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Des associations critiques


Projet – Qu’attendiez-vous du Grenelle comme moment important de la réflexion sur la protection de notre environnement ?

Françoise Bousson – Dans notre domaine de la santé-environnement, nous attendions une nouvelle étape après le Plan national Santé-Environnement (PNSE) de 2004 qui, bien que rédigé dans l’urgence et sans concertation, a constitué une première avancée dans un pays très en retard dans ce domaine. Plutôt que de réitérer des vœux pieux, il eût été intéressant d’analyser les blocages qui ont fait que certaines préconisations de ce plan sont restées lettre morte :

- La difficulté des administrations à développer une véritable culture de la prévention en santé environnement de façon transversale dans toutes les politiques publiques. Même le ministère de la Santé reste un ministère du soin et les fonctionnaires des DDASS en charge de la santé environnement s’y sentent marginalisés et peu soutenus ! Surtout, les capacités de contrôle des administrations ne se sont pas améliorées malgré les promesses de nouvelles embauches alors que les besoins sont criants.

- Un blocage dans le domaine de la formation : aucune dynamique n’a été enclenchée parmi les professionnels de l’éducation en général, comme dans les universités de médecine qui ignorent toujours cette thématique !

- L’absence de volonté politique pour avancer dans le domaine de la démocratie sanitaire, de l’information et de la mobilisation de la population, du débat public sur les risques : nous sommes considérés comme de grands enfants qu’il faut perpétuellement rassurer plus que comme des citoyens désireux de faire avancer les choses…

Jean Sename – En tant que participant à des réunions locales et régionale de préparation du Grenelle de l’Environnement, compte tenu de mes engagements, j’avais évidemment été séduit, comme nombre d’autres associatifs, par l’initiative prise par le Président de la République de remettre à plat une approche souvent désordonnée et parcellaire des problématiques environnementales. D’où entre parenthèses ces menaces de sanctions et les condamnations infligées à la France par l’autorité européenne pour non-transposition de plusieurs de ses directives… Or le peu d’engagements pris depuis la fin des débats du Grenelle et le retard pris dans la promulgation de la loi de programmation me font craindre que la montagne n’accouche d’une souris.

Il n’est pas de bon augure que le texte sur la culture des Ogm adopté par une majorité de députés et sénateurs, et qui consiste à vouloir faire coexister cultures traditionnelles et Ogm et donc à favoriser la contamination, apparaisse à beaucoup comme très décalé par rapport aux objectifs négociés lors du Grenelle. On est très loin de la rupture espérée avec les pratiques du passé : lobbying des organisations agricoles et des semenciers, pouvoir discrétionnaire d’élus agissant à l’encontre des convictions majoritaires de la société civile… On serait tenté de dire que rien n’a changé !

Et plus le temps passe, plus les décisions prises en haut lieu sans concertation (deuxième EPR, simplifications octroyées aux industriels pour l’autorisation d’exploiter une installation classée, etc.) me confirment dans l’idée, partagée par France Nature Environnement à laquelle nous sommes affiliés, que le Grenelle ne dépassera pas le stade des bonnes intentions… Hélas !

Anita Villers – Nous étions dubitatifs, mais nous voulions participer à un élan citoyen positif, manifestant une envie de « changement » pour préserver le futur. Nous voulions croire à une volonté politique apparemment à l’écoute et prête à coproduire les décisions à venir engageant des orientations fondamentales, telles les alternatives à la route, un moratoire sur les Ogm, davantage de précaution pour l’eau, moins de pesticides. Nous avons participé, car cela valait la peine d’essayer et cela rejoignait les objectifs de nos actions depuis notre création, en commençant par ne pas dissocier santé et environnement.

Mais, d’emblée, exclure arbitrairement de parler du nucléaire n’était pas de bon augure pour des échanges tels que nous les espérions ! Et, de fait, le projet de loi ne fait qu’effleurer des dispositions déjà en vigueur dans bon nombre de pays européens et les moyens financiers sont flous et trop faibles, quand ils sont évoqués. 2 000 km Tgv supplémentaires sont envisagés d’ici à 2020 : nous approuverions ce projet à condition de supprimer les lignes aériennes intérieures ! Par ailleurs, le développement du fret ferroviaire reste très insuffisant d’autant que la taxe kilométrique prévue pour les poids lourds ne serait applicable qu’en 2011. Enfin, des projets d’autoroutes sont encore d’actualité et donc réalisables malgré l’annonce de leur « quasi » annulation (dans le Nord et les Landes notamment) !

Projet – Après vous être mobilisés à plusieurs, vous sentez-vous floués par le fait que le débat démocratique ainsi lancé soit arrêté par le pouvoir politique ? Qu’est-ce qui, à votre avis, pourrait faire durer ce débat et surtout le faire fructifier ?

Anita Villers – Ce qui a été positif c’est la rencontre entre associations, syndicats, branches professionnelles, décideurs aux mêmes tables, la convergence des avis et propositions émis à Paris et relayés en région. Nous les approuvions et les avons diffusés dans notre journal bimestriel Bouffée d’air ( voir le site ). Une veille citoyenne implicite et attentive est née : dans le domaine alimentaire notamment beaucoup de consommateurs souhaitent retrouver des produits de qualité valorisant des petits producteurs locaux et sont prêts à modifier leurs comportements en ayant conscience que la Planète souffre mais surtout que la solidarité est indispensable. Ce sont les « décideurs » de l’État qui ne changent pas assez. La déception générale est latente mais prête à s’exprimer : un simple déclic pourrait entraîner de vives réactions.

