Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Primordiale pour l’activité locale, l’agriculture doit rester un secteur d’avenir.
La Guadeloupe est un département fortement marqué par son agriculture. Cette agriculture, encore jeune, représente une part primordiale de l’activité économique et les exploitants sont des acteurs économiques importants, qui se prennent en charge : 75 % des exportations de la Guadeloupe, en volume (et 53 en valeur), sont aujourd’hui des produits agricoles. Auparavant, ce secteur était encore aux mains de quelques grands propriétaires ou groupes et la production s’y faisait de manière assez traditionnelle ; la majorité des exploitations n’occupait que de toutes petites surfaces (2 à 3 hectares). Les vingt dernières années correspondent à une première mutation. Mais une autre époque s’ouvre aujourd’hui. L’intégration européenne et l’ouverture des marchés peuvent constituer de sérieuses menaces pour le fragile équilibre économique obtenu. Comment maintenir dynamique un secteur agricole dépendant de deux cultures principales ?
Comme en métropole, les années 60 ont vu la création en Guadeloupe d’une Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Au début des années 80, cet opérateur a été sollicité pour répondre à la crise provoquée par le retrait des sociétés propriétaires des terres agricoles. La Safer a eu pour mission de mettre en œuvre une réforme foncière, avec un double objectif : contribuer à restructurer l’industrie sucrière et favoriser l’installation de producteurs sur des exploitations « familiales » d’une taille viable, c’est-à-dire de 7 à 10 hectares1, en vue d’assurer un réel équilibre pour celles-ci. Cette réforme concernait environ 10 000 ha2. Elle a permis de préserver une certaine paix sociale en tenant compte de la situation des centaines de colons (métayers) et d’ouvriers agricoles présents sur les exploitations. Désormais, les terres appartiennent, pour l’essentiel, à des Groupements fonciers agricoles (Gfa) et les exploitants relèvent d’un statut original : ils sont à la fois fermiers (avec un bail) et associés (ils ont des parts sociales du Gfa). Les agriculteurs qui s’installent dans ce cadre, avec le concours de la Safer, bénéficient d’un appui technique dans un objectif de professionnalisation. Il reste par ailleurs quelques grandes propriétés dans le secteur de la banane.
Les productions principales sont celle de la banane (moins de 5 000 hectares), sur l’île montagneuse de Guadeloupe, et celle de la canne à sucre, souvent associée à l’ananas et au melon, sur la Grande Terre. L’ananas, fragile, est peu exporté, mais le melon est devenu une filière d’excellence, très rentable financièrement : c’est la troisième source de revenus agricoles du département. Les cultures maraîchères et vivrières sont pour l’essentiel destinées à la consommation locale.
Pour le reste, l’activité agricole inclut également des élevages bovins, caprins, porcins et de volailles. Ces différentes filières poursuivent à la fois leur structuration et leur modernisation.
Le problème essentiel de l’agriculture guadeloupéenne est bien sûr économique. Pour l’emploi, tout d’abord : dans un département où le taux de chômage approche les 30 %, quand les exploitations de dix hectares créent, peu ou prou, deux emplois plus ou moins saisonniers chacune, il s’agit déjà d’un levier important. Si la culture de la canne et la transformation en sucre sont très largement mécanisées, la production de bananes exige toujours le recours à des salariés agricoles, en particulier au moment de la récolte et de l’emballage. Certains salariés agricoles cumulent leur emploi avec une activité de pêche ou d’artisanat. Mais l’absence de coopératives et le manque d’organisation des filières commerciales engendrent de réelles difficultés pour les producteurs individuels, notamment face aux grandes sociétés de distribution. La Guadeloupe est loin de subvenir à tous ses besoins. En moyenne, 80% de la consommation de fruits et légumes est importé.
Pour consolider et développer notre agriculture, le premier objectif est la reconquête du marché local, en produisant des fruits et légumes (par exemple tomates et carottes) pour l’approvisionnement des cantines scolaires et des hôpitaux. Ces marchés « publics » représenteraient déjà une filière de distribution intéressante ! Le second objectif pourrait être de développer des « niches » et d’exporter de nouvelles productions, si elles sont rentables, comme cela a été fait pour le melon.
Le facteur-clé de la réussite reste celui de la rentabilité financière. Le prix de la tonne de canne est basé sur sa richesse en sucre qui elle-même dépend de plusieurs facteurs, dont la pluviométrie : si les pluies sont abondantes, la production augmente, mais le taux de sucre peut être insuffisant pour permettre un bon revenu. La Grande Terre, où se concentre la culture de la canne, est en général peu arrosée ; la maîtrise de l’eau suppose des décisions politiques (localisation des barrages). Après des années de débat, ceux-ci sont toujours attendus. Le problème est donc loin d’être résolu.
Les 6 à 700 000 tonnes de canne récoltées sont transformées dans deux usines (l’une est située sur Marie-Galante, l’autre sur ce que nous appelons pompeusement « le continent »). Il en sort environ 50 000 tonnes de sucre (estimation 2004). Une large part en est exportée, ainsi que le rhum, vers l’Europe principalement. Les producteurs n’ont pas encore vraiment mesuré l’impact potentiel de la réforme présentée le 14 juillet 2004, qui marque un désengagement très important de la puissance publique dans la politique de soutien de tout le secteur sucrier (réduction du prix de soutien institutionnel, réduction du prix minimal pour la betterave, suppression de l’intervention publique, réduction du quota de production communautaire, réduction des exportations subventionnées, etc.). Cette réforme, qui s’appliquera en juillet 2005, pourrait entraîner une perte de 30 à 40 % des revenus, à production égale : la crise est à venir !
Pour le secteur de la banane, le prix à la production est fixé dans le cadre de l’Organisation commune des marchés de la banane. Mais la concurrence des pays ACP qui produisent dans des conditions sociales différentes pénalise les bananes des Antilles. Le coût de la « banane dollar » est plus bas que celui de la « banane euro ». Comme le secteur bananier est un gros employeur ici, il convient de continuer à se battre pour protéger la filière : à ce titre, un rapprochement s’est opéré avec les producteurs martiniquais, avec lesquels nous avons des intérêts communs. Une association a été constituée et ce rapprochement ne peut qu’être profitable à tous. Un contrat de progrès a été signé entre l’Etat, les collectivités locales et les professionnels pour la pérennisation de la filière : le ministre de l’Agriculture, Hervé Gaymard, est venu sur place en juin dernier pour le présenter. Cela ne suffit pas encore à rassurer les producteurs qui contestent l’efficacité des mesures.
Compte tenu de l’évolution de notre environnement, la question de l’avenir du secteur agricole se pose de plus en plus. La canne et la banane représentent environ 20 000 hectares de terres : que pouvons-nous cultiver ? Sans doute faut-il mener deux politiques à la fois : soutenir la production existante et, en même temps, rechercher de nouveaux marchés, par exemple pour des sous-produits de la canne (une centrale bagasse/charbon existe déjà), puis peut-être développer d’autres productions à haute valeur ajoutée (plantes médicinales), ou des productions tournées vers l’agro-alimentation (arbres fruitiers). D’ores et déjà, la reconversion des périmètres bananiers se heurte à des limites, en raison de l’utilisation de produits qui excluent aujourd’hui toute culture maraîchère sur ces sols.
Chaque année, une part importante de la surface agricole de la Guadeloupe disparaît (en moyenne 800 à 1000 ha). Mais, malgré une pression très forte sur le foncier, l’agriculture reste, selon nous, un secteur d’avenir : encore jeune dans sa structuration, en pleine mutation, il a une très grande capacité d’adaptation. Dans le futur, la part de l’agriculture est sans doute destinée à diminuer, mais cette évolution ne peut se poursuivre indéfiniment : même le tourisme a besoin d’une production locale et donc de l’agriculture pour se développer.
