Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
La signification politique du résultat des élections du 10 avril est double : il a marqué un stop donné au « berlusconisme », mais il a révélé la fragilité actuelle du centre-gauche. Le péché originel de Berlusconi ? Il trouve sa source dans le conflit d’intérêts qui a amené le Premier ministre à se préoccuper d’abord de sauvegarder son empire médiatique et financier et à se soustraire, avec ses amis, aux procès dans lesquels ils étaient impliqués pour des délits importants commis antérieurement. L’enchaînement des lois ad personam, des amnisties et dépénalisations a causé au pays de graves dommages moraux : perte du sens civique et de la culture des règles ; conviction que les malins, les puissants, les tricheurs fiscaux, les corrompus peuvent réussir à s’en tirer, en demeurant impunis. C’est la limite intrinsèque du « berlusconisme », qui développe une conception « individualiste » et utilitariste de la politique. Sur le plan économique, il conduit à subordonner le travail à la productivité et la solidarité à l’efficience. Sur le plan politique, il se traduit par un populisme dédaigneux de toute règle et allergique à toute forme de dialogue et de concertation. Sur le plan social, il engendre conflictualité et antagonisme.
Malheureusement, on trouve aussi une sorte de « berlusconisme », sous des apparences contraires, dans les franges d’un radicalisme libertaire, à l’aile extrême du centre-gauche. Si bien que la faible cohésion de la coalition de centre-gauche préoccupe au moins autant que l’étroitesse de la victoire numérique sur Berlusconi.
En réalité, Prodi a vaincu mais n’a pas triomphé, à la surprise d’un peu tout le monde. Le centre gauche était sorti vainqueur de toutes les consultations postérieures à la défaite de 2001, avec un soutien croissant de l’électorat qui permettait de présager une nette victoire de l’Unione en 2006. Or ce renforcement de la composante réformiste modérée du centre gauche, que beaucoup envisageaient, en pariant sur la désillusion de tous ceux qui, en 2001, avaient cru aux promesses de Berlusconi, n’a pas eu lieu. De plus, à l’intérieur de l’Unione, la gauche radicale s’est renforcée. Refondation communiste, le Parti communiste (PDCI) et les Verts sont passés ensemble de 8,9% à 11,6% des votants. Prodi réussira-t-il, avec une coalition aussi déséquilibrée, à réaliser un programme d’une excessive longueur (280 pages), capable en apparence de mettre tout le monde d’accord mais susceptible de bien des interprétations diverses ?
La stabilité du nouveau gouvernement dépendra en grande partie de deux éléments : la prévisible dissolution de la coalition de Berlusconi, la capacité effective du nouveau gouvernement à régler les graves problèmes d’actualité.
Le leadership de Berlusconi est sorti affaibli des élections du 10 avril. Sa coalition ne survivra sans doute pas bien longtemps. Il suffit de comparer les résultats électoraux de 2001 et ceux de 2006. A la Chambre des députés, Forza Italia (parti de Berlusconi) demeure le premier parti de la coalition, mais il a reculé de 29,4 à 23,7% (-5,7%); Alleanza Nazionale (de Gianfranco Fini) est demeuré stable, passant de 12 à 12,3% (+0 ,3%) ; la Ligue du Nord (d’Umberto Bossi) est passée de 3,9 à 4,6 % (+0,7%) mais aux élections régionales de 2005 elle avait atteint 5,6% et en 2006, elle se présentait avec les autonomistes siciliens de Raffaele Lombardo. En réalité, le seul parti vainqueur a été la Démocratie chrétienne (UDC de Pier Ferdinando Casini), qui, de 2001 à 2006, a fait plus que doubler ses votes, passant de 3,2 à 6,8% (+3,6%). Face à l’affaiblissement du leadership de Berlusconi, Casini renoncera-t-il à faire valoir sa prétention au leadership ? Marco Follini, secrétaire sortant de l’UDC, contestait déjà depuis quelque temps la « monarchie » berlusconienne. Même Fini ne pourra rien faire si la Ligue du Nord devait abandonner la coalition – comme elle en a proféré la menace – si la dévolution de certains pouvoirs aux régions était repoussée par le référendum de juin (ce qui s’est effectivement produit, ndlr). Pour toutes ces raisons, l’éclatement du centre-droit est une hypothèse assez réaliste.
Un second élément conditionnera la stabilité du gouvernement Prodi : son efficacité. Il ne manque certainement pas, dans les rangs gouvernementaux, d’hommes capables et estimés aussi au plan international. Mais le centre-gauche aurait besoin d’un axe qui soutienne Prodi (celui-ci, rappelons-le, n’a pas de parti propre) tout en garantissant l’équilibre nécessaire entre les différentes composantes de l’Unione. L’urgence de donner naissance à un nouveau sujet politique revient donc sur la table : le « Parti Démocratique ». La constitution de groupes parlementaires unitaires à la Chambre et au Sénat va dans cette direction. Ce n’est toutefois qu’un premier pas sur le chemin d’un parti unifié. Ce serait une erreur cependant de forcer le rythme et de faire naître le Parti Démocratique par le haut, par décision des secrétaires des partis. Il serait mort-né. Une « phase constituante » suffisamment longue sera nécessaire, qui ne soit pas exclusivement réservée à un club de professeurs et de spécialistes mais ouverte à la participation active de la société civile, en dehors des jeux de la partitocratie.
A ces conditions, on peut espérer que le nouveau gouvernement Prodi surmonte les difficultés et affronte les défis qui l’attendent. Pour l’instant, la résistance de Berlusconi à admettre la défaite et sa tentative de donner un «coup d’épaule» au gouvernement Prodi pour le faire tomber au plus vite ne semblent pas rencontrer d’échos dans la société italienne. Aux élections municipales et provinciales du 28 mai, le centre-gauche est sorti renforcé dans les principales villes du pays. Il a même réduit son retard en Sicile et à Milan, fiefs traditionnels de la droite italienne.
Bartoloméo Sorge