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Défenseur public


Diplômé en droit de l’Université de Virginie en 1982, Kevin Doyle a été employé par le bureau d’aide légale de New York, dans le Bronx, puis à la cour fédérale de Brooklyn, enfin par un cabinet d’avocats de Wall Street. Il est responsable du bureau officiel qui défend ceux qui risquent la peine de mort dans l’Etat de New York. Appelé à défendre un criminel du couloir de la mort en Alabama, il est resté à Birmingham de 1990 à 1995. Lorsque l’Etat de New-York a réintroduit la peine de mort, Kevin Doyle est devenu le responsable du bureau officiel chargé de défendre tous ceux qui peuvent encourir cette peine.

Projet – Comment avez-vous été impliqué dans l’aide juridique ?

Kevin Doyle – Je suis responsable du bureau de « défense publique » pour l’État de New York. Nous sommes présents à Rochester, Albany, avec plus de 30 avocats qui travaillent à la fois en première instance et en appel. Notre bureau propose aussi une formation pour les membres de cabinets privés qui sont commis d’office. Jusqu’à présent, les circonstances ont été plutôt favorables : alors que nous craignions de compter plus d’une douzaine de personnes dans le couloir de la mort, jusqu’ici sept ont été condamnées, dont l’une a vu sa sentence commuée en prison à perpétuité.

Certains trouveront étrange la responsabilité que j’ai prise. Pour moi, elle est naturelle. Je suis fils d’officier de police. Nous avons été élevés dans un grand respect du système judiciaire mais aussi avec la conscience de sa fragilité. Je fais partie d’une fratrie de six enfants, et mes parents – catholiques pratiquants – m’ont appris le sens de la justice raciale et sociale; ils m’ont donné le nom d’un saint noir. J’ai grandi à une époque où l’Amérique devenait lucide devant les injustices sociales : mes premiers souvenirs politiques se rapportent au mouvement des droits civils. C’était l’époque de l’administration Kennedy, aussi du Concile Vatican II – tout cela filtré par le catholicisme de mes parents. J’ai su, dès le début de mes études, que j’allais faire du droit pénal. J’aurai pu finir avocat général, mais j’ai choisi d’être du côté de la défense. La plupart de mes camarades ont entamé des carrières beaucoup plus prestigieuses, mais moins intéressantes, à mon sens.

A la fin de mes études de droit, j’ai suivi un stage d’été à la NAACP ( National association for the advancement of colored people), l’institution de défense des droits de l’homme la plus importante des Etats-Unis, qui a pris part à toutes les réformes depuis les années 30. J’ai mené un travail d’investigation et plaidé au tribunal. Dans le poste que j’occupe aujourd’hui, le plus grand sacrifice est de ne plus plaider moi-même.

Mais l’avantage dans l’aide légale, d’un point de vue quelque peu égoïste, est que l’on obtient plus vite une responsabilité que dans un autre poste. J’ai commencé à New York. Originaire du Bronx, j’avais grandi autour de l’université de Fordham et de ses pelouses, j’y avais étudié. Ce lieu est un point de référence pour nous : ma famille y a fait concrètement l’expérience du concile Vatican II (avec pour la première fois une messe face au peuple…). Il s’y passait beaucoup d’échanges avec l’étranger.

Projet – Dans quelles circonstances êtes-vous parti en Alabama ?

Kevin Doyle – En grandissant, les questions politiques m’ont toujours passionné. J’ai toujours été opposé à la peine de mort, aussi longtemps que je puisse m’en souvenir. A l’université, cela n’a fait que se renforcer. Je voulais travailler pour des causes difficiles Je suis allé en Alabama par l’intermédiaire de la NAACP qui coordonnait l’action des avocats commis d’office.

Il est important de comprendre le contexte : dans le grand sud, dans la « ceinture de la mort », en Géorgie, Floride, Alabama, mais aussi au Texas, ce qu’on appelle justice est un véritable scandale. L’aide légale est une plaisanterie. Les avocats ne sont pas payés correctement, ils ne sont ni formés, ni équipés. Certains accusés sont très bien représentés, mais pour d’autres, c’est terrible. En Californie, la situation est très inégale, même si en moyenne elle est meilleure qu’au Texas. Là, on voit des avocats dormir durant les procès ! Accepter cette parodie, et défendre la peine de mort, c’est accepter une vision de l’humanité à deux faces. Les gens ne voudraient pas que leurs chiens soient défendus comme le sont les hommes dans certaines juridictions américaines.

Mais il serait dangereux de n’y voir qu’un problème du sud, et de projeter tous les problèmes sur le sud. En Pennsylvanie aussi, les disparités sont scandaleuses. Comparez les résultats obtenus par le « défenseur public » et ceux des avocats commis d’office. Les avis du premier sont motivés, articulés. Dans les cabinets privés, on ne désigne pas d’office les avocats les plus doués, ceux qui sortent de Harvard, mais, parfois, simplement, ceux avec lesquels le juge est le plus à l’aise. Or on a besoin d’avocats indépendants, capables de dire au juge qu’il est injuste, qu’il fait du charme à l’accusation. A Philadelphie, cette disparité est criante.

Projet – Quel est le poids de l’argent ?

Kevin Doyle – Le poids de l’argent est essentiel ! Si vous ne vous appelez pas O.-J. Simpson, vous ne disposez pas d’une équipe de rêve, à moins d’appeler ainsi des avocats qui dorment pendant les séances. Vous aurez un avocat commis d’office qui, souvent, ne sera pas à la hauteur.

En outre, reconnaissons-le, la classe et la race constituent des barrières à l’empathie, à la compréhension. Les crimes jugés sont horribles, chargés de souffrance et de haine. Pourtant, si vous voulez sauver la vie de celui que vous vous défendez, vous devez obtenir des jurés qu’ils regardent aussi l’accusé et que, ne serait-ce qu’un dixième de seconde, ils réalisent que par la grâce de Dieu il doit vivre. C’est encore plus difficile à reconnaître quand la personne est d’une autre race, d’une autre classe. J’ignore si c’est dû à la nature humaine, telle qu’elle s’exprime au 21e siècle en Amérique. Quelles que soient les procédures introduites, les préjudices de race et de classe sont toujours là : la frontière de la peine de mort ne cesse jamais de les rencontrer.

Projet – Qu’est-ce qui change quand l’accusé encourt la peine de mort ?

Kevin Doyle – Dans presque toutes les juridictions, la peine de mort peut être requise quand la personne est accusée de meurtre avec circonstances aggravantes (vol, viol, séquestration…), quand il s’agit d’un double meurtre ou que la victime appartient à la police. Dès lors s’impose aussi un côté sensationnel qui modifie tous les comportements, ceux du juge, de l’accusation, de la défense. D’une certaine manière, le bon sens disparaît. Dans le cas que nous défendons actuellement, un des jurés est sorti avec un officier de police, lui-même témoin potentiel de l’affaire. Normalement, ce juré devrait être exclu, mais le juge l’a gardé. Dans la même affaire, un des jurés a déclaré que son beau-frère devait repeindre la maison d’un des membres de l’équipe de l’accusation. Sa demande de se retirer a été écartée malgré cette relation commerciale.

En outre, les effets médiatiques sont très forts. Notre culture aujourd’hui réclame du pain et des jeux. Dans les shows télévisés, l’intimité émotionnelle et physique est mise en avant, dans une sorte de voyeurisme. Rien de nouveau depuis Saint Jean Chrysostome : devant des gens, dans la rue, qui se blessaient pour attirer l’attention, il n’avait pas besoin d’imaginer l’enfer. La peine de mort n’est rien d’autre que le dernier cercle du cirque.

Projet – Cette tension dramatique entre-t-elle en jeu dans le procès ?

Kevin Doyle – La première affaire sur laquelle j’ai travaillé concernait un homme qui, à 18 ans, avait déjà été pris dans une série de vols, en 1980 ou 81. Complètement drogué, il avait fracturé une grande boucherie de Birmingham, la veille de Thanksgiving. En criant, il avait demandé aux gens de lever les mains, et il avait tiré, de très loin, tuant un homme d’une balle entre les deux yeux. Il était noir : le juge a écarté du jury tous les Noirs, à cause de la couleur de leur peau. Il a été condamné à mort. Son avocat n’était ni formé ni payé. Il a présenté quelques bons arguments mais, pour des raisons techniques, la cour a pu les rejeter. Quand vous écoutez la chaîne Fox, vous avez toujours l’impression que les arguties juridiques servent l’intérêt de criminels. En fait, c’est rarement le cas. Dans les procès en appel de peine de mort, c’est souvent l’accusation qui s’en sert. Ainsi a-t-elle pu exclure tous les Noirs du jury, parce que l’avocat de la défense n’avait pas clairement enregistré la procédure. La peine de mon client a été finalement commuée parce qu’un des juges a pu jouer un rôle décisif.

Projet – C’était votre premier procès. Quand l’État de New York a réintroduit la peine de mort en 1975, ce fut une décision politique ?

Kevin Doyle – L’État de New York, en effet, n’a pas utilisé la peine de mort entre les années 60 et les années 90. Deux gouverneurs successifs, dont Mario Cuomo, y étaient personnellement opposés. Ce dernier a essayé, durant ses mandats, de faire passer des lois pour empêcher les tenants de la peine de mort de durcir la législation. Le gouverneur Pataki, qui a finalement remporté les élections contre Cuomo, est un homme intelligent, un politicien habile, il s’entoure de gens de qualité. Il a construit un compromis qui reconnaît l’importance d’un système de défense publique très sérieux.

C’est ainsi que tout a commencé : trois personnes ont été recrutées, dans un espace totalement encombré, disposant de trois mois pour se préparer à défendre tous les accusés encourant la peine de mort dans les soixante-deux comtés de l’État. Par la suite, ce bureau s’est développé.

Projet – Cela permet d’éviter les difficultés des avocats commis d’office.

Kevin Doyle – Oui, ce n’est pas l’accusé qui vient nous chercher. Dès que l’on peut se charger d’une défense, nous le faisons, ou bien nous avons recours à un défenseur public, avec lequel nous avons un accord. En fait, l’État de New York ne commet plus personne d’office.

La bonne nouvelle, c’est que la prédiction d’un nombre important de personnes condamnées à mort ne s’est pas réalisée. Dans plus de 800 cas, elle aurait pu être requise, elle l’a été dans une cinquantaine, 17 cas ont été jugés. Personne n’a été exécuté, et l’on ne prévoit pas d’exécution dans un avenir proche.

Projet – Que dire dans ce système des discriminations raciales ?

Kevin Doyle – Les discriminations les plus fortes sont géographiques. Au nord de l’État, l’avocat général requiert dix fois plus souvent la peine de mort. Même dans la ville de New York, les écarts sont importants. Il y a deux avocats généraux, dans le Bronx et Manhattan, qui de manière très conservatrice requièrent la peine de mort. Les deux autres, dans le Queens et Brooklyn, le font beaucoup moins.

Sur les questions raciales, il est plus difficile de trancher, les chiffres sont trop faibles. Mais je pense à cet homme, habitant un comté de banlieue, accusé de meurtre et de viol sur une collègue de travail, qui n’a pas obtenu la clémence des jurés et été condamné à mort. Un procès pénal américain se déroule en deux phases, la première décide de la culpabilité, la seconde de la peine. Durant cette deuxième phase, l’accusé peut présenter des éléments susceptibles d’inciter les jurés à la clémence. Ce n’est pas une excuse, ou une défense, mais ce qu’on nomme en France des circonstances atténuantes. Dans ce cas, l’histoire de ce type était horrible. Dans son enfance, il avait vu sa mère tuer son père, Séparé d’elle ensuite, il avait fini à l’hôpital psychiatrique du Bronx, où il était sous traitement pharmaceutique lourd. Une vie tragique, il n’y pas d’autre mot. N’importe qui, entendant cela, se serait ému. Malheureusement, cet homme était noir, musclé, une armoire à glace, et sa victime était une petite femme blanche. Il faisait face à un jury totalement blanc. Sans ce contraste, je suis convaincu qu’il aurait été condamné à la prison à vie. Non, je ne crois pas que le racisme ait disparu de New York.

Projet – Vous avez aussi un rôle politique ? En Illinois, le gouverneur Ryan a imposé un moratoire sur la peine de mort.

Kevin Doyle – Comme défenseur public, je n’ai pas d’opinion. Mais comme Américain, comme catholique, j’admire le gouverneur Ryan d’avoir décidé ce moratoire sur les exécutions. Il est vrai que la décence imposait cette mesure. L’Illinois a commué la peine de davantage de condamnés à mort qu’il n’en a exécuté, en raison de dysfonctionnements, voire d’innocence (celle-ci fut même démontrée une fois par simple hasard).

Au moins un pour cent des personnes condamnées à mort depuis 1973 ont ensuite été innocentées. Dans aucune autre institution, on n’accepterait une telle marge d’erreur; vous ne le toléreriez pas d’une compagnie pharmaceutique ou d’une compagnie aérienne !

Projet – Au-delà du combat d’idées, l’argumentation contre la peine de mort est devenue pragmatique. Qu’en pensez-vous ?

Kevin Doyle – Les deux sont importants. Aux Etats-Unis, le point le plus décisif a été la manière dont l’Église catholique s’est opposée à la peine de mort. Certes, l’impact en est resté relatif, à cause de l’affaiblissement de son statut moral. Mais, malgré des dissensions, l’Eglise a contribué fortement à notre réflexion morale. Son engagement est aussi pratique. Si nous comptions davantage de leaders parmi nos hommes politiques, capables de prendre de la distance par rapport à la presse populaire, nous ferions un grand pas. D’abord en posant la question du coût social et financier de la peine de mort. Je crois que l’argument pragmatique n’a pas encore été développé complètement. Soit l’on prend une position comme celle du Texas, acceptant de tuer de nombreux innocents, et ridiculisant le système pénal, soit on demande de financer correctement le système de défense, et là, la peine de mort coûte très cher.

Projet – Et au niveau fédéral ?

Kevin Doyle – La pression a augmenté sous John Ashcroft. Janet Reno, qui l’a précédé au poste d’ Attorney general, suivait les avis du parquet local quand celui-ci ne voulait pas requérir la peine de mort. Ashcroft fait l’inverse. Les Républicains, qui aiment à se décrire comme les défenseurs des autorités locales, font aujourd’hui tout le contraire.

Mais Ashcroft et Bush ont les mains liées par leur histoire politique. Il est dommage que ces derniers, de même que Bill Clinton, quand ils ont assumé des responsabilités importantes, n’aient fait qu’aggraver les choses au lieu de changer d’attitude. Bill Clinton, de manière décisive et impardonnable, a considérablement réduit les protections qu’offrait l’Habeas corpus et qui empêchaient nombre d’exécutions. Je ne crois pas que ce président obéissait à des principes moraux : il voulait tellement être populaire qu’il ne pouvait pas en avoir. En tout cas, il n’en avait pas concernant la peine de mort.

Si l’on regarde, au niveau fédéral, le cas de Timothy McVeigh 1, on réalise toute la perversité du système américain. George Bernard Shaw faisait remarquer que la seule manière d’être célèbre pour quelqu’un sans talent était de devenir martyr. J’ai vu bien des personnes accusées de crimes horribles, qui ne cessent de se détruire et qui, dans une quête de notoriété, pensent que pour laisser une trace, elles doivent être exécutées. On peut se demander si la peine de mort ne finit pas par encourager certains à commettre des actions tragiques.

Projet – Pourra-t-il y avoir une occasion politique de réformer le système ?

Kevin Doyle – Certains disent que l’occasion viendra devant la preuve évidente qu’un innocent a été exécuté. Les défenseurs du système prétendent que le nombre d’appels et de sentences commuées montre qu’il marche. Ils feignent d’ignorer que c’est par chance que l’innocence est prouvée. L’innocence d’une personne exécutée pourrait représenter un choc pour la conscience américaine. Mais je constate, en même temps, que notre culture est une culture de la haine. Ecoutez seulement les radios, il s’y exprime un fond de colère, de ressentiment, qui ne peut que conduire à affirmer que la peine de mort est normale. Je ne crois pas que notre politique puisse être différente de notre culture, pourtant, j’aimerais le penser.



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