1 Le minimum pour obtenir les différentes aides à l’installation est de sept hectares pondérés.
2 Un 6e de la surface agricole utilisée de l’archipel guadeloupéen.
Primordiale pour l’activité locale, l’agriculture doit rester un secteur d’avenir.
La Guadeloupe est un département fortement marqué par son agriculture. Cette agriculture, encore jeune, représente une part primordiale de l’activité économique et les exploitants sont des acteurs économiques importants, qui se prennent en charge : 75 % des exportations de la Guadeloupe, en volume (et 53 en valeur), sont aujourd’hui des produits agricoles. Auparavant, ce secteur était encore aux mains de quelques grands propriétaires ou groupes et la production s’y faisait de manière assez traditionnelle ; la majorité des exploitations n’occupait que de toutes petites surfaces (2 à 3 hectares). Les vingt dernières années correspondent à une première mutation. Mais une autre époque s’ouvre aujourd’hui. L’intégration européenne et l’ouverture des marchés peuvent constituer de sérieuses menaces pour le fragile équilibre économique obtenu. Comment maintenir dynamique un secteur agricole dépendant de deux cultures principales ?
Comme en métropole, les années 60 ont vu la création en Guadeloupe d’une Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Au début des années 80, cet opérateur a été sollicité pour répondre à la crise provoquée par le retrait des sociétés propriétaires des terres agricoles. La Safer a eu pour mission de mettre en œuvre une réforme foncière, avec un double objectif : contribuer à restructurer l’industrie sucrière et favoriser l’installation de producteurs sur des exploitations « familiales » d’une taille viable, c’est-à-dire de 7 à 10 hectares1, en vue d’assurer un réel équilibre pour celles-ci. Cette réforme concernait environ 10 000 ha2. Elle a permis de préserver une certaine paix sociale en tenant compte de la situation des centaines de colons (métayers) et d’ouvriers agricoles présents sur les exploitations. Désormais, les terres appartiennent, pour l’essentiel, à des Groupements fonciers agricoles (Gfa) et les exploitants relèvent d’un statut original : ils sont à la fois fermiers (avec un bail) et associés (ils ont des parts sociales du Gfa). Les agriculteurs qui s’installent dans ce cadre, avec le concours de la Safer, bénéficient d’un appui technique dans un objectif de professionnalisation. Il reste par ailleurs quelques grandes propriétés dans le secteur de la banane.
Les productions principales sont celle de la banane (moins de 5 000 hectares), sur l’île montagneuse de Guadeloupe, et celle de la canne à sucre, souvent associée à l’ananas et au melon, sur la Grande Terre. L’ananas, fragile, est peu exporté, mais le melon est devenu une filière d’excellence, très rentable financièrement : c’est la troisième source de revenus agricoles du département. Les cultures maraîchères et vivrières sont pour l’essentiel destinées à la consommation locale.
Pour le reste, l’activité agricole inclut également des élevages bovins, caprins, porcins et de volailles. Ces différentes filières poursuivent à la fois leur structuration et leur modernisation.
Le problème essentiel de l’agriculture guadeloupéenne est bien sûr économique. Pour l’emploi, tout d’abord : dans un département où le taux de chômage approche les 30 %, quand les exploitations de dix hectares créent, peu ou prou, deux emplois plus ou moins saisonniers chacune, il s’agit déjà d’un levier important. Si la culture de la canne et la transformation en sucre sont très largement mécanisées, la production de bananes exige toujours le recours à des salariés agricoles, en particulier au moment de la récolte et de l’emballage. Certains salariés agricoles cumulent leur emploi avec une activité de pêche ou d’artisanat. Mais l’absence de coopératives et le manque d’organisation des filières commerciales engendrent de réelles difficultés pour les producteurs individuels, notamment face aux grandes sociétés de distribution. La Guadeloupe est loin de subvenir à tous ses besoins. En moyenne, 80% de la consommation de fruits et légumes est importé.
Pour consolider et développer notre agriculture, le premier objectif est la reconquête du marché local, en produisant des fruits et légumes (par exemple tomates et carottes) pour l’approvisionnement des cantines scolaires et des hôpitaux. Ces marchés « publics » représenteraient déjà une filière de distribution intéressante ! Le second objectif pourrait être de développer des « niches » et d’exporter de nouvelles productions, si elles sont rentables, comme cela a été fait pour le melon.
Le facteur-clé de la réussite reste celui de la rentabilité financière. Le prix de la tonne de canne est basé sur sa richesse en sucre qui elle-même dépend de plusieurs facteurs, dont la pluviométrie : si les pluies sont abondantes, la production augmente, mais le taux de sucre peut être insuffisant pour permettre un bon revenu. La Grande Terre, où se concentre la culture de la canne, est en général peu arrosée ; la maîtrise de l’eau suppose des décisions politiques (localisation des barrages). Après des années de débat, ceux-ci sont toujours attendus. Le problème est donc loin d’être résolu.
Les 6 à 700 000 tonnes de canne récoltées sont transformées dans deux usines (l’une est située sur Marie-Galante, l’autre sur ce que nous appelons pompeusement « le continent »). Il en sort environ 50 000 tonnes de sucre (estimation 2004). Une large part en est exportée, ainsi que le rhum, vers l’Europe principalement. Les producteurs n’ont pas encore vraiment mesuré l’impact potentiel de la réforme présentée le 14 juillet 2004, qui marque un désengagement très important de la puissance publique dans la politique de soutien de tout le secteur sucrier (réduction du prix de soutien institutionnel, réduction du prix minimal pour la betterave, suppression de l’intervention publique, réduction du quota de production communautaire, réduction des exportations subventionnées, etc.). Cette réforme, qui s’appliquera en juillet 2005, pourrait entraîner une perte de 30 à 40 % des revenus, à production égale : la crise est à venir !
Pour le secteur de la banane, le prix à la production est fixé dans le cadre de l’Organisation commune des marchés de la banane. Mais la concurrence des pays ACP qui produisent dans des conditions sociales différentes pénalise les bananes des Antilles. Le coût de la « banane dollar » est plus bas que celui de la « banane euro ». Comme le secteur bananier est un gros employeur ici, il convient de continuer à se battre pour protéger la filière : à ce titre, un rapprochement s’est opéré avec les producteurs martiniquais, avec lesquels nous avons des intérêts communs. Une association a été constituée et ce rapprochement ne peut qu’être profitable à tous. Un contrat de progrès a été signé entre l’Etat, les collectivités locales et les professionnels pour la pérennisation de la filière : le ministre de l’Agriculture, Hervé Gaymard, est venu sur place en juin dernier pour le présenter. Cela ne suffit pas encore à rassurer les producteurs qui contestent l’efficacité des mesures.
Compte tenu de l’évolution de notre environnement, la question de l’avenir du secteur agricole se pose de plus en plus. La canne et la banane représentent environ 20 000 hectares de terres : que pouvons-nous cultiver ? Sans doute faut-il mener deux politiques à la fois : soutenir la production existante et, en même temps, rechercher de nouveaux marchés, par exemple pour des sous-produits de la canne (une centrale bagasse/charbon existe déjà), puis peut-être développer d’autres productions à haute valeur ajoutée (plantes médicinales), ou des productions tournées vers l’agro-alimentation (arbres fruitiers). D’ores et déjà, la reconversion des périmètres bananiers se heurte à des limites, en raison de l’utilisation de produits qui excluent aujourd’hui toute culture maraîchère sur ces sols.
Chaque année, une part importante de la surface agricole de la Guadeloupe disparaît (en moyenne 800 à 1000 ha). Mais, malgré une pression très forte sur le foncier, l’agriculture reste, selon nous, un secteur d’avenir : encore jeune dans sa structuration, en pleine mutation, il a une très grande capacité d’adaptation. Dans le futur, la part de l’agriculture est sans doute destinée à diminuer, mais cette évolution ne peut se poursuivre indéfiniment : même le tourisme a besoin d’une production locale et donc de l’agriculture pour se développer.
1 Le minimum pour obtenir les différentes aides à l’installation est de sept hectares pondérés.