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En Italie, un pilier qui vacille


Peut-être plus que dans d’autres pays, l’industrialisation du système productif italien a particulièrement bénéficié de la contribution des petites et moyennes entreprises. Aujourd’hui encore, dans le contexte d’une économie globale, les Pme demeurent le principal pilier sur lequel s’appuie le système économique. En 2001, les entreprises de moins de 100 salariés représentaient en Italie environ 80 % de la force de travail (les chiffres ne dépassaient pas les 20 ou 40 % aux Etats-Unis, en France ou en Allemagne) 1.

Pour bien des entreprises, cette petite taille a longtemps représenté un atout majeur dans la compétition. Cet avantage compensait les faiblesses de nombreuses Pme, en préservant leur dynamisme dans des secteurs traditionnels où la concurrence était restée relativement faible avec les pays émergents. La flexibilité, propre aux entreprises de moindre taille, comme le choix du long terme pour l’investissement et la stratégie de la part des familles propriétaires contrebalançaient les limites de leurs ressources financières et leur faible influence au sein des mécanismes concurrentiels.

Mais la situation a radicalement changé au cours des dernières années. La place des Pme italiennes sur les marchés internationaux a été fortement réduite sous l’effet de la globalisation, du développement accéléré de plusieurs pays émergents et d’un taux de change euro-dollar particulièrement défavorable. Ce remodelage des forces a affaibli la compétitivité de la majeure partie des entreprises italiennes présentes dans les secteurs traditionnels du textile, de l’habillement, de la chaussure et de la maroquinerie, de la mécanique, des meubles et du plastique.

Ont aussi souffert des régions industrielles parmi les plus actives et les plus dynamiques, comme le Nord-Est 2 qui compte pourtant parmi les territoires les plus solides de l’économie italienne. Des régions considérées comme un modèle pour leur capacité à conjuguer tradition et innovation, petites structures familiales et dynamisme, ont vu réduire de façon significative leur poids dans la concurrence internationale. Ce qui était une force du système productif italien – non sans limites ni contradictions internes – semble être aujourd’hui un obstacle pour faire face aux mutations rapides du panorama international. Quelle est donc encore aujourd’hui la contribution des Pme à la production de richesses en Italie ? Et quelles sont les perspectives pour rattraper les retards accumulés ?

La construction du système industriel italien

Les enquêtes réalisées par l’Istat (organisme officiel de statistiques) dans les dernières décennies témoignent pour l’Italie d’un réel dynamisme entrepreneurial. De 1981 à 2001, le nombre d’« unités locales 3 actives » dans l’industrie, le commerce ou les services a augmenté de 33 % : de 3 300 000 en 1981, elles sont passées à presque 4 400 000 en 2001. Cette augmentation considérable est exclusivement due aux Pme. Quand le nombre de grandes entreprises diminuait de 7 %, celui des moyennes et des petites augmentait respectivement de 16 % et 33 %. De même, l’accroissement de 12,4 % du nombre des salariés (de 14 millions en 1981 à 15 700 000 en 2001) correspond en fait aux augmentations enregistrées dans les moyennes (+13,7 %) et les petites entreprises (+23,1 %), alors que, dans les grandes, ce chiffre chutait de 31 %. En 2001, 73,7 % du salariat était concentré dans les petites entreprises, 16 % dans les moyennes et seulement 10,4 % dans les grandes.

Les explications de cette réduction de la taille de l’entreprise italienne sont nombreuses et il est difficile d’en donner une vue d’ensemble. Le système d’aide (et inversement, celui des autorisations pour accroître les dimensions de l’entreprise), les modalités de la fiscalité, la présence ancienne des Pme dans des secteurs arrivés à maturité et où il est difficile de chercher à s’accroître…, sont autant de facteurs qui ont contribué à limiter la taille des entreprises italiennes 4. S’y ajoutent la culture et la mentalité des entrepreneurs italiens qui privilégient depuis longtemps ce type d’initiative.

Quelles que soient les causes de cette place de Pme dans le système actuel, les conséquences n’en sont plus si positives. La petite dimension rend difficile la prévision de ressources financières constantes et la gestion des compétences professionnelles. Et, malgré leur nombre réduit, ce sont les grandes entreprises qui assurent désormais une large partie de la compétitivité italienne sur les marchés étrangers. Même si elles n’emploient que 10 % de la force de travail, les entreprises de plus de 250 employés pèsent plus de 40 % dans les exportations italiennes. Dès lors, les Pme ne gardent qu’une capacité limitée d’influencer les dynamiques des marchés sur lesquels elles opèrent et ne permettent guère de compenser les points faibles de l’économie nationale.

Or leurs faiblesses deviennent particulièrement graves face à la montée des pays émergents de l’Asie du Sud Est (de la Chine d’abord) et de l’Europe de l’Est. La taille des entreprises italiennes ne leur assure pas une participation au processus de consolidation et de concentration de nombreux secteurs qu’entraîne une compétition croissante. Elle est également un facteur de faiblesse dans des secteurs qui demandent de lourds investissements pour la recherche et la communication et où le retour sur investissements se réalise sur de longues périodes. Enfin, la concentration du secteur des matières premières à l’échelon mondial réduit d’autant le pouvoir de négociation de plusieurs petites entreprises vis-à-vis de leurs fournisseurs.

Le mythe du Nord-Est : une économie en stagnation ?

Le mythe d’un Nord-Est à l’économie florissante et du rôle central joué par ses Pme à l’échelle nationale a été sérieusement écorné au cours des deux dernières années 5. C’est pourtant la zone où, de la manière la plus emblématique, a été mise en œuvre une politique post-fordiste, avec la création de réseaux d’entreprises et de districts industriels. Dans une région où les rapports avec les marchés étrangers étaient les plus évidents, le traditionnel modèle de la Pme à caractère familial a su, certes, s’adapter à la concurrence internationale. Pourtant, même le Nord, qui fut dans les vingt dernières années l’un des moteurs du développement économique national, se trouve aujourd’hui en situation de stagnation. Les changements dans la compétition mondiale sont en train de retourner ses traditionnels atouts en facteurs de handicap. Une importante exposition sur les marchés étrangers (en termes d’importation ou d’exportation) et la spécialisation en productions manufacturières ont rendu les entreprises du Nord-Est italien singulièrement vulnérables à la concurrence de pays qui étaient exclus de la division internationale du travail il y a encore quelques années.

Les données présentées au tableau 1 fournissent d’importants éléments d’analyse, à partir des dynamiques, des niveaux de revenu et de productivité. Elles mettent en évidence comment, depuis l’an 2000, le produit intérieur brut (Pib) par tête plafonne dans le Nord-Est à 21 000 euros.



Le produit par unité de travail, qui avait atteint les 44 000 euros par travailleur en l’an 2000, a diminué les années suivantes. Le Nord-Est s’est finalement aligné sur la moyenne nationale en ce qui concerne le Pib par unité de travail. En revanche, le Pib par tête s’avère encore nettement supérieur à la moyenne nationale (aux alentours de 20 % jusqu’en 2001 et de 18 % en 2002 et 2003). En replaçant ces chiffres dans une comparaison européenne, on observe que les revenus par personne en Italie (mesurés en pouvoir d’achat) sont descendus en dessous de la moyenne communautaire à partir de 2002 et que le Nord-Est a chuté dans le classement des régions les plus productives.

Des lignes de conduites pour améliorer la compétitivité

Le renforcement de la compétitivité des Pme du Nord-Est – mais aussi de toute l’Italie – doit s’appuyer sur la valorisation de ce qui reste un de leurs points forts pour construire un modèle de mondialisation : la solidité et la variété des systèmes locaux irrigués par de fortes traditions enracinées, de vraies compétences manufacturières et le dynamisme de ses entrepreneurs. Mais pour cela, il importe que ce patrimoine soit dynamisé par des entreprises plus structurées et de plus grande taille que la moyenne nationale. Dans le Nord-Est justement, on a enregistré sur la période 1991-2001 une augmentation du nombre des moyennes et grandes entreprises. Dans un contexte national qui a plutôt vu croître le nombre de petites entreprises, le chiffre total des créations d’entreprises a été de 17,3 % dans le Nord-Est, contre 20,9 % pour toute l’Italie. Mais au Nord-Est, la place de celles de taille moyenne (+22,3 %) ou grande (+21,7 %) s’est davantage accrue que partout ailleurs. De même, le nombre de salariés a augmenté de 18,4 % dans les grandes entreprises du Nord-Est, de 1991 à 2001, alors qu’il diminuait dans le reste du pays.



La part de l’emploi dans les moyennes entreprises est aussi significative : dans le Nord-Est, mais aussi dans d’autres régions, elle a pris plus d’importance à partir de la création de nouvelles entités (pour l’essentiel par alliances ou rachats). Sans renier leurs racines locales, ces entreprises expriment une nouvelle interprétation du made in Italy au sein d’une économie de la connaissance, toujours plus mondialisée. Elles fournissent la preuve qu’il est possible pour des Pme de construire un modèle capable de rayonner à l’étranger, à partir du territoire d’origine. Malgré la dispersion, il y existe une valorisation de l’appartenance à des systèmes productifs locaux.

Mais la seule croissance en taille est insuffisante : le chemin d’une relance économique des Pme italiennes passe aussi par l’amélioration du contexte entrepreneurial et territorial sur lequel elles opèrent. Les Pme italiennes doivent pouvoir développer de nouvelles fonctions créatives, s’adresser à de plus vastes réseaux, assurer un approvisionnement à l’intérieur des filières productives pour lesquelles elles sont spécialisées. De tels objectifs supposent d’investir plus largement dans la qualité des ressources humaines, dans les processus d’intégration technologique et dans le développement de nouveaux modèles de distribution. Enfin, il sera important de conforter l’évolution vers une économie de services, en faveur des entreprises comme des personnes, renforçant ainsi une « économie de la connaissance » mais aussi de la « qualité sociale » : ce sont aujourd’hui les premiers atouts des zones de développement industriel avancé.




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1 / Istat (Institut italien des statistiques), Huitième recensement général de l’industrie et des services, Institut national Poligrafico et Zecca, Rome, 2001. Cf. wwww. istat. it

2 / Le Nord-Est correspond à la zone géographique formée par les régions  Frioul-Vénétie Julienne, Trentin-Haut Adige et Vénétie.

3 / Par « unité locale », l’Istat entend les lieux physiques dans lesquels une unité juridico-économique exerce une activité.

4 / Guido Corbetta, Les moyennes entreprises à la recherche de leur identité, Milan, EGEA, 2000.

5 / D. Marini, Nord-Est 2004. Rapport sur la société et sur l’économie, Marsilio, Venise, 2004.

6 / PIB=Produit Intérieur Brut. Source: ISTAT et Prometeia.


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