Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Famille cherche société

Aire de famille, centre parental pour le couple


Le père est trop souvent exclu des centres maternels assistant les jeunes mères en difficulté. C’est pourquoi le centre parental Aire de famille a choisi d’accompagner les deux membres du couple en situation précaire lorsqu’ils deviennent parents.

Aire de famille est un « centre parental », qu’est-ce que cela signifie?

C’est un espace pour permettre à de jeunes couples dans la précarité de se poser, en les accompagnant au moment où ils deviennent parents. Cette proposition va à contre-courant de ce qui se fait habituellement en France pour la protection de l’enfance. Les centres maternels et les centres d’hébergement et de réinsertion, vers lesquels on dirige les jeunes femmes enceintes, excluent les pères. Aire de famille est le premier centre parental. Il a été créé en 2004, dans le XIXe arrondissement de Paris. Malgré les grands principes affirmés dans la loi sur l’autorité commune des deux parents, sur la non séparation des familles, des initiatives analogues peinent à voir le jour. Notre objectif est de soutenir la famille comme une histoire qui peut s’ouvrir pour ces jeunes-là et pour l’enfant. Un autre centre parental, dépendant de la Croix-rouge, s’est ouvert après Aire de famille à Nantes en 2005. Un troisième, L’Opal, a été créé en 2008 dans le Var par l’association Moissons nouvelles. Mais le système habituel continue à écarter le père. La mère et l’enfant sont « protégés ». La protection de l’enfance ne suppose-t-elle pas, pourtant, des liens de l’enfant avec ses deux parents, une aide pour qu’il puisse se structurer avec son papa et avec sa maman? Même si le père investit sur son bébé quand il est tout petit, pénétrer ensuite dans l’univers d’une sorte de gynécée, assez fermé – où il y a d’ailleurs très peu d’hommes parmi les professionnels –, lui demandera du courage! Et l’enfant n’aura plus guère de liens avec lui. On contribue à fabriquer des foyers monoparentaux, alors que l’on sait qu’il n’est pas simple pour un enfant de vivre uniquement avec sa mère.

Qui sont les jeunes qui frappent à la porte du centre?

Aire de famille a choisi d’accueillir des jeunes couples en difficulté. L’arrivée d’un enfant est une question importante pour ces jeunes parents, qui ont subi des traumatismes de tout ordre (placement, abandon, maltraitance, toxicomanie, prostitution, abus…). Ils sont profondément meurtris, souffrent de carences affectives. Ils ont grandi dans un système de survie, d’adaptation permanente au court terme. Or l’arrivée d’un bébé et la volonté de l’accueillir ensemble deviennent l’occasion de reconstruire un projet de vie. Il va y avoir de l’espoir et pas seulement de la survie sans perspective. Grâce au petit être qui arrive, ils vont pouvoir retrouver une estime d’eux-mêmes. Alors que beaucoup d’entre eux sont considérés et se considèrent comme des « déchets », l’enfant ouvre un projet de responsabilité parentale. La responsabilité d’accompagner sa croissance, de le protéger, en lui donnant un toit, en prenant soin de sa santé, la responsabilité d’un environnement affectif… La période périnatale est une période de grands bouleversements psychiques tant pour la mère que pour le père. Cela crée une ouverture et des brèches dans leur système de défense qui constituent des opportunités favorables à un accompagnement en profondeur.

Quel accompagnement proposez-vous?

Nous recevons les jeunes couples plusieurs mois avant la naissance. Généralement c’est pour eux le premier enfant. La base est celle d’un triple désir : celui de fonder une famille, celui d’accueillir ensemble le bébé à venir, celui d’être accompagné et de croître en maturité. Avec les progrès de la contraception, la possibilité de l’interruption volontaire de grossesse, l’enfant est souvent le résultat d’un véritable choix. C’est par exemple ce qui est apparu dans un entretien avec un couple en crise. Tout allait bien sur le plan de la réussite professionnelle pour la jeune maman, qui avait quitté provisoirement son compagnon, alors que celui-ci se retrouvait en échec. En soutenant le dialogue entre eux, ils se sont rapprochés en se souvenant que la naissance de leur petite fille, qu’ils adoraient tous les deux, avait été portée par la parole de son père. En effet, le jeune homme s’était engagé en disant : « je veux qu’on accueille ensemble notre enfant », alors que tous les intervenants sociaux qui entouraient la jeune femme la poussaient à l’avortement. Protéger l’enfant, ce n’est pas sortir un parapluie pour écarter tous les risques, dont celui de la rencontre. Aire de famille s’appuie sur cette conviction qu’en chacun réside une pépite, souvent recouverte de bien des poussières. Cette pépite ne trouve tout son éclat qu’à partir du moment où elle est reconnue par le conjoint. L’enjeu est de soutenir une dynamique relationnelle. Il n’y a pas la mère en soi, mais une femme qu’un enfant fait devenir mère et qu’un père reconnaît capable de l’être. De même pour le père. C’est sur ce risque qu’on peut miser : celui d’un engendrement réciproque. On sort alors de l’assistance classique, qui risque d’être individualiste, chosifiante. Le discours et l’action sociale s’en tiennent trop souvent à l’enfant dans ses besoins physiologiques – on en fait un paquet que l’on « place » dans une institution –, oubliant la dimension affective. Comment l’enfant découvrira-t-il que le rapport à ses parents le construit lui-même? Le travail d’accompagnement commence avant la naissance : l’enfant est déjà là. La présence affective est déjà importante. À partir de méthodes actives, comme le recours à l’haptonomie (science de l’affectivité favorisant la communication dès avant la naissance entre le bébé et ses deux parents par un contact affectif sécurisant), les jeunes couples se rencontrent dans l’aventure de la grossesse. Ils apprennent à goûter le plaisir d’être ensemble, à oser l’affectif. Eux qui ont été blessés par la vie s’en défendent, mais l’arrivée de l’enfant touche les cœurs. Ainsi commence une démarche d’investissement et non plus de colmatage extérieur, un investissement qui se confrontera ensuite aux difficultés concrètes d’une responsabilité nouvelle, une responsabilité partagée dans tous les domaines de la vie quotidienne.

Dans quels domaines agissez-vous?

Une première étape consiste à offrir un toit pour le couple. Un studio provisoire, puis un appartement avec un bail glissant (si cela est possible). Mais l’accompagnement se développe autour de onze axes, dont les jeunes couples sont avertis : la parentalité, la conjugalité, le soutien administratif, le logement (apprendre à habiter alors qu’on a été dans l’errance), les questions de santé, de formation, d’emploi, la famille élargie (l’enfant sera un ambassadeur pour renouer avec elle), l’ouverture au quartier, etc. La protection maternelle infantile, la Mission locale ou d’autres référents sont des partenaires. Mais notre accompagnement ici permet de donner une cohérence à leur projet pour dépasser les peurs et les à-coups. Après la galère, cela permet de se construire sa propre sécurité intérieure. Depuis sept ans qu’Aire de famille a été créée, 40 couples ont été ainsi suivis, depuis la grossesse jusqu’au troisième anniversaire de l’enfant. Cette durée laisse le temps de la véritable élaboration d’un projet, pour apprendre à traverser des épreuves et découvrir ce qui tient. Il y a des rechutes, des crises conjugales, des crises personnelles. Parfois leur itinéraire passe par des séparations. Mais l’écart psychologique peut aussi être une étape pour se retrouver sur d’autres bases. Dans deux ou trois cas cependant, le marasme se révèle trop prégnant pour continuer le chemin commencé. Ainsi ce jeune homme pris dans l’engrenage de l’autodestruction qui, devenu père, avait repris une formation et découvert qu’il était aussi capable de délicatesse auprès de son bébé mais qui, après plusieurs chocs, a régressé et n’a pu continuer à croire à ce qu’il avait entrevu de lui-même. Aire de famille est là pour soutenir la vie, même si cela passe par de patientes métamorphoses.

Propos recueillis par Bertrand Cassaigne


J'achète Le numéro !
Famille cherche société
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

Histoires de famille

La famille est le premier lieu où se croisent chemin personnel et chemin collectif. Une expérience à protéger et à valoriser en soi. La famille est à la fois une « affaire » tout à fait privée – elle le revendique de plus en plus à travers les diverses formes qu’elle prend – et une affaire publique. Jamais le droit ne s’est autant immiscé dans les relations entre époux (jusque dans le lit conjugal qui peut être lieu de violences) et entre parents et enfants (pour exiger les signes d’une responsa...

La famille à l'heure de l'individualisme

Resumé L’individualisme n’a pas eu raison de la famille, qui reste une institution centrale de la société, mais bien d’un certain « modèle familial ». L’individu est désormais confronté au défi, voire à l’angoisse, d’inventer sa famille en choisissant ses propres normes. La famille, devenue « incertaine »1, aurait-elle cessé d’être une institution? Les liens et les rôles en son sein ne seraient plus ni clairement définis, ni pérennes. L’individualisme est alors accusé d’avoir érodé l’institution...

Famille cherche société (introduction)

En 1994, Projet publiait un numéro spécial intitulé « Société cherche famille ». Il constatait un paradoxe : renvoyée à la seule sphère privée, désinstitutionnalisée, la famille n’en suscitait pas moins une attente sociale et politique croissante, pour répondre aux maux de l’époque – solitude, érosion des solidarités, incertitude des repères… Et Christian Mellon de conclure « Société cherche famille. Il faudrait faire davantage droit à la réciproque : famille cherche société. Car on voit mal co...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules