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Un pilote pour l’assurance maladie ?


Resumé Acteur, pour donner figure à l’un des piliers de la solidarité nationale et pour influer sur le système de santé. Acteur bridé cependant, tant les responsabilités sont brouillées.

Pour les assurés, elle incarne la « sécu ». Pour les professionnels de santé, elle est le « financeur ». Pour l’Etat, elle est le « gestionnaire ». Elle même se voit souvent, avec modestie et regret, comme un « payeur ». La caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) est tout cela et plus encore puisqu’elle est le premier assureur santé de France. Qu’est-ce à dire exactement ? Comment tient-elle ce rôle ? Comment peut-il évoluer ?

Un rôle éminent mais contraint

La mission de la Cnamts porte sur deux domaines : le service et la régulation. Elle ne comprend ni la définition des prestations, ni la fixation des recettes, qui relèvent de l’Etat.

Le service aux assurés consiste avant tout à liquider et payer les prestations d’assurance maladie maternité, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles. Il nécessite le traitement de plus d’un milliard de factures par an pour 46 millions de bénéficiaires. Cette fonction comprend également les opérations d’amont (gestion des fichiers et des cartes des assurés et des ayants droit, des professionnels et établissements de santé), de contrôle administratif et médical, et une mission d’information des assurés et des professionnels de santé (internet, centres d’appel téléphoniques, accueil au guichet).

Pour ce faire, la Cnamts est à la tête d’un réseau de plus de 200 organismes (caisses primaires, caisses régionales, unions régionales…) employant 100 000 agents. Elle ne dispose cependant que d’une partie des moyens nécessaires à son animation. Si l’informatique, la répartition des 6 Md€ formant les budgets de gestion et le service médical sont entre ses mains, elle a peu de prise sur l’organisation du réseau : le nombre et le ressort des caisses locales sont fixés par l’Etat, la nomination des directeurs et agents de direction des caisses locales relèvent (jusqu’en 2005) de leurs conseils d’administration ; la rémunération du personnel relève d’une convention collective soumise à l’approbation de l’Etat. En énonçant que la Cnamts « gère » la branche maladie, la loi est donc optimiste. Les limites posées à ce pouvoir de direction gênent  la conduite du changement.

La régulation, appelée aussi « gestion du risque », consiste à le prévenir et à obtenir le meilleur rapport qualité/prix pour les assurés. Plus encore que dans sa fonction de service, le rôle de la Cnamts est ici partiel et contraint. Tout d’abord, il ne s’exerce que sur un cinquième de ses dépenses : les honoraires des professions de santé et les frais de transport sanitaire. Tout le reste est directement régulé par l’Etat : les dépenses d’hospitalisation, le médicament et les prestations en espèces (indemnités journalières, pensions d’invalidité, rentes d’accidents du travail). Et même pour ce qui lui est délégué, la maîtrise des dépenses est partagée avec l’Etat. La Cnamts signe les conventions avec les professions de santé, mais celles-ci sont approuvées par l’Etat, lequel, au surplus, intervient parfois dans la négociation. La valeur des actes est fixée par les conventions (consultations, visites, lettres-clés pour les actes techniques : B pour les analyses biologiques, KC pour la chirurgie, Z pour la radiologie…), mais le coefficient attaché à chaque acte (par exemple 50 pour l’appendicectomie) relève de nomenclatures arrêtées par l’Etat.

Ici encore, il y a loin des textes à la réalité. Dans les textes, depuis les ordonnances de 1967, les attributions de la Cnamts sont très larges. Elle est chargée « d’assurer le financement » des assurances maladie et accidents du travail et d’en « maintenir l’équilibre financier ». Elle mène des actions de prévention, d’éducation et d’information auprès de ses ressortissants. Elle négocie les conventions avec les professions de santé. Elle prend « les décisions nécessaires au maintien ou au rétablissement » de l’assurance maladie, « soit par une modification du taux des prestations, soit par une augmentation des cotisations, soit pas une combinaison de ces mesures », sous la seule réserve que l’augmentation des cotisations n’est exécutoire qu’une fois approuvée par décret. En contrepartie, si l’on peut dire, de l’écart entre les textes et la réalité, le non respect de l’objectif de dépenses qui lui est délégué (25 Md€ environ en 2003) n’est assorti d’aucune sanction.

Dans le cadre ainsi délimité, la Cnamts a-t-elle pleinement utilisé son espace de liberté ? Cela a été inégalement le cas.

