Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

Allemagne, la génération 89 au pouvoir


Allemagne

Quelle force des images ! D’un côté, le chancelier sortant, rougi, excité et ivre de confiance en lui. Face à lui, la candidate challenger, grise, rationnelle et plus que jamais maladroite devant les caméras de la télévision. On se croyait en plein affrontement entre les forces dionysiaque et apollinienne. Nietzsche se serait amusé ! Telle était la scène qui s’est présentée aux téléspectateurs allemands dans la nuit du 18 septembre, lors du face-à-face traditionnel des candidats en tête des élections fédérales. Scène stupéfiante pour les citoyens, leur montrant un chancelier qui se comportait comme s’il était invincible alors qu’il venait de perdre sa majorité. On ne saurait surestimer l’impact de ces images sur les Allemands, de quelque bord qu’ils soient. Quelle différence frappante de style et d’attitude !

Apollon a pu s’imposer. Deux mois plus tard, Angela Merkel a retrouvé son sourire craintif et toujours un peu maladroit, quand elle est venue devant les caméras annoncer l’accord trouvé entre Démocrates chrétiens (CDU plus CSU bavaroise) et Démocrates sociaux (SPD) pour former la deuxième « grande coalition » dans l’histoire de la République fédérale. Elle a su s’imposer malgré le résultat électoral mitigé pour son parti, malgré l’absence d’une majorité claire et malgré les réticences dans les deux camps politiques. Celle qui est devenue la première femme chancelière d’Allemagne, avait été encore une fois sous-estimée, surtout en raison de son style réservé. Une simple question de caractère ? Plus que cela ! L’étonnement fut grand quand un homme aux ressemblances surprenantes avec Mme Merkel apparut à la tête du parti social-démocrate après l’échec électoral. Le nouveau président du SPD, Matthias Platzeck, est lui aussi issu de l’ex-RDA, lui aussi scientifique de formation, lui aussi entré en politique au moment de la chute du mur, lui aussi un peu maladroit devant les caméras et d’attitude calme, rationnelle et modeste. A ce moment, nombre d’Allemands se sont rendu compte qu’ils assistaient non seulement à un changement de gouvernement, mais à un changement de génération : les enfants de la révolution de 1989 prenaient la place des enfants de 1968.

A première vue, ce changement soudain était inattendu puisque la génération 68 n’était pas au sommet du pouvoir politique depuis si longtemps. En réalité, cette génération avait vu sa période de gouvernement limitée par la longueur exceptionnelle du gouvernement Kohl à cause du succès de la réunification. Grand nombre des idées de 68 avaient déjà été réalisées sous le gouvernement prolongé de la génération précédente (comme le tournant écologique, l’extension des libertés civiles etc.). Quand en 1998, Gerhard Schröder et Joschka Fischer sont enfin parvenus au pouvoir, le « projet » de 68 avait perdu son actualité. De plus, le petit nombre d’acteurs de la révolte qui avait « survécu » si longtemps en politique afin d’arriver au sommet, avait entre-temps renoncé à une large partie des idéologies de jadis. Cette attitude « realo » a été une condition nécessaire de l’accès au pouvoir car elle attirait l’électorat du centre ; mais elle a été aussi une cause de la chute de Schröder en étant perçue peu à peu comme une marque de cynisme etcomme un manque d’authenticité.

ELes enfants d’une autre révolution se tenaient d’ores et déjà prêts à prendre la relève. Il s’agit des enfants de la RDA qui ont émergé lors de la chute du mur de Berlin. Leur révolution de 89 n’est pas si éloignée, et leur projet pas encore achevé. Le parcours d’une Angela Merkel ou d’un Matthias Platzeck est typique de cette génération. Les deux leaders politiques d’aujourd’hui n’étaient pas forcément des opposants actifs en RDA. Ils essayaient plutôt de trouver une niche dans laquelle un maximum d’indépendance vis-à-vis du système semblait possible, niche qu’ils croyaient trouver dans les sciences. Mais même là, le manque de liberté et de productivité était toujours étouffant. La révolution de 89 a été vécue par ces hommes et femmes comme une libération de leurs potentiels bloqués. Ils n’ont pas nécessairement été les acteurs de cette libération, d’où peut-être leur attitude plus humble vis-à-vis du pouvoir. Mais ils ont saisi cette chance de liberté si espérée et veulent la transformer en réussite. Leur arrivée au pouvoir ne signifie pourtant pas le point final du processus de réunification. Angela Merkel n’a pas eu la majorité des voix dans les nouveaux Länder. De nombreux « Ossis » de l’ex-RDA l’ont considérée trop orientée vers l’Ouest. Le fameux « mur dans les têtes » persiste. Et, bien entendu, une majorité écrasante de la classe politique allemande reste composée de gens de l’Ouest.

Que pouvons-nous alors attendre des enfants de 89 ? D’abord un changement de style. Ils affichent une autre attitude : finies la grande communication et la mise en scène, bienvenue la résolution silencieuse et presque mathématique des problèmes. (Les médias ont souvent reproché à la nouvelle chancelière qu’en politique, elle voulait encore faire des équations scientifiques.) En raison de leur apparition tardive sur la scène politique, Angela Merkel et Matthias Platzeck ont gardé une bonne capacité d’apprentissage et d’adaptation. M. Platzeck a gouverné le Land de Brandebourg depuis plusieurs années avec une « grande coalition ». De même au niveau fédéral, cette formation pourrait se révéler plus stable que l’on ne pense. Et leurs préférences politiques ? Angela Merkel et Matthias Platzeck s’inscrivent dans la tradition occidentale de leurs partis respectifs et dans la vision commune de la République fédérale. Lors de sa première déclaration gouvernementale, début décembre, Angela Merkel a même fait référence au chancelier social-démocrate Willy Brandt. Cependant, on peut constater des nuances. Sur le plan extérieur, on peut s’attendre à un rapprochement avec les Etats-Unis afin de retrouver l’équilibre traditionnel entre Paris et Washington. A l’intérieur, l’idée est de flexibiliser le marché du travail, tout en maintenant un haut niveau de protection sociale. Chez Angela Merkel, le slogan légendaire de Brandt « Oser davantage de démocratie » se traduit par : « Oser davantage de liberté ! » Telle est sa nuance, le mot d’ordre qu’elle a choisi pour ses premières années au gouvernement. La révolution de 89 n’est pas encore achevée.

Friedrich Bokern


Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules