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Itinéraire : Francisco Whitaker Ferreira


Resumé Chico Whitaker est actuellement secrétaire exécutif de la commission brésilienne Justice et Paix. Il est un des fondateurs et des principaux coordinateurs du Forum social mondial de Porto Alegre.

Projet - Commençons, si tu veux, par quelques souvenirs de ton enfance et de ton éducation.

Francisco Whitaker - Je suis né à São Carlos, à l’intérieur de l’Etat de São Paulo. C’est là que j’ai découvert l’activité politique : à l’école, nous avions fondé un journal... J’en suis parti à dix-sept ans, pour la dernière année du secondaire et l’université dans la capitale. Cela se passait entre 1940 et 1950, le Brésil vivait la fin de la dictature Vargas.

Mon père, fils d’un immigrant portugais devenu industriel, s’intéressait aux questions politiques, avec certes des idées conservatrices. Ma mère – c’est par son nom, d’origine anglaise, que les gens m’appellent le plus souvent – avait une sensibilité très grande sur la question « des autres »... Tout cela m’a certainement ouvert à l’attention aux intérêts plus collectifs. Dès la fin de l’école primaire, j’étais le porte-parole de ma classe. A la fin de mes études secondaires, je suis entré en contact avec la Jeunesse universitaire catholique (Juc).

Projet - Cette arrivée dans la capitale a-t-elle été marquante pour des choix futurs ?

Francisco Whitaker - En arrivant à São Paulo, j’ai trouvé une chambre dans une pension gérée par un animateur de la Juc. Celui-ci m’a introduit chez les Dominicains du couvent de Perdizes à São Paulo. Il y avait parmi eux de fortes personnalités, qui m’ont aidé à faire des choix. Plus tard, j’ai connu le Père Lebret, dont l’influence fut considérable pour notre génération des années 50. Dans son livre Rajeunir l’examen de conscience il nous présentait la notion de péché social. Pour nous, jeunes étudiants chrétiens, le péché c’était surtout la question du sexe, et voilà qu’il introduisait un péché beaucoup plus grave, celui de l’omission devant la misère. L’importance de la misère, de l’inégalité, du sous-développement au Brésil le choquait beaucoup. Devenu président de la Juc de São Paulo, marqué par ces idées, j’ai été un de ceux qui insistèrent, lors du congrès national de 1954, sur la nécessité d’un changement de cap. Notre programme d’action a pris alors comme axe la question sociale !

A la fin de 1954, j’ai obtenu une bourse d’études en Allemagne, dans le cadre d’un échange entre les universités de Hambourg et de São Paulo. Nous étions deux à en bénéficier, mon compagnon était le leader communiste de la faculté. Nos camarades nous appelaient don Camillo et Peppone ! A cette époque, pour nous chrétiens, l’ennemi c’était le communisme...

Projet - Comment expliquer ce qui bouge au Brésil en cette période, avant le coup d’Etat de 1964 ?

Francisco Whitaker - Toute la société bougeait, mais on se heurtait à de multiples blocages sur le plan social. L’effervescence avait commencé en 1961, avec l’arrivée au pouvoir de Janio Quadros, un leader populiste qui se proposait de changer le Brésil et de lutter contre la corruption... Il est tombé à la suite d’un coup de poker, déclarant : « Ne pouvant pas faire ce que je veux, je renonce », mais croyant que le peuple allait le rappeler triomphalement à Brasilia et lui donner le pouvoir qu’il souhaitait. Ce fut une erreur de calcul. Il fut remplacé par le président du Congrès, en attendant le retour du vice-président, Jango Goulart, qui était en Chine ces jours là. Celui-ci, cependant, était un homme de gauche. Toutes les forces politiques du Brésil ont dû prendre position sur son investiture.

Moi-même, après avoir participé, encore étudiant, à une grande enquête sur la ville de São Paulo, avec le père Lebret, je travaillais pour le gouvernement de l’Etat à l’une des premières expériences de planification au Brésil. Notre groupe politique au gouvernement s’est réuni plusieurs fois pour se déterminer. Nous sommes arrivés à la conclusion, comme d’ailleurs les principales forces politiques brésiliennes, qu’il était fondamental de respecter l’ordre du droit et d’investir Goulart.

Goulart rentré, le Congrès a imposé comme condition à son investiture un régime parlementaire, pour limiter ses pouvoirs. Un an après, il a demandé un plébiscite pour choisir entre parlementarisme et présidentialisme : la population a choisi le présidentialisme. La lutte pour les « réformes de base » a alors vraiment commencé. Ces réformes supposaient un amendement constitutionnel et soulevaient de très fortes oppositions. L’Eglise brésilienne s’est engagée en faveur des réformes, en particulier don Helder Camara.

Projet - Et le pétrole ?

Francisco Whitaker - Depuis la création de la Petrobras, l’entreprise pétrolière nationale, le mot d’ordre était « le pétrole est à nous ». C’était là un acquis, bien avant Goulart. Pour ce dernier, la priorité, c’était la réforme agraire, une réforme urbaine, celle de l’éducation, du système des impôts...

Mais les Américains étaient très préoccupés par l’évolution du Brésil. Ils ont voulu arrêter ce mouvement. Ils ont soutenu l’opposition à Goulart, qui mobilisait aussi des secteurs de l’Eglise catholique... Ainsi cette fameuse « Marche de la famille avec Dieu pour la liberté », qui a fourni une base sociale pour le coup d’Etat des militaires de 1964. A l’époque, je dirigeais, depuis 1963, la planification de la réforme agraire du gouvernement Goulart. Je suis devenu persona non grata. Soumis à des enquêtes militaires, j’ai connu la prison. J’avais déménagé à Rio avec ma famille (trois de mes enfants étaient déjà nés). Pour survivre, j’ai vendu l’Encyclopedia Britannica, j’ai donné quelques cours sur la planification. La Conférence des Evêques m’a sollicité pour donner un appui technique à son premier plan de pastorale.

Projet - Comment comprendre cette évolution de l’Eglise brésilienne, majoritairement fermée aux évolutions sociales, mais réfléchissant à une planification pastorale ?

Francisco Whitaker - Je ne dirais pas qu’elle était si fermée. Elle comptait des personnalités très marquantes, comme don Helder, qui fut très actif dans la préparation du Concile Vatican II. En 1965, lors de la dernière session, j’ai participé à Rome à la présentation du plan sur lequel nous avions travaillé avec des méthodes participatives avec nos évêques. Le coordinateur de tout ce travail était un théologien très proche de don Helder, le père Caramuru. L’objectif était de mettre l’Eglise brésilienne à jour par rapport au Concile.

Projet - Caramuru, don Helder Camara, deux grandes figures qui se détachent de l’Eglise brésilienne dans cette période ?

Francisco Whitaker - Bien sûr. Mais, sur la période plus longue du régime militaire, il y eut plusieurs grandes figures, comme les deux cousins Lorscheider et Lorscheiter, qui ont été successivement Président et Secrétaire général de la Conférence épiscopale pendant seize ans.

Le plan de pastorale avait été approuvé à Rome et je me suis investi dans le travail d’accompagnement de sa mise en œuvre. Mais la situation était de plus en plus tendue. En dehors de ce travail, je participais à des activités politiques, avec d’autres amis issus des rangs de l’Action catholique. Cet engagement devenait très dangereux, et il a fallu s’éloigner. Nous avons obtenu, ma femme et moi, des bourses d’études en France, et nous sommes partis avec nos quatre enfants, avec l’intention de rentrer dès que possible.

J’ai entrepris une thèse à l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine, à Paris. La situation a continué à se durcir au Brésil, et le gouvernement brésilien ne voyait pas d’un bon œil l’appui que nous accordait la France. Nos bourses d’études n’ont pas été renouvelées. De même nos passeports. Dans l’impossibilité de rentrer au Brésil, j’ai été embauché par le Comité catholique contre la faim et pour le développement. Deux ans après, j’ai reçu une invitation à travailler pour l’Unesco, mais le gouvernement brésilien a refusé de donner l’accord dont dépendait mon engagement. Je suis parti avec ma famille au Chili en 1970, pour collaborer à la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal), un organisme des Nations unies autorisé à engager ses fonctionnaires sans consulter les gouvernements. Nous envisagions alors de revenir au Brésil à la fin de mon contrat de quatre ans.

C’était avant l’élection d’Allende... Etant fonctionnaire des Nations unies, je ne pouvais participer directement à ce qui se passait au Chili, mais j’accompagnais de très près toute cette expérience exceptionnellement riche. Le coup d’Etat, l’assassinat d’Allende, tous ces événements ont été très durs. Pendant un mois et demi, ma femme et moi avons aidé les gens à accéder aux ambassades. La nuit du coup d’Etat, le mari d’une de mes cousines, exilé aussi au Chili, a disparu. Il est l’un des six brésiliens « officiellement » assassinés par le régime militaire chilien.

Mais je me suis complètement trompé dans mes prévisions. Je pensais que le niveau d’organisation et de conscience politique du peuple chilien était tel que le régime de Pinochet ne durerait pas. Retourner au Brésil était toujours impensable, rester au Chili aussi, on m’a proposé une mission pour les Nations unies, à Kaboul ou à Bangkok. Nous avons préféré retourner en France, en avril 1974, après quelques mois en Argentine.

Projet - C’est à ce moment que fut créée l’« Association contre tout type de domination » ?

Francisco Whitaker - Je disposais de quelques économies grâce à mon travail pour les Nations unies. Elles nous ont permis, à ma femme et à moi, un changement fondamental d’orientation. Après toute une période d’activités « techniques », nous nous sommes décidés à faire directement de la politique...

J’ai rencontré don Cândido Padin, un évêque brésilien bénédictin que j’avais connu encore étudiant. Quand j’étais en prison, après le coup d’Etat, avec toute l’équipe de direction de la Juc, c’est lui qui était parvenu à nous faire sortir. Je le retrouvais à Paris où il venait étudier la possibilité d’organiser une grande conférence internationale sur les droits de l’homme, pour dénoncer ce qui se passait au Brésil. Après avoir discuté avec des amis en France qui pourraient appuyer cette idée, nous avons lancé le projet de « Journées internationales pour une société dépassant les dominations », sous le patronage de la Conférence des évêques brésiliens, avec l’appui de plusieurs autres conférences épiscopales (américaine, française, canadienne...).

La préparation de cette conférence a engendré toute une dynamique. Nous ne voulions pas d’une rencontre entre intellectuels et théoriciens, mais entre des gens qui luttent contre l’oppression. Nous avions demandé aux futurs participants de présenter, en quatre pages maximum, leurs expériences de situations de domination et les actions menées pour les dépasser. Les exemples présentés devaient être structurels et non personnels, ils devaient être racontés par ceux qui les vivaient et ne pas faire l’apologie de la violence. Nous comptions les publier en quatre langues, pour les transmettre aux inscrits à la rencontre. Car nous voulions préparer cette Journée par une communication interactive d’expériences multiples. La première « étude de cas » émanait d’un groupe d’appui aux indigènes en Equateur : ils racontaient leur travail en faveur de ces indigènes quand ceux-ci allaient en ville. D’autres cas commencèrent peu à peu à arriver.

Or une communauté de femmes en Angleterre nous adressa un texte : « L’Eglise catholique romaine comme structure de domination ». Que faire de ce texte, qui certes pouvait nous poser des problèmes, mais qui rentrait tout à fait dans nos critères ? Nous l’avons publié, en le faisant précéder d’un rappel des règles du jeu. Evidemment, cette publication a suscité des remous à Rome. La dynamique même du projet commençait à poser des questions... Des gens se mettaient en rapport partout à travers le monde, de façon horizontale. Et à l’initiative d’une Eglise particulière...

Une mission romaine, accompagnée des Présidents des Conférences qui appuyaient le projet, est venue au Brésil en discuter avec notre Conférence. Les journaux ici ont dit que le Vatican venait enquêter sur les droits de l’homme sous la dictature militaire... La conclusion de cette visite fut d’annuler la rencontre programmée mais de continuer à diffuser les « études de cas », pour les rassembler enfin dans un livre. Ce livre, une centaine de textes, a été publié en français en 1978 chez Desclée de Brouwer, en espagnol en Colombie, en anglais grâce à la conférence américaine, et en portugais, ici au Brésil. 25 évêques brésiliens ont décidé alors d’appuyer la poursuite de la dynamique des Journées. Les choses ayant un peu bougé, nous avons réussi à organiser en 1979 au Brésil une très belle rencontre, réunissant entre deux et trois cents personnes venues de 80 pays.

Cette expérience fut pour moi l’occasion de mieux comprendre les mécanismes de domination. Nous avons essayé de théoriser cela, par exemple à travers les notions de « pouvoir-service » (exercé pour que les autres aient du pouvoir, et deviennent autonomes), et de « pouvoir-domination » (exercé pour lui-même, pour concentrer le pouvoir). Ce fut l’une des clés de ma propre vie politique.

Projet - As-tu gardé des contacts avec la France... ?

Francisco Whitaker - Je dis maintenant que j’ai trois pays : le Brésil, la France et le Chili. J’ai vécu dans les trois d’importantes expériences personnelles et familiales. Je me sens très proche de la France. J’ai reçu une grande influence de la culture française : Lebret, Mounier, Teilhard de Chardin, ou Saint-Exupéry, Brassens, le cinéma...

A la fin de notre première année d’exil, ma femme m’avait dit : « Je ne sais pas si on va pouvoir rentrer. Alors on doit vivre ici comme si on allait y rester toute notre vie. Pour s’intégrer et donner aux enfants la stabilité émotionnelle qui leur est nécessaire. On ne peut pas continuer de vivre dans un appartement meublé de caisses. Nous devons nous installer. » Ce choix fut très important. Nous avons fait le même après en nous « installant » au Chili et à nouveau en France. Grâce à nos enfants, nous nous sommes constitué un réseau d’amis large et solide, durant nos deux séjours. Nous avons vécu, après Paris, à Orsay, où nous avons intégré une communauté de chrétiens avec lesquels nous sommes toujours en rapport. Mes filles plus âgées ont complété leurs études en France, l’une d’elle y est mariée, et y a trois enfants.

Projet - Mais en 1981, ce fut le retour au Brésil...

Francisco Whitaker - Oui, nous avons été engagés, ma femme et moi, par le cardinal Arns, à l’archevêché de São Paulo, pour suivre les communautés de base et les questions sociales et politiques, et pour travailler avec la Conférence des évêques dans la planification pastorale. Nous avons passé une année à nous « remettre dans le bain » : bien des choses avaient évolué en quinze ans. Les « communautés de base » qui avaient commencé à l’époque du plan pastoral d’ensemble, en 1965, s’étaient beaucoup développées.

Nous avons participé à deux initiatives très importantes. La création d’une « association de solidarité dans le chômage », au moment où une forte crise économique se déclarait, en 1983. L’association stimulait la formation de « groupes de solidarité », qui réunissaient quarante à cinquante familles chacun, et les faisait soutenir par des aides venant de gens ayant des emplois. A cette époque, l’assurance chômage n’existait presque pas au Brésil. Puis, de 1985 à 1988, ce fut la préparation de la nouvelle Constitution brésilienne, à la fin du régime militaire. De nouveau avec don Cândido Padin, nous avons contribué à la naissance d’un « Forum pour la participation populaire à la Constituante ». Ce Forum a conquis un droit de présentation d’« amendements populaires » au projet de Constitution. Douze millions de signatures ont été recueillies pour 122 amendements. Il a ouvert la voie à « l’initiative populaire de lois », aux plébiscites, aux référendums.

J’ai été alors conduit à me porter candidat du Parti des Travailleurs au Conseil municipal de São Paulo, où on allait préparer, après la Constitution nationale, celle de la commune. Elu, j’y ai appris énormément ! Si je connaissais les mécanismes législatifs, les rapports exécutif-législatif, mon savoir était théorique, et non de l’intérieur, et les écarts sont considérables !... Pour commencer, j’ai été désigné rapporteur d’une Commission sur la corruption dans le Conseil... J’ai vu comment des gens pouvaient être là seulement pour en tirer profit, et comment ils le faisaient ! Je suis devenu ensuite l’un des rapporteurs de la Constituante municipale. J’ai été réélu pour un deuxième mandat.

Mais tous les efforts pour améliorer le fonctionnement du Conseil n’ont pas de résultats sans une participation de la société. En terminant un petit livre rédigé alors, je disais qu’il fallait la « pression de l’extérieur pour changer l’intérieur ». Au cours de mon deuxième mandat, j’ai écrit un autre livre : Idées pour en finir avec les profiteurs...

J’ai décidé de ne pas me présenter une troisième fois, et de quitter le Conseil pour travailler à renforcer cette « pression de l’extérieur », avec la formation de groupes de citoyens pour l’accompagnement des Conseils municipaux. En septembre 1996, je suis devenu secrétaire de la Commission épiscopale brésilienne Justice et Paix. Nous avons commencé, là aussi, à affronter la question de la corruption électorale, qui consiste à acheter des votes en profitant des carences des pauvres, qui représentent au Brésil presque les deux tiers de la population... C’est un enjeu stratégique et pédagogique. Notre campagne a pris comme slogan « un vote n’a pas de prix, il a des conséquences ». En 1999, nous avons réussi à modifier la loi électorale en utilisant l’instrument de l’Initiative populaire de lois, conquis au moment de la Constituante. Un projet qui a recueilli la signature d’un million d’électeurs a été présenté au Congrès et rapidement approuvé. Aux prochaines élections générales d’octobre 2002, nous devrions en voir des résultats importants avec l’application de cette loi pour la deuxième fois.

Nous préparons maintenant la publication d’un rapport annuel œcuménique sur la Dignité humaine et la Paix au Brésil, donnant suite à la « campagne de la fraternité » de l’année 2000 sur le même thème. Nous voulons y présenter un « indice d’indignation » du peuple brésilien face aux divers attentats à la dignité humaine : rien ne changera en ce domaine si la société brésilienne elle-même ne fait pas respecter la dignité humaine.

Projet - Peux-tu enfin nous parler du Forum social mondial ? Quels sont les fruits de cette expérience ?

Francisco Whitaker - L’idée d’organiser ce Forum est celle d’un chef d’entreprise brésilien, Oded Grajew, un homme très créatif, qui préside actuellement l’institut Ethos, centré sur la responsabilité sociale des entreprises. Il pensait qu’au moment où augmentent les protestations contre la globalisation néo-libérale – comme à Seattle, par exemple – il fallait montrer qu’il existe d’autres chemins pour le monde. Et cela pouvait se faire sous la forme d’un Forum social mondial, à la même date que le Forum économique de Davos, pour bien marquer son caractère alternatif. J’étais à Paris lorsqu’il m’a appelé pour me parler de son idée, en février 2000. Le lendemain nous sommes allés voir Bernard Cassen, le directeur du Monde diplomatique, avec qui j’avais un rendez-vous à propos d’un article pour son journal ; il s’est montré enthousiaste et tout à fait prêt à nous aider.

De retour au Brésil, nous nous sommes mis au travail. En juin, une petite commission d’organisation est venue à Genève présenter le projet aux mouvements et Ong réunis parallèlement au sommet des Nations unies « Copenhague + 5». Forts d’une approbation générale, nous avons décidé de réaliser ce Forum, sans avoir encore une idée des dimensions qu’il prendrait, dès la première édition, et plus encore à la deuxième.

Cette initiative est pour moi très novatrice par sa méthode. J’y retrouve un peu l’expérience des Journées internationales des années 70 : une organisation en réseau, l’idée d’horizontalité, le respect de la diversité. Il me semble que les participants du Forum social mondial ne veulent pas d’un nouveau mouvement sous une direction centralisée, mais un espace de rencontres, d’échanges, d’approfondissement, d’articulation, pour faire face par d’autres méthodes aux pouvoirs de domination qui existent dans le monde actuel.

Après le deuxième Forum social mondial (en février 2002), cette forme d’organisation est désormais reconnue comme la meilleure pour atteindre nos objectifs. Non pas pour prendre le pouvoir ! Le Forum est vraiment en train de créer une nouvelle mouvance. Il faudra toujours se bagarrer avec ceux qui pensent à plus d’efficacité, avec une direction, des mots d’ordre. Ou à une présence plus active des gouvernements et des partis... Mais je suis optimiste.

J’ai rédigé un petit texte essayant d’identifier les caractéristiques les plus importantes du Forum. Il a été bien accepté par ceux qui participent avec moi à son organisation, ce qui a été pour moi une agréable surprise. Il commence à être diffusé un peu partout, à partir de la page du Forum sur l’Internet. Je retrouve ce texte ici ou là... Dans l’effort pour « mondialiser » le Forum, nous nous tournons maintenant vers l’Asie. La prochaine rencontre devrait se tenir à Calcutta et les Indiens manifestent leur intérêt pour une telle démarche, différente de l’habituelle.

Projet - Une « mystique » a soutenu ton engagement pour un « Pouvoir-service ». La partages-tu avec ta famille ou d’autres compagnons ?

Francisco Whitaker - Vivre ce genre d’expérience sans la référer au quotidien serait une incohérence absolue. Du haut jusqu’en bas, il faut établir de nouveaux types de rapports. Si on éduque ses enfants de façon à ce qu’ils soient toujours dépendants de l’avis des parents, ou de leur argent, on reste dans un rapport de domination ! Ils sont capables de se développer par eux-mêmes, d’acquérir leur autonomie, de dépasser les parents... Nous avons essayé, ma femme et moi, de vivre cela ; nous suivons maintenant les conseils de nos enfants !

J’éprouve toujours une difficulté à parler de spiritualité. Naturellement, la formation reçue dans ma jeunesse, notamment à la Juc, m’a donné accès, de manières diverses, à cette dimension spirituelle. Je me souviens que mes copains de faculté disaient, quand je suis allé en Europe, que j’allais « entrer à la Trappe ». Je me baladais librement et écrivais des lettres trop « mystiques »... Je suis allé en Terre Sainte. Ils en étaient arrivés à la conclusion que j’allais devenir un contemplatif. En fait, tout ce que j’ai lu ou vu, et surtout tous ceux que j’ai rencontrés, qui ne parlent pas nécessairement du pouvoir-service mais l’exercent réellement, ces expériences m’ont illuminé. Dans mon itinéraire personnel, j’ai été certes nourri aussi par des gens comme le Père de Foucauld. J’ai rencontré le Père Voillaume quand il venait au Brésil, et d’autres... J’ai reçu là une formation qui s’est faite de manière très naturelle.

Je suis, en fait, peu pratiquant des rites. Vivre dans cette réalité, essayer de rejoindre l’autre, d’apprendre de lui, spécialement de celui qui souffre, et avancer pour trouver ce qu’on peut faire, c’est déjà une façon de se relier à Dieu, tranquillement. Dieu c’est cet amour-là, cette volonté d’être frère


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