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Climat : et si l’Europe se souciait des pays du Sud ?

Nairobi, Kenya, 2008. Des régions comme Mandela subissent des pluies diluviennes qui pourraient être une conséquence du réchauffement climatique.© Julius Mwelu/IRIN
Nairobi, Kenya, 2008. Des régions comme Mandela subissent des pluies diluviennes qui pourraient être une conséquence du réchauffement climatique.© Julius Mwelu/IRIN
Les enjeux liés aux changements climatiques interrogent fortement les rapports Nord-Sud. Les prendre au sérieux nous oblige à des politiques et à des actions ambitieuses, par souci d’équité, mais aussi pour protéger notre humanité.

Tous les pays ne sont pas égaux face aux changements climatiques : certains y ont contribué plus que d’autres, certains en subissent plus lourdement les conséquences. Certains sont davantage dépendants des énergies fossiles, d’autres pourraient voir compromises à jamais leurs perspectives de développement. Ces questions reflètent des déséquilibres profonds entre pays, tenant à la fois à des questions de développement, de politiques énergétiques et à des contraintes géographiques et démographiques. Il en résulte une équation très complexe. L’action isolée d’un pays, ou d’un groupe de pays, n’a guère de poids. Ce n’est qu’en agissant collectivement, avec ambition et de la manière la plus urgente, que les pires conséquences du réchauffement seront évitées. Or les mesures prises jusqu’ici sont bien en deçà du nécessaire.

Les changements climatiques ne pourront être traités que dans un contexte de justice. La dimension Nord/Sud reste la clef des rapports de force internationaux. S’il n’est pas possible de changer cette situation très inégale au détour des seules politiques climatiques, comment répondre aux enjeux environnementaux de façon à réduire ces inégalités ou, du moins, sans les exacerber ? L’attitude de l’Europe sera déterminante. Or, malgré ses affirmations de leadership, elle est encore peu à l’écoute de ce qui se passe ailleurs.

Le Sud, victime du climato-scepticisme

Alors que le débat sévit toujours chez les climato-sceptiques des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à propos de l’origine anthropique des changements climatiques ou de l’ampleur des conséquences, les pays africains, comme certaines régions d’Asie du Sud-Est, de Chine ou du Brésil, subissent déjà ces changements. Les Français, qu’ils soient de Paris ou du centre de l’Ardèche, ont besoin d’informations scientifiques pour en être convaincus, alors que les habitants de Ségou ou de Watagouna les ont déjà vécus et les vivent aujourd’hui sur le terrain. En somme, et c’est bien une injustice, ce sont certains pays en développement, notamment en Afrique, qui font les frais de ces controverses, facteurs importants de blocage dans les pays développés.

Les récents travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) indiquent pourtant que l’influence des humains sur le système climatique est incontestable ; le niveau de plus en plus élevé des émissions de gaz à effet de serre entraînera l’amplification du réchauffement et l’altération de toutes les composantes du système climatique, déjà visibles sur tous les continents. Le cycle global de l’eau est modifié, les neiges et les glaces fondent de plus en plus vite, le niveau moyen des océans et celui de leur acidification augmentent et certains phénomènes climatiques extrêmes se multiplient. L’inaction coûtera très cher à l’humanité tout entière.

Besoin d’énergie pour se développer

L’élimination de la pauvreté et un mode de développement plus durable resteront une illusion pour les pays du Sud, tant que leur niveau de consommation d’énergie sera insuffisant pour répondre aux exigences de survie les plus élémentaires. J’insisterai ici sur le cas de l’Afrique. La corrélation entre accès à l’énergie et niveau de développement socio-économique est bien établie. Sans accès sécurisé aux services énergétiques, ni les écoles, ni les centres de santé ne peuvent fonctionner correctement. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est compromis au détriment de la santé des populations. Enfin, les activités économiques productives qui permettraient aux populations de sortir de la pauvreté sont gravement compromises.

Or la consommation énergétique des 20 millions d’habitants de l’État de New York est supérieure à celle de l’Afrique entière (près d’un milliard de personnes) ! Il n’est pas question que la moyenne de consommation d’énergie des Africains rejoigne celle des résidents de Manhattan avec une offre énergétique largement dominée par les ressources fossiles. La capacité de charge de la planète ne saurait supporter que 9 milliards d’êtres humains atteignent le niveau de consommation énergétique des pays de l’OCDE. Une telle perspective nécessiterait probablement, d’ici 2050, une capacité économique quinze fois plus élevée que l’économie actuelle et quarante fois plus élevée d’ici la fin du siècle. Dès lors, les pays développés doivent baisser leur consommation d’énergie afin de permettre aux pays qui doivent se développer d’augmenter la leur pour améliorer les conditions d’existence vitales de leurs populations. Il s’agit de faire en sorte que l’avenir commun se construise sur ​​ l’équité, la justice et la solidarité, en évitant la cannibalisation de la planète et de ses ressources.

Les pays développés doivent baisser leur consommation d’énergie afin de permettre aux pays qui doivent se développer d’améliorer leurs conditions d’existence.

La baisse des consommations d’énergie dans les pays développés est-elle réaliste ? Il ne me revient pas d’y répondre. Mais j’ai bien conscience que, sans même parler de décroissance, avancer le thème de la sobriété énergétique n’est pas facile à entendre pour des populations fragilisées par la crise. Je dirai simplement, modestement, mais fermement, que la problématique du développement durable vous concerne aussi : si la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas perçue, en Europe, comme un levier pour accéder à un mode de développement vrai, autre que celui des Trente Glorieuses, il n’y aura pas de vraie politique climatique.

Relier le climat, l’énergie et le social

D’où l’importance et l’actualité du débat de la transition énergétique en Europe et dans plusieurs de ses États membres, même si le lien entre transition énergétique et climat n’est pas évident. En témoigne la déconnexion entre l’affirmation d’objectifs ambitieux de décarbonation (facteur 4) et la faiblesse de l’action dans le domaine des transports ou encore la hausse récente mais réelle de l’utilisation du charbon et du lignite dans des pays européens.

L’exigence inéluctable de cette transition suppose la mobilisation de moyens financiers importants, mais aussi la réorientation des investissements des systèmes énergétiques vers ceux sobres ou nuls en carbone et vers l’efficacité énergétique. Comment relever ce défi dans un contexte de crise ? Comment y faire face dans un contexte de développement des combustibles fossiles non conventionnels (sable bitumineux, gaz et pétrole de schiste, forages marins à grande profondeur, renaissance du charbon, etc.) ?

Le débat sur la transition énergétique, en France et en Europe, soulève de nombreuses questions de justice sociale et d’éthique. Comment arbitrer entre les priorités de l’heure (le chômage, la précarité) et la question du climat ? Centrale dans les débats et décisions sur l’énergie, la question l’est tout autant pour le débat sur les changements climatiques. Mais, paradoxalement, il n’existe pas de dialogue structuré et continu entre les acteurs impliqués sur ces deux questions.

Tout se passe comme si le dossier « climat », le dossier « énergie » et le dossier « social » pouvaient être gérés indépendamment.

Tout le monde s’accorde sur le fait que la question de l’énergie est au cœur de la question du climat, mais les discussions se déroulent dans des enceintes différentes. On ne parle pas de « l’énergie durable pour tous » lors des négociations sur les changements climatiques ; les questions du pétrole et du gaz non conventionnels en sont quasiment absentes. Tout se passe comme si le dossier « climat », le dossier « énergie » et le dossier « social » pouvaient être gérés indépendamment. Cette difficulté se retrouve bien sûr dans les débats internationaux sur la gestion du bien public commun et sur le développement. Nous n’avons pas voulu, alors que cela était envisagé à Rio en 1992, inscrire les politiques climatiques dans une perspective de développement durable. Une perspective très vite réduite à une figure de rhétorique, tout comme la référence aux responsabilités communes mais différenciées.

La problématique des changements climatiques a été le plus souvent ramenée à sa dimension environnementale, limitée aux efforts à entreprendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et, en centrant les discussions sur la réduction des émissions indépendamment des autres facteurs, on s’est enfermé dans une perspective de « budget limité d’émissions à partager ». On peut débattre à l’infini de la manière équitable de partager ce fardeau, sans voir que l’équation, ainsi posée, est insoluble. Il se dégage des appels généreux aux transferts Nord-Sud au nom de l’équité, un sentiment d’hypocrisie, alors que l’on sait qu’il y a peu de chances que les pays développés, aujourd’hui en crise, opèrent les transferts nécessaires.

Au cours des vingt-cinq années de négociations sur le climat, ni les pays développés, ni l’Europe elle-même n’ont fait aux pays en développement une offre crédible pour accélérer leur transition énergétique. Depuis Kyoto, l’Europe a certes voulu faire étalage de sa vertu par des engagements quantitatifs ambitieux de baisse des émissions. Mais lorsqu’il s’est agi de créer un fonds international sur la base de petites taxes sur les « permis d’échanges de carbone », par exemple, elle en a accepté le principe pour, tout de suite après, s’en exonérer et le réserver au seul mécanisme de développement propre, un mécanisme qui concernait surtout les pays du Sud. De même, l’Europe n’a jamais appuyé de propositions comme celle faite par le Brésil d’établir un fonds dit « d’observance » sur la base de pénalités pour les pays ne respectant pas leurs engagements quantitatifs de baisse d’émissions.

La responsabilité du Nord dans le financement de la transition vers un mode de développement sobre en carbone reste cruciale. À Copenhague, le principe d’un « Fonds vert pour le climat » a été adopté, mais la défiance risque de s’accroître à son égard : on peut craindre que les États européens, budgétairement contraints, soient incapables d’alimenter ce mécanisme à hauteur suffisante.

Il ne faut pas se tromper ici : très souvent, lorsque quelqu’un du Sud s’exprime ainsi, il est perçu comme celui qui tend la sébile. Or la justice se joue bien dans les transferts de fonds : une action collective ne sera possible que si les politiques climatiques constituent un levier pour réorienter les politiques des pays les plus pauvres et leur faciliter « l’accès équitable au développement durable » (décision 1 des accords de Cancún).

Trois défis urgents

La transition énergétique est un processus lent, qui peut être ralenti ou accéléré en fonction des politiques mises en œuvre. Elle a lieu partout, selon des modalités et des rythmes différents, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. C’est en partant de l’Afrique que j’envisagerai les contours de la transition ou, plutôt, « des » transitions énergétiques et les espoirs concernant les négociations sur les changements climatiques en vue de Paris 2015. Les changements climatiques et la transition énergétique invitent à relever au moins trois types de défis dans les plus brefs délais.

La volonté politique doit se fonder sur une vision claire, partagée par tous les pays. La justice, principe moral, se joue aussi sur le terrain de la rigueur intellectuelle et scientifique. À cet égard, la contribution du groupe de travail III au cinquième rapport du Giec est assez symptomatique. Le développement durable sert de référence, mais il est quasiment absent dans les travaux de prospective économique utilisés. Ce symptôme, qui n’est pas propre au Giec, reflète les dispositifs intellectuels et scientifiques en place, soucieux de disposer de travaux à l’horizon 2050 et au-delà, mais non sur la manière d’enclencher la transition en intégrant les contraintes du court terme. Le bois de feu, par exemple, question lancinante en Afrique, est quasiment ignoré par les modèles prospectifs existants. La combustion du bois reste largement utilisée pour cuire les aliments, soulevant des problèmes de pauvreté énergétique, de déforestation, de dégradation des terres et de maladies broncho-pulmonaires chez les enfants et les femmes, à cause de la fumée. Là commence la justice, et non seulement sous forme d’un chèque aux pauvres, mais aussi dans la qualité de la coopération universitaire dans ces domaines. Car il n’y aura pas de vision commune sans émergence d’une intelligence vraiment commune. Des appareils de recherche et de coopération scientifique comme le Giec sont ici déterminants. Leur fonctionnement doit allier excellence de recherche et de formation, pour que celle-ci soit guidée par des problématiques qui émergent du terrain. On éviterait ainsi de discuter, par exemple, de dispositifs du marché mondial du carbone ne s’appliquant qu’à des réalités virtuelles.

Il n’y aura pas de vision commune sans émergence d’une intelligence vraiment commune.

Il s’agit aussi de réorienter les institutions ou d’en inventer de nouvelles, capables de se saisir de cette vision et de la traduire en des actions concrètes. Nous fonctionnons aujourd’hui dans le cadre de schémas institutionnels conçus dans l’après Seconde Guerre mondiale, voire dans les années 1960-1970, incapables de traiter les problèmes transversaux tels qu’une transition énergétique mondiale. Il faut avoir le courage de repenser la coopération et de mobiliser les ressources humaines nécessaires. Trop de discours sur la justice relèvent de l’aumône ; ainsi des économistes quand ils préconisent l’adoption d’un prix unique du carbone et une simple compensation pour les perdants (par exemple, les Indiens qui verraient doubler le prix du ciment utilisé dans leurs bâtiments). Or il n’est pas question ici de charité, mais de relever des défis centraux : que doit-on réformer dans chaque pays ? Qui doit-on fâcher pour enclencher et engranger enfin les bénéfices d’une coopération Nord-Sud autour d’un mode de développement compatible avec le climat ?

Les structures de financement doivent évoluer pour pouvoir s’attaquer à la fois aux impératifs de court et de long termes. Comment éviter la méfiance si les promesses de Copenhague ne sont pas tenues ? Ont-elles une chance de l’être, en période de crise ? La transition vers un développement sobre en carbone requiert des financements très supérieurs à ce que pourra mobiliser un Fonds vert pour le climat. Elle appelle une réorientation massive de l’épargne et donc une transformation des circuits de financement. Si on veut que la décarbonation serve au développement, la finance carbone restera marginale : il s’agit de réorienter les investissements au sein de secteurs clés comme l’énergie, les transports, l’habitat, l’agriculture et le développement rural. Ce qui suppose de réformer les institutions qui réglementent ces secteurs et de toucher au cœur du système financier. Pourquoi ne pas réformer le Fonds monétaire international ? Émettre une monnaie fondée sur le carbone ? Créer des obligations fondées sur des projets ? Le système financier actuel a facilité les positions de rentes, les gains spéculatifs, décourageant les investissements de long terme. Si on n’y touche pas, il n’y a pas de justice.

La stabilisation de la concentration des émissions des gaz à effet de serre pour limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 2°C était possible en démarrant l’action dans les années 1990. Elle est devenue tout à fait incertaine aujourd’hui. Bientôt, c’est une stabilisation à 3°C, voire 4°C, qui sera impossible. L’échéance de Paris 2015 ne doit pas être perçue comme une conférence de plus, mais comme l’une des dernières chances pour éviter d’être contraints à s’adapter à de profondes transformations, désormais inéluctables. Le choix est le nôtre ici et maintenant, car le présent et l’avenir sont entre nos mains.

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