante et nécessaire. Car face à un accroissement de 5 à 10 % par an du nombre de personnes suivies en CMP depuis quinze ans, il n’y a eu aucune augmentation du personnel médical ou infirmier. Les conditions de travail de chacun sont à flux tendu.

Par rapport aux autres professionnels aussi, la façon de travailler s’est modifiée, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Ce qui a changé dans le bon sens, c’est le travail avec les multiples intervenants, médecin généraliste, psychologues, éducateurs de rue, agents sociaux et municipaux, etc. Mais il faut bien être conscient que tous les secteurs n’ont pas réussi aussi bien leur travail de relation avec les médecins généralistes, avec la ville, avec les Hlm, etc. Dans le champ des troubles de la personnalité, par exemple, qui sont vus par les travailleurs sociaux, la question est posée de la façon dont doivent intervenir les psychiatres, et le secteur n’a pas toujours pris en compte cette demande. Cela dépend encore souvent du chef de service.

Dans le recours aux médicaments, l’évolution est notable et, depuis longtemps, on ne peut plus parler d’« abrutissement ». Les psychotropes, utilisés aujourd’hui de façon pertinente, apportent de grandes améliorations aux patients par leur efficacité ; ils leur permettent ainsi d’espérer une trajectoire ouverte sur une insertion sociale, qui n’était pas pensable encore récemment.

Un autre progrès est apparu dans les pratiques de soins. Il y a vingt ans, on attendait la grande théorie qui allait permettre de soigner tout le monde et, jeune interne, j’essayais de m’agréger à une « école » dont j’espérais qu’elle me permettrait de faire face à toutes les situations. Aujourd’hui, nous sommes plus pragmatiques, moins dans la défense d’une approche idéologique et plus facilement dans leur remise en question au sens noble du terme. Nous supportons que d’autres réussissent là où nous avons échoué, même avec une autre méthode. Je crois pouvoir dire que les psychiatres ont évolué dans leurs querelles de chapelles, et c’est une autre avancée de notre discipline !

Projet – La commission présidée par Édouard Couty a rendu fin janvier 2009 un rapport qui suscite une forte émotion et de la contestation parmi les professionnels. Sans parler des conditions de rédaction du rapport, qui semblent plus en cause, que dire des propositions qu’il contient ?

Michaël Robin – La psychiatrie doit aujourd’hui faire face à une augmentation continue des demandes de soins, à un changement des attentes, dans un contexte de limitation croissante des ressources. Elle se trouve donc inévitablement confrontée à la perspective d’évolution de ses métiers, en même temps qu’elle est interrogée sur l’organisation sanitaire. Le rapport Couty est destiné à traiter des spécificités de la psychiatrie, dans le contexte du vaste projet de réforme sanitaire « hôpital, patients, santé et territoire », actuellement discuté au Sénat. Il a choisi notamment de différencier ce qui est du registre de la planification territoriale (l’hospitalisation et le circuit des urgences), d’une organisation partenariale de l’offre ambulatoire à l’échelle du secteur traditionnel, avec les acteurs sociaux ou médico-sociaux. L’intérêt d’un tel projet pourrait être d’identifier clairement les moyens sanitaires dédiés à l’ambulatoire, afin d’éviter leur glissement vers la partie a priori la plus évidente et la plus lourde des soins, à savoir l’hospitalisation. De nombreux collègues, rejoints par les associations de patients ou de familles, soulignent la nécessité d’un lien fort entre les soins hospitaliers et ambulatoires, ce que je partage. Ils redoutent une rupture de ce lien et en dénoncent le risque. Mais y a-t-il vraiment plus à craindre du rapport Couty que de rester dans la situation actuelle ? Je ne crois pas. Je pense que le principal risque de ce rapport tient à la difficulté de sa mise en œuvre, et donc de sa capacité à transformer notre champ : trop d’acteurs différents doivent bouger de façon simultanée.



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1 / Le rapport Couty sur la politique de santé mentale suggère une spécialisation en psychiatrie pour les infirmiers dans le cadre de l’application du système LMD.


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