Un service aux assurés de qualité

S’agissant du service aux assurés, le succès est certain. Sous l’impulsion de la Cnamts, l’assurance maladie délivre un service de qualité. Les feuilles de soins, matière première de la production des caisses et premier formulaire de France en volume, arrivent aujourd’hui pour moins d’un quart sous forme de papier, dont la majeure partie est traitée en lecture optique. Le reste des flux d’entrée est électronique, grâce au système inter régimes Sésam Vitale ou à d’autres vecteurs. Cette dématérialisation a permis d’automatiser les traitements et de raccourcir drastiquement les délais de remboursement, qui sont désormais de l’ordre d’une semaine. Le paiement des prestations se fait à plus de 99 % sous forme de virement bancaire, ce qui concourt aussi à leur rapidité. Les modes d’accès des assurés ont été diversifiés, ceux-ci peuvent consulter leurs remboursements par internet ou appeler des plates formes téléphoniques. La pression au guichet, qui a longtemps dégradé l’image de la sécurité sociale, est aujourd’hui fortement atténuée.

Une autre amélioration du service se traduit dans la progression du « tiers payant » (dispense d’avance des frais) : la totalité des soins hospitaliers et deux tiers des soins de ville en bénéficient. Enfin, l’assurance maladie s’est bien adaptée à la diversification de son public et de ses prestations. Elle l’a prouvé en accueillant en l’an 2000 plus de quatre millions de bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) et plus de cent mille bénéficiaires de l’aide médicale de l’Etat (étrangers en situation irrégulière), qui représentaient pour elle un public et un métier nouveaux.

Ce tableau comporte cependant des zones d’ombre. La lenteur de mise en œuvre des techniques nouvelles en est une. Il a fallu près de vingt-cinq ans pour  développer et déployer le système Sésam Vitale qui a permis de dématérialiser les feuilles de soins. La fiabilité d’une partie des bases de données, comme les performances du système d’information, sont perfectibles sur de nombreux points. Ainsi, par exemple, les prescriptions ne sont pas télétransmises, les accords préalables ne sont pas automatisés, le système d’information chargé de la liquidation des prestations ne communique pas avec celui du service médical, les caisses ne sont pas connectées au fichier des entreprises cotisantes, etc. Mais d’autres composantes du service ont fait des progrès remarquables, comme l’éditique, l’accueil téléphonique ou l’internet.

Un rôle timide dans la régulation des dépenses

S’agissant de la régulation, le tableau est plus contrasté. Le principal succès est la généralisation des conventions passées avec les professions de santé. Moins d’un médecin sur deux cent n’est pas conventionné. Ce succès a été obtenu au prix d’une revalorisation régulière des honoraires. Ainsi, la valeur de la consultation médicale a augmenté de 30 % de plus que les prix en 30 ans (1972-2002). Grâce aux négociations menées par la Cnamts, les professions de santé libérales n’ont pas connu la crise économique alors même que leur effectif explosait.

Ce succès a une contrepartie : l’assurance maladie a dû accepter qu’une partie des médecins (moins d’un quart aujourd’hui) soit autorisé à dépasser les tarifs conventionnels. Il a enfin trois exceptions : les tarifs des prothèses dentaires, des lunettes et des audioprothèses n’ont pas été maîtrisés, et le remboursement de l’assurance maladie reste donc très faible sur ces trois postes.

La principale limite de l’action de la Cnamts est de n’avoir pas su  adapter l’évolution des dépenses dont la régulation lui a été confiée à celle de ses recettes. A l’exception remarquable du plan adopté en 1999 à l’initiative de Gilles Johanet, le conseil d’administration de la Cnamts n’a pas dégagé d’orientations stratégiques pour respecter l’objectif de dépenses est fixé, depuis 1997, au sein de l’Ondam voté par le Parlement. Il a rarement pris des mesures correctrices en cours d’année et n’a pas décidé, ni même proposé, de modifier le taux ou les conditions d’attribution des prestations pour équilibrer ses comptes.

Comment expliquer que le premier assureur santé de France, avec le pouvoir d’engager 85 % des assurés et la légitimité de son conseil d’administration, composé des syndicats, de la Mutualité et (jusqu’en 2001) du Medef, n’ait occupé qu’en partie l’espace que lui donnent les textes ? Peut-être l’Etat a-t-il voulu lui faire poursuivre trop d’objectifs à la fois.

En installant le conseil d’administration issu des élections de 1982, Pierre Bérégovoy indiquait, dans une allocution restée dans les mémoires, que les administrateurs seraient jugés sur trois éléments : leur capacité à défendre les assurés sociaux, leur aptitude à tenir les dépenses et… la conduite du projet Sésam Vitale ! Ce rappel illustre bien l’ambiguïté des missions assignées aux gestionnaires : l’assurance maladie répond à un enjeu de santé et à un objectif social mais elle est aussi une industrie. Sa gestion peut-elle exceller simultanément dans les trois dimensions de progrès social, de régulation économique et d’efficacité industrielle ? L’interrogation porte à la fois sur la nature du délégataire, sur celle du risque et sur celle de la délégation.

Le délégataire en position inconfortable

Les partenaires sociaux sont bien placés pour exprimer le point de vue des financeurs et des bénéficiaires. La généralisation de l’assurance maladie à l’ensemble des résidents n’a pas retiré aux représentants des employeurs toute légitimité pour faire valoir le point de vue des contributeurs, puisque les cotisations des entreprises représentent encore la moitié des recettes. Elle n’a pas non plus effacé la légitimité des syndicats à représenter les cotisants, puisque la CSG est supportée essentiellement par les actifs ; avec les cotisations salariales, elle représente 35 % des recettes.

En revanche, sont-ils les mieux placés pour arbitrer entre les contributeurs et les bénéficiaires ? Le Medef doit tenir compte des branches financées par l’assurance maladie (industrie pharmaceutique, cliniques privées) et de sa volonté de limiter les transferts de charges vers les organismes complémentaires dont les entreprises supportent une partie des cotisations dans les contrats collectifs. Les syndicats sont-ils en mesure d’assumer les choix entre ceux qui payent et ceux qui reçoivent ?

Le risque assuré a changé de nature

Dans l’assurance chômage ou la retraite complémentaire, les partenaires sociaux parviennent à dégager des compromis et à anticiper les évolutions. Ils ont plus de mal à le faire en assurance maladie, car celle-ci a peu à peu changé de nature. Cela ne tient moins à la généralisation de la couverture qu’au vieillissement de la population. Les dépenses de santé croissent fortement avec l’âge, et les retraités sont mieux couverts que les actifs grâce à la multiplication des exonérations de ticket modérateur. Près de la moitié des prestations en nature de l’assurance maladie obligatoire va aux retraités. Or ceux-ci cotisent très peu. Leur contribution couvre à peine plus de 5 % de leurs dépenses. La différence correspond pour 60 % à la mutualisation d’une consommation plus élevée que celle des actifs et pour 40 % à leur sous-contribution par rapport aux actifs (CSG et cotisations patronales).

L’assurance maladie est ainsi devenue aussi bien un transfert entre générations qu’un transfert entre bien portants et malades. Cette situation est d’autant plus difficile à gérer pour les partenaires sociaux que la proportion des retraités dans les bénéficiaires est croissante et que le niveau de vie moyen des retraités par unité de consommation est au moins égal à celui des actifs.

La délégation est bancale

Le cadre de la délégation confiée par l’Etat à la Cnamts est défini par la loi. Depuis quelques années, son contenu est précisé par des « conventions pluriannuelles d’objectifs et de gestion » et la fixation annuelle d’un « objectif quantifié de dépenses déléguées ». La question non résolue est celle de la responsabilité du délégataire : que se passe-t-il si les objectifs ne sont pas atteints, dès lors que le délégataire est unique et qu’il ne dispose pas des ressources lui permettant d’assumer un risque financier ? Seul le directeur de la Cnamts, nommé en Conseil des ministres, peut être changé.

Cette situation est inconfortable pour les deux parties. Il n’est pas étonnant que la confiance de l’Etat soit limitée, ce qui se traduit par un encadrement puissant des compétences déléguées et un tripartisme de fait. Il est également naturel que la Cnamts se sente privée des moyens de ses ambitions. Mais peut-il en être autrement lorsque l’on délègue à un organisme unique, qui « pèse », avec la Canam (pour les indépendants) et la Mutualité sociale agricole, 100 % des assurés et 80 % des soins remboursables, le soin de réguler un important secteur économique ?

L’administration de l’assurance maladie par des représentants des assurés et des cotisants fait partie du « contrat social » issu de la Libération. Même si elle a pris plusieurs formes au fil du temps, élective ou désignée, paritaire ou non, elle a conservé cette marque d’origine. Les pouvoirs publics, soucieux de diversifier les terrains de négociation sociale, ont toujours magnifié le rôle des gestionnaires, qualifiés de « garants d’une conquête sociale historique et gardiens d’un pilier du modèle social européen ».

Depuis plus de quarante ans, l’Etat cherche à réconcilier ce projet politique avec une vision économique. Il a misé successivement sur le paritarisme, le partage des rôles, la multiplication des instances de pilotage, sans arriver à sortir d’une situation instable. Il a écarté une régulation par les Régions, ou encore un pilotage « pluriel » par des opérateurs en concurrence. Il est probable que ces hésitations perdureront tant que la question de la responsabilité du ou des délégataires n’aura pas été résolue.


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