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Dossier : Cités, l'autre école

Paradoxale transmission entre pairs


L’idée que la transmission s’opère aujourd’hui par les pairs relève du mythe, les milieux aisés le savent bien. Contre une domination implicite, il faut affirmer le rôle des adultes comme témoins.

Le regard que notre culture a sur l’adolescence est, depuis une quarantaine d’années, teinté de l’idée que les enfants et adolescents, mais aussi les adultes, se construisent à l’horizontale, avec les références de la génération d’appartenance. On peut, à cet égard, évoquer le tournant pris dans les années 1990 : l’adolescent de la fin des années 1980 est encore fortement sous le contrôle de la famille et de l’école, alors qu’à la fin des années 1990, les sorties et la sociabilité amicale prennent une place prépondérante1.

Nous nous interrogeons sur la signification d’une transmission qui se ferait entre pairs, dans la mesure où la notion de transmission suppose une temporalité. Est-il possible de continuer à transmettre, en un monde « à l’horizontale » où, justement, la dissymétrie de la transmission ne serait plus le paradigme central? Nous considérerons l’aspect « mythique » de cette idée de transmission entre pairs, et soutiendrons qu’il est toujours possible d’éduquer, ou de transmettre. Encore faut-il mettre au jour bien des aspects implicites d’une transmission qui continue toujours, malgré tout, à œuvrer aujourd’hui, dans un contexte où les adultes accepteraient de s’exposer d’une manière plus nette. Nous évoquerons ce thème d’une manière générale (à propos de la société), avec une attention aux aspects d’horizontalité de la transmission contemporaine qui, s’ils traversent l’ensemble des classes sociales, se déploient, dans leurs effets négatifs, au détriment des populations les plus défavorisés2.

Dimensions de la transmission

Le fait, observable, de « l’éducation par les pairs » est une donnée incertaine, fluctuante, produit de nos désirs et de notre culture et, à ce titre, éminemment transformable. Elle est aussi une représentation sociale, pour partie performative3, qu’il s’agit de problématiser.

Resituons donc la question de la transmission avant d’aborder plus spécifiquement celle par les pairs. La transmission est traversée par deux problématiques essentielles. D’abord celle du temps. Transmettre suppose de chercher à instituer une permanence malgré le temps qui passe. Les sociétés de la tradition sont des sociétés de la transmission. Une évolution importante est apparue depuis deux siècles. Le désir de transmission est considéré avec méfiance, comme le rempart d’ordres anciens (familiaux, institutionnels, ecclésiaux). L’émergence d’une transmission entre pairs s’effectue sur la toile de fond d’un changement de paradigme du monde adulte. Elle se déploie dans une culture caractérisée