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Dossier : Agriculture : écologie pour tous ?

Stéphane Le Foll, « Une vraie ambition pour l’agroécologie »

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Entretien - Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, veut réconcilier tous les agriculteurs autour d’une troisième voie, entre défense et contestation de l’agriculture conventionnelle. Une gageure ?

Peut-on à la fois, comme vous le préconisez, « promouvoir un modèle agricole plus respectueux de l’environnement » et « renforcer la performance des agriculteurs » ?

Stéphane Le Foll – Non seulement ces deux performances sont conciliables, mais elles sont indispensables. Nous avons atteint les limites de notre système actuel : l’utilisation de pesticides ne diminue pas, la consommation d’intrants demeure élevée, l’azote minérale est utilisée sans que l’on parvienne à gérer les effluents… Tous ces indicateurs plaident pour de nouvelles approches. Mais cessons d’opposer économie et environnement : nous devons à la fois maintenir – et même augmenter – notre niveau de production et préserver les ressources. Des réponses économiques sont à trouver face au renchérissement du coût des intrants (énergie, engrais, pesticides), mais une responsabilité collective est aussi à affirmer vis-à-vis de la société et des citoyens pour préserver les ressources naturelles dont l’agriculture a tant besoin. Le 18 décembre, lors de la conférence nationale « Agricultures : Produisons autrement », des agriculteurs « pionniers » sont venus témoigner, par leurs expériences très concrètes, qu’il est possible de concilier ces deux enjeux1.

Cessons d’opposer économie et environnement : nous devons à la fois augmenter notre niveau de production et préserver les ressources.

Le passage à l’agroécologie peut-il se produire sans « ‘mettre le paquet’ comme on a su le faire dans les années 1960 pour créer une agriculture familiale intensive... », comme y invite l’ancien ministre Henri Nallet2 ?

Il faut, en effet, une vraie ambition pour l’agroécologie. C’est pourquoi j’ai souhaité fixer un cap clair pour diffuser cette pratique, quelles que soient les formes d’agriculture. Le 18 décembre dernier, j’ai proposé un projet agroécologique pour la France qui fixe une voie, une méthode pour y parvenir en y associant l’ensemble des acteurs. L’enjeu est non seulement de regrouper, structurer et compléter les expériences et les connaissances, mais de mettre en place les moyens d’assurer leur diffusion. Bien sûr, il s’agit de mettre en face les moyens nécessaires pour porter cette ambition. Non pas tant en cherchant de nouveaux moyens qu’en orientant autrement ceux qui sont disponibles – je pense notamment au second pilier de la Politique agricole commune (Pac)3. Naturellement, des modèles d’organisation différents, plus collectifs, plus incitatifs sont nécessaires, ce sera le cas notamment au travers des « groupements d’intérêts économiques et environnementaux » (GIEE) qui verront le jour grâce à la future loi d’avenir pour l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt, prévue au second semestre 2013.

Vos collègues européens sont-ils sensibles à cette problématique ?

Les propositions de la Commission européenne, en cours de négociation, prévoient le « verdissement ». C’est un signal fort envoyé à tous les agriculteurs qui bénéficient des aides directes – soit plus de 300 000 agriculteurs en France. Pour le second pilier, la Commission présente tout un menu à disposition des États membres, en précisant qu’un minimum de crédits devront être consacrés aux mesures favorables à l’environnement. Notre projet – faire de l’agroécologie la priorité pour la mise en œuvre du second pilier en France – est totalement en phase avec ces orientations.

Mais de quels moyens disposez-vous, avec un second pilier de la Pac moins ambitieux4 ? Quelle place pour les systèmes agricoles innovants ? Et pour les organismes qui accompagnent ces innovations « d’en bas » ?

Tant que les négociations ne sont pas achevées sur les perspectives financières de l’Union européenne, il n’y a aucune raison de parler d’une moindre ambition. La France défend le second pilier au même titre que le premier : l’objectif est de maintenir les enveloppes budgétaires sur les deux piliers. Nous mobiliserons au maximum de leur possibilité les outils que proposent les textes communautaires en faveur de l’agroécologie. Nous nous appuierons sur les mesures agro-environnementales afin de répondre aussi bien à des enjeux ciblés (eau, biodiversité…) qu’à des approches « systèmes ». Nous veillerons à un nouveau ciblage des investissements, à une mobilisation des aides à l’innovation, à la coopération et à l’animation, ou encore à l’installation des jeunes afin d’intégrer ces nouvelles pratiques agricoles dans leur projet. L’utilisation du Casdar5 sera de même réorientée au profit de l’agroécologie. Dès 2013, et sans attendre le prochain programme, au moins 3 millions d’euros supplémentaires seront consacrés au soutien de projets permettant une mobilisation collective et le concours des instituts techniques.

Avec la nouvelle Pac, quelle autonomie sera dévolue, en France, aux collectivités territoriales ?

Une place nettement plus importante sera donnée demain aux régions pour la gestion du second pilier. Les engagements de François Hollande sur ce point obligent tout le gouvernement. Il s’agit là d’une orientation essentielle : c’est au plus près des territoires que l’on définira et pilotera au mieux les aides du second pilier, en lien avec des besoins précis. Pour autant, un cadre national sera posé pour certaines mesures afin de garantir une homogénéité et des choix adaptés pour chaque région. Je pense en particulier aux aides au revenu pour les exploitants situés dans les zones défavorisées (dont celles de montagne), aux mesures agro-environnementales et aux aides à l’installation des jeunes.

Le passage à l’agroécologie peut-il se faire sans renouveler profondément les organisations (chambres d’agricultures, instituts techniques, Inra…) qui structurent l’agriculture ?

Les « groupements d’intérêts économiques et environnementaux », dont le rôle sera précisément défini dans la future loi d’avenir, permettront de réaliser des investissements en commun ou d’effectuer des changements de pratiques agricoles dans une démarche agro-écologique. Il est important que tous les acteurs du Conseil6 soient parties prenantes dans la réflexion sur la conduite de ce changement, mais aussi que les réseaux pionniers (Base, Rad, Trame7…) trouvent une juste place dans cette dynamique. Je crois qu’autour de cet objectif commun, les clivages qui peuvent exister seront dépassés.

L’industrialisation a procédé en éliminant 90 % des agriculteurs, favorisant les modernistes et écartant les autres. Aujourd’hui, la population agricole est-elle à même de susciter une génération d’agriculteurs écologistes ? Sinon, comment recruter ?

Nous touchons ici à un véritable enjeu du changement agro-écologique. Dans notre réflexion, la formation initiale et la formation continue ont une place importante, qui sera confortée dans la future loi d’avenir. Nous ne pouvons faire de l’agroécologie un cosmétique de notre système de formation. Une approche qui remet les connaissances agronomiques au cœur des systèmes de production devra être dispensée et intégrée dans les programmes et référentiels pédagogiques. Nous capitaliserons sur les fermes et les exploitations pédagogiques des établissements agricoles.

Nous ne pouvons faire de l’agro-écologie un cosmétique de notre système de formation.

Comment éviter que s’installe sur notre territoire une agriculture duale, avec d’une part des exploitations très productivistes (avec ses corollaires de pollution, d’endettement et ses conséquences sociales) et de l’autre une agriculture « vertueuse » ?

Sortons des postures de contestation ou de conservation des anciens modèles pour ouvrir une troisième voie : l’agroécologie combine l’autonomie et l’usage rationnel des ressources et des mécanismes naturels avec une viabilité économique. Cette démarche suppose notamment un retour à la marge brute – c’est-à-dire la différence entre ce qui est produit et les intrants utilisés. Le XXIe siècle devra allier production, préservation de l’environnement et question sociale. Il sera très différent du XXe siècle, voire de la fin du XIXe qui tentait de concilier production et question sociale. Ne caricaturons pas en considérant qu’une agriculture « vertueuse » s’oppose à une agriculture « productiviste ». Notre approche est pragmatique : elle consiste à s’inspirer de « pionniers » pour susciter une adhésion du plus grand nombre, en apportant la démonstration du bénéfice des changements systémiques. Elle évite les oppositions dogmatiques et permet de partir d’expériences individuelles probantes : il s’agit de les démultiplier en s’appuyant sur la force du collectif.

Notre approche est pragmatique : s’inspirer de « pionniers » pour susciter une adhésion du plus grand nombre.



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1 Voir des témoignages d’agriculteurs innovants : « Produisons autrement », WebTV du ministère de l’Agriculture, 17/12/2012.

2 Henri Nallet, L’Europe gardera-t-elle ses paysans ?, Fondation Jean-Jaurès, 2010, pp. 38-39.

3 Le premier pilier de la Pac, financé par l’Union européenne, comprend les aides directes à l’agriculture. Le second soutient le développement rural (subventions d’investissement, aides à l’installation des jeunes…) et les services indirects que rend l’agriculture : entretien des paysages, maintien de la biodiversité… [NDLR].

4 Le Conseil européen des 22 et 23 novembre 2012 a amoindri les coupes dans le budget de la Pac, mais la réaffectation de fonds se fait au bénéfice du premier pilier.

5 Le compte d’affectation spéciale développement agricole et rural finance les missions de l’Agence de développement agricole et rural, notamment les programmes des chambres d’agriculture, des organismes de développement agricole et rural et des instituts techniques agricoles [NDLR].

6 Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) participe, sous l’autorité du ministre de l’Agriculture, à la conception, la définition et l’évaluation des politiques publiques dont ce dernier a la charge. Il est composé d’ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, d’inspecteurs généraux de la santé publique vétérinaire, d’inspecteurs généraux de l’agriculture et d’experts [NDLR].

7 L’association Base (Biodiversité, agriculture, sol & environnement) promeut l’agriculture de conservation (réduction du travail du sol, rotation des cultures…). Rad est le Réseau agriculture durable. L’association Trame regroupe la Fédération nationale des groupes d’études et de développement agricole, la Fédération nationale des associations de salariés de l’agriculture pour la vulgarisation du progrès agricole, le Bureau de coordination du machinisme agricole et le Cercle d’échanges et de machines agricoles.


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