Mutualiser les actions locales réussies, favoriser une montée en compétence des citoyens à partir de leurs attentes, de la perception qu’ils ont des risques pour leur santé liés à l’état de l’environnement sont autant de pistes à valoriser. Conscient d’un nécessaire changement, le citoyen ne sait comment l’enclencher face à une « mondialisation » qui serait incontrôlable. Seule une vaste mobilisation citoyenne « avisée », « responsable » pourra faire évoluer les décisions dans le sens qui convient au plus grand nombre. C’est notre objectif, c’est aussi celui du mouvement Cap gouvernance auquel nous nous intéressons et qui souhaite rassembler ce qui se cherche ici ou là en France et en Europe, afin de peser « massivement » sur les décisions à venir en s’appuyant sur une réelle application des réglementations existantes, en participant à des évaluations régulières, en mettant en œuvre tout simplement la Convention d’Aarhus !

Françoise Bousson – L’idée du Grenelle était intéressante mais le débat a été trop précipité. Il aurait dû se poursuivre autour de l’évaluation du projet de loi et du suivi des actions mises en place.

Concernant l’efficacité des rencontres organisées en région, je voudrais donner un exemple criant de non-prise en compte d’une demande qui était pourtant une application typique de l’esprit du Grenelle. Nous avons participé à l’atelier santé environnement du groupe de travail officiel le 12 octobre à Annecy-le-Vieux. Cette réunion était beaucoup trop courte et ponctuelle et nous avons demandé que d’autres rencontres aient lieu ensuite, dans le cadre d’une structure permanente régionale de concertation sur la santé environnement, structure d’autant plus indispensable que cette thématique nécessite transversalité et pluridisciplinarité. Cette proposition a été soutenue par le président du Conseil général de Haute-Savoie qui présidait l’atelier. Elle correspondait de plus à une demande du comité d’évaluation du PNSE qui préconisait d’associer mieux et plus en amont les acteurs territoriaux aux nouveaux plans (national et régional) santé environnement. Mais la lettre adressée en ce sens au préfet de région n’a même pas eu droit à une réponse et le ministre Borloo, également sollicité, n’est pas intervenu. Le Grenelle n’a donc pas impulsé régionalement de volonté de faire évoluer les mentalités et les méthodes, ni donné les moyens humains nécessaires pour le faire.

Pour faire durer le débat, outre ces structures pérennes de concertation que nous réclamons, il faut soutenir des associations comme la nôtre qui essayent de faire travailler ensemble des acteurs qui n’en ont pas l’habitude (acteurs de la santé et acteurs de l’environnement), et favoriser leur mise en réseau. Un outil essentiel est la possibilité de recourir à des expertises indépendantes des pouvoirs économiques : le projet de loi est très vague sur les moyens d’assurer le pluralisme et une déontologie de l’expertise. Le souci de favoriser le lien chercheur – société par une recherche « citoyenne » répondant aux besoins exprimés par la population et les associations n’apparaît pas (seule la région Ile-de-France a manifesté une volonté politique sur ce sujet). Globalement, pour l’instant, il y a eu des évolutions dans le discours (sur les pesticides par exemple) mais le projet de loi reste vague et sans précisions sur les financements pour répondre à l’espoir qu’a pu susciter le Grenelle et être à la hauteur de l’enjeu.

Jean Sename – Pour le moment, le Grenelle ne semble avoir eu que peu d’impact sur le comportement des responsables économiques et politiques, qui ne remettent pas en question des pratiques très éloignées du développement durable dont ils continuent pourtant de se recommander.

Des exemples concrets : en juin 2008 a eu lieu à Dunkerque une réunion de concertation au sein du SPPPI au cours de laquelle le directeur d’une entreprise locale de production de produits phytosanitaires (BASF) est venu exposer son intention d’accroître de 35 % sa mise sur le marché d’herbicides, à l’horizon 2010. La DRIRE a entériné ce projet tout à fait contradictoire avec l’objectif du Grenelle visant à réduire de moitié la production de pesticides sur le sol français dans les dix ans !

Toujours sur notre littoral, on débat depuis début 2007 de l’opportunité d’implanter un terminal méthanier. En France et dans le monde, il y a pléthore de projets de même nature et Dunkerque est déjà dotée d’un terminal gazier… Administrations, élus, milieux économiques font pression pour que le projet aboutisse. Ce terminal va bien sûr à l’encontre des objectifs du Grenelle : la feuille de route préconise le recours accentué aux énergies renouvelables et met l’accent sur la lutte prioritaire contre l’effet de serre dont le méthane est un important vecteur. Ce terminal aura un impact négatif non-négligeable sur des espaces naturels et sur la biodiversité jusqu’alors préservés.

Par ailleurs, la question du financement des mesures préconisées est essentielle. L’objectif fixé par le Grenelle de réduire les consommations d’énergie du parc immobilier et des bâtiments publics est clair. Mais on a peu d’indications sur les moyens budgétaires que l’État et les collectivités entendent consacrer à ce chantier. Parviendra-t-on à réduire de 38 % à l’horizon 2020 les consommations d’énergie dans ce secteur ? On peut en douter, vu les réticences financières affichées.

Bref, il apparaît que la mise en application des bonnes idées du Grenelle, creuset d’excellentes intentions, va demander énormément de courage décisionnel. Les élus, les services administratifs, les tenants d’intérêts particuliers sauront-ils résister à l’appel des sirènes démobilisatrices ?


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