Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
En décembre 2005, Patrick de Carolis, Pdg du groupe France Télévisions, résumait son ambition politique télévisuelle à travers un slogan : le « patriotisme de groupe ». Concrètement, cela signifie qu’il veut donner à chaque chaîne du groupe une mission spécifique, et notamment que France 2 ne soit pas concurrencée à l’heure des journaux d’information. Aussi, le 27 février 2006, tous les créneaux régionaux de 12 h 55 ont été supprimés pour laisser place à une émission de divertissement, « Drôle de couple », sans qu’ait été, à ce jour, créée une nouvelle tranche régionale.
Dans l’Ouest, le « 12 h 55 » avait pris la forme d’une émission d’information, avec l’ambition d’analyser et de décrypter les événements. Notre station a été pionnière en la matière : dès 1997, nous avons présenté aux téléspectateurs de Bretagne et des Pays de la Loire un magazine d’informations régionales avec deux invités quotidiens et la diffusion de sujets d’actualité tournés par les différentes rédactions locales de France 3 Ouest, avec à la clé jusqu’à 15 % de part d’audience. En 2000, le « 12-14 Ouest », jusque-là expérimental, a été généralisé à l’ensemble des stations de France 3, quelques-unes parmi elles choisissant à leur tour de privilégier les informations locales.
Forts de cette expérience à la réussite de laquelle nous avons, avec d’autres journalistes, contribué, la « contre programmation » du Pdg de France Télévisions nous apparaît comme un abandon de la mission de service public de la télévision régionale. C’est d’ailleurs bien ainsi qu’elle est perçue par de nombreux téléspectateurs de l’Ouest de la France ! Rappelons que l’article 24 du cahier des charges qui lie France 3 à l’État stipule que « la société s’attache à développer l’information locale et à accroître le nombre d’émissions de proximité. Elle s’efforce d’augmenter les prises d’antenne par les directions régionales et d’utiliser une part croissante des programmes régionaux dans le programme national». France 3 a en particulier su démontrer qu’elle pouvait s’installer comme un relais entre citoyens, acteurs et représentants d’un territoire, et permettre à chacun d’entre nous d’entrer de plain-pied dans un débat politique et économique qui nous est « proche ».
L’information de proximité nous autorise à penser que le pouvoir n’est pas seulement une contrainte venue de très loin et de très haut, mais qu’au contraire, nombre de décisions sont prises à portée de main : que nous ne sommes donc pas des spectateurs passifs d’une citoyenneté qui nous échappe, mais des acteurs d’une démocratie travaillée au quotidien, ponctuée par des échéances électorales. Le journaliste d’une télévision publique régionale s’emploie à offrir au spectateur la possibilité de resituer l’actualité locale dans le contexte plus global d’une politique territoriale : dans quelle conjoncture, par rapport à quelles questions fondamentales peut-on comprendre les événements ? Une déclaration, une prise de position, ou une manifestation s’inscrivent naturellement dans une histoire politique, économique et sociale.
La mission d’une antenne régionale de France 3 est aussi de permettre aux citoyens de cultiver un certain lien social dans
un territoire. Au regard des récents événements dans les banlieues, on constate combien ce besoin est fort. Une télévision régionale publique, c’est l’ouverture possible d’un débat, au-delà des présupposés idéologiques, au-delà des insuffisances de la communication institutionnelle. Pour toutes ces raisons, le développement de l’information régionale représente un véritable progrès pour la démocratie dans notre pays.
C’est pour défendre ces missions premières de France 3 que nous avons créé à Rennes l’association « L’antenne est à vous » (*). Cette structure regroupe aujourd’hui des professionnels de France 3, des réalisateurs de documentaires et des associations de téléspectateurs. Pour le moment uniquement dans l’Ouest de la France, mais avec le bel espoir que toutes les autres régions du pays se lancent elles aussi dans le débat ! Car il ne faudrait pas que ces questions restent entre les mains de ceux qui « fabriquent » la télévision régionale, mais que les citoyens-spectateurs s’en emparent afin de redéfinir ensemble ce que l’on attend d’un média régional à vocation de service public. C’est un enjeu fondamental pour la démocratie et la citoyenneté que nous devons dessiner ensemble pour les années à venir.
Aline Mortamet
(*) http:// blablasurla3. free. fr