Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

Coopérations civiles israélo-palestiniennes

©naiveartist/Flickr/CC
©naiveartist/Flickr/CC
Malgré la construction d’un mur dit « de protection », malgré les attentats, des individus et des associations d’Israël et de Palestine travaillent ensemble pour favoriser les échanges et encourager la réconciliation.

Depuis l’échec des accords d’Oslo et la deuxième Intifada, la paix a perdu deux ou trois générations de jeunes Israéliens et Palestiniens, littéralement « empoisonnés » par le conflit. Malgré cette situation difficile, des associations, certes minoritaires, poursuivent un travail de coopération. Pour changer l’atmosphère de violence et de haine, l’éducation, l’économie et la culture sont des leviers essentiels pour un rapprochement entre les sociétés, capables de faire progresser une culture de paix. Successivement, j’ai été le témoin d’un rapprochement extraordinaire après 1993, et d’un éloignement déchirant depuis la deuxième Intifada. Sans tomber dans l’angélisme ni méconnaître les obstacles réels qui demeurent, je veux croire qu’il est possible de revivre demain le mouvement de rapprochement populaire vécu avec Itzhak Rabin.

Quatre périodes de coopération civile

Entre 1967 et 1989, avant la première Intifada, l’occupation s’accompagnait d’une certaine « normalité ». Les Israéliens fréquentaient régulièrement les territoires sous contrôle palestinien ; les échanges commerciaux étaient très denses; des centaines de milliers de Palestiniens se rendaient quotidiennement en Israël pour travailler. Malgré l’occupation, il existait un lien économique quotidien étroit entre les deux sociétés, lien inégal, critiquable, mais bien réel.

A la fin des années 80, la première Intifada freine cette relation de « normalité dans l’anormalité ». Les revendications politiques des Palestiniens et l’occupation israélienne prennent le dessus sur la coopération, se plaçant sur le terrain militaire et sur celui des rapports politiques.

Après la première guerre du Golfe, le soutien international donne un nouvel élan au dialogue. En 1991, la conférence de Madrid est organisée avec l’appui des Etats-Unis, de l’Onu, de la Russie et de l’Europe. Elle conduira aux accords d’Oslo, signés le 13 septembre 1993. Les sociétés civiles israéliennes et palestiniennes connaissent alors une extraordinaire lune de miel. Des centaines de projets émergent, soutenus par une réelle volonté politique de la part de l’Autorité palestinienne comme de la part du gouvernement Rabin. Leur choix d’encourager au maximum la rencontre entre les deux sociétés se traduit par des moyens importants pour accompagner les initiatives communes. De leur côté, après les accords d’Oslo, les Etats-Unis comme l’Union européenne réservent des lignes budgétaires pour les échanges et les actions menées en commun. C’est entre 1993 et 1998 que ceux-ci se développent, représentant, pourrait-on dire, une forme de mouvement populaire. Pendant cette troisième période, il ne se passe pas une semaine sans que n’aient lieu plusieurs rendez-vous entre Israéliens et Palestiniens de tous milieux : avocats, professeurs, architectes, chanteurs, écrivains… Pour la première fois de l’histoire, nous avons organisé des entrevues entre des responsables de partis religieux israéliens et des responsables du Hamas, tous opposés aux accords d’Oslo. Des hommes et des femmes qui soutenaient des positions radicales sont allés les uns vers les autres : les prémices d’une volonté politique commune se sont exprimés, signes d’un vrai changement au sein des deux sociétés.

Mais avec l’arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahu, avec le début des attentats terroristes – le massacre dans la mosquée d’Hébron perpétré par le colon juif Baruch Goldstein, les premiers attentats suicides dans les rues de Tel Aviv et de Jérusalem –, la violence reprend le dessus et la coopération redevient exceptionnelle. Nous sommes encore dans cette quatrième période. La coopération ralentit pour des raisons politiques (les gouvernements encouragent moins les initiatives) et pour des raisons pratiques (la sécurité des rencontres est plus difficile à assurer). De plus, la communauté internationale commence à se désengager, au moment précis où son soutien aurait été indispensable. Avec la deuxième Intifada, en 2001, Israéliens et Palestiniens se trouvent aspirés dans un enchaînement de violence. Face aux attentats terroristes à répétition, l’opinion publique israélienne se retranche dans la peur. Un vocabulaire raciste réapparaît envers les Palestiniens dans les propos d’organisations et de personnalités israéliennes. Des manuels scolaires antisémites sont distribués dans des écoles palestiniennes. En l’espace de cinq ans, quinze années de travail de rapprochement ont presque été balayées et celui-ci disparaît pratiquement de la réalité quotidienne israélo-palestinienne. Quelques groupes, minoritaires malheureusement, persévèrent dans des projets communs. Mais ces années ont été particulièrement éprouvantes, et les initiatives de coopération plus que jamais marginalisées.

Les acteurs de cette coopération

Quatre domaines demeurent significatifs : l’économie, la santé, les femmes, les jeunes.

L’économie est le premier lieu où des hommes d’affaire israéliens et palestiniens, individuellement ou en association, tentent de conserver des liens. Chaque année, par exemple, nous organisons une rencontre entre de jeunes chefs d’entreprise, pour promouvoir à la fois des échanges et des actions communes. La France accueille ce Forum depuis trois ans. Ce secteur est crucial : il n’y aura pas de paix tant que 60 % des Palestiniens seront au chômage à Gaza, tant que la société palestinienne sera aussi fortement affectée par la pauvreté, tant que la société israélienne sera fragilisée par un écart considérable entre riches et pauvres (le plus grand dans le monde industriel !). L’économie est un facteur de changement concret. Des projets économiques israélo-palestiniens pourraient avoir un impact positif assez rapide.

Entre médecins, une forme de coopération a toujours été maintenue à travers des rencontres, l’échange d’informations, et une action humanitaire. Aujourd’hui encore, des Palestiniens sont soignés par des médecins israéliens, dans des hôpitaux israéliens, mieux équipés et plus performants. L’association des « Médecins pour les droits de l’homme », par exemple, accomplit un travail remarquable.

Plusieurs associations de femmes, israéliennes et palestiniennes, sont impliquées ensemble dans la défense des droits de l’homme, celle des droits des prisonniers, ou dans les réactions à la construction du mur. Elles exercent une pression pour que la vie quotidienne des Palestiniens soit moins pénible : avec la fermeture complète des territoires, ceux-ci ne peuvent plus venir travailler en Israël et la pauvreté ne cesse de s’accroître. Ces initiatives des femmes sont essentielles pour la démocratisation de nos deux sociétés.

Des associations de jeunes, aussi, tentent d’encourager des Israéliens et Palestiniens à se rencontrer. Il est important que les jeunes se découvrent mutuellement et brisent les stéréotypes qu’ils entretiennent. Les mouvements de jeunes comme ceux du Fatah et du Parti travailliste accomplissent un travail appréciable et exigeant. Malheureusement, il est devenu bien difficile de faire venir des Palestiniens en Israël ou de faire entrer des Israéliens sur le sol palestinien. Une solution est de susciter des rencontres sur un terrain neutre. Donner l’occasion de se retrouver en Europe, n’est pas sans intérêt : la construction de l’Union européenne peut être une source d’inspiration. Notre association organise ainsi des voyages en Suisse, en Grèce ou en France, dans une volonté de rapprochement et d’actions pédagogiques communes.

Tous ces divers acteurs ne représentent qu’une minorité. Malgré la guerre, ils continuent avec persévérance à chercher le dialogue. Pour que celui-ci soit plus soutenu il faudrait s’affronter à trois obstacles. Le premier est celui du dramatique repli des sociétés civiles. D’immenses pas en arrière ont été faits. Des préjugés anciens obscurcissent à nouveau la vie quotidienne : des Palestiniens voient dans chaque Israélien la figure du soldat menaçant, des Israéliens regardent tous les Palestiniens comme des terroristes potentiels. Le deuxième obstacle est celui de l’absence d’une volonté politique réelle et concrète, des deux côtés. Encourager les échanges entre les sociétés civiles n’est pas une priorité, ni pour Ariel Sharon, ni pour l’Autorité palestinienne. Les agendas sont des agendas de conflit, pas de réconciliation. Enfin, le manque d’encouragement financier de la part des organisations et des institutions internationales se fait sentir auprès de ceux qui désireraient malgré tout mener des projets en commun. Depuis la deuxième Intifada, les aides internationales ont en effet fortement diminué. Pour qu’une autre dynamique puisse se faire jour, il faudrait qu’un certain nombre de conditions soient réunies qui actuellement font défaut.

Les conditions pour l’avenir

C’est d’abord un changement culturel qui est souhaitable. Celles et ceux qui sont prêts à dialoguer appartiennent, dit-on, à une élite. Ils ont des affinités culturelles, ils peuvent échanger en anglais. S’en tenir à cela serait une erreur majeure. C’est entre ceux qui ne se rencontrent jamais qu’il faut encourager le dialogue culturel et politique, prendre en compte la majorité des deux peuples, pas uniquement les élites. Le langage commun doit être l’arabe et l’hébreu, pas seulement l’anglais. Le monde arabe et musulman doit comprendre et accepter qu’Israël existe et son droit à la sécurité doit être reconnu par ses voisins à travers des actions concrètes : changer les livres scolaires, encourager des relations économiques et diplomatiques, clairement et sans double langage. Les Israéliens de leur côté doivent comprendre qu’ils vivent au Moyen-Orient, que leurs voisins sont majoritairement des Arabes et Musulmans : trop d’Israéliens ont tendance à croire qu’Israël est situé culturellement entre la Pologne et la Russie. La réalité est qu’au nord d’Israël il y a le Liban, à l’est la Jordanie et au sud l’Égypte. C’est notre région naturelle et nous devons accepter de nous y intégrer.

La deuxième condition pour ouvrir l’avenir est un soutien plus clair de la communauté internationale. Alors que, ces dix dernières années, les pays du Moyen-Orient, assez pauvres, ont consommé 100 milliards de dollars d’armes, moins de 20 millions de dollars d’aides publiques et privées ont été investis dans des projets de la société civile en Israël et en Palestine. Le Moyen-Orient est le laboratoire de ceux qui voient dans les armes la réponse aux maux de ce monde. Tout au long de leur histoire, les Palestiniens et les Israéliens n’ont cessé d’être manipulés. Aujourd’hui encore, trop souvent, les États étrangers conçoivent leur aide sous forme de diktats politiques.

Enfin la distinction entre les sphères politique et associative doit être clairement respectée et encouragée, afin de valoriser la place de chacun. On peut s’interroger, à ce titre, sur le choix de l’Union européenne d’investir autant d’argent pour soutenir « l’initiative de Genève », qui n’a rien d’une initiative de la société civile. Celle-ci a été menée par deux partis politiques très minoritaires à l’intérieur des sociétés israélienne (3 % pour le parti Ratz) et palestinienne (1 % pour le parti Fida). Il s’agit d’un exemple de coopération politique soutenue par l’Europe, et d’une ingérence, à mes yeux, dans le processus démocratique de notre pays. Il serait préférable que l’argent aille à des associations de médecins, d’éducateurs, de chefs d’entreprises… qui accomplissent un travail de rapprochement entre Israéliens et Palestiniens ; elles ont une vraie volonté politique, mais sans être dans des logiques partisanes. Il est essentiel, pour autant, d’encourager ceux qui veulent la paix à s’impliquer dans la vie politique de leur pays, à prendre des responsabilités, à se présenter au Parlement. Comment conforter cette « majorité silencieuse » qui respecte les intérêts de l’autre, qui porte sur l’autre un regard humain et non diabolisant ? Deux échéances politiques décisives se présentent, avec des élections en janvier en Palestine et sans doute au printemps en Israël. La voix des modérés doit s’y faire entendre.

Dans le court terme, il faut soutenir les projets qui peuvent avoir un impact réel. Les ennemis des Israéliens et des Palestiniens sont avant tout la pauvreté et l’ignorance. Les combattre avec efficacité, c’est déjà la construction de la paix à 90 %. Si la région n’était pas dévastée par la pauvreté et gangrenée par l’ignorance, si les hommes et les femmes avaient accès à la formation et à l’information, si les programmes d’éducation encourageaient la rencontre, les effets se verraient rapidement sur les nouvelles générations. Pour le long terme, l’enjeu est d’enraciner une culture de paix. Les Israéliens et les Palestiniens pourraient s’inspirer ici de ce qui s’est passé en Europe. Le deuxième conflit mondial a été le plus dévastateur de l’histoire de l’humanité, des dizaines de millions de personnes ont perdu la vie, le continent a été dévasté par un carnage tragique – pas seulement celui de l’Holocauste. Or, en cinquante ans, l’Europe a été capable de se reconstruire ; l’Allemagne et la France en ont été les moteurs ; les échanges économiques, culturels, technologiques, scientifiques sont quotidiens, normaux, entre les deux pays comme à 25. Il y a là un modèle extraordinaire pour nous ! Des peuples profondément blessés, meurtris, ont trouvé le chemin de la réconciliation et du développement. Cela est passé par l’économie, mais aussi par le développement d’une culture de paix, et bien entendu par la vigueur de la démocratie dans chacun des deux Etats. Ce modèle nous donne des raisons d’être optimiste par rapport au conflit israélo-palestinien, aussi irrationnel et sanguinaire soit-il. Certes, il n’y aura pas de miracles. Nous sommes conscients des obstacles énormes : comment parler de réconciliation quand on construit un mur ? Comment parler de paix si l’on apprend, comme dans certaines écoles de Gaza, la haine du juif ? Mais les échéances politiques que nous allons vivre peuvent aussi déboucher sur une ouverture. Il est possible de soigner les plaies de la deuxième Intifada, même si cela doit prendre vingt ans.

Ofer Bronchtein

www.forumforpeace.net


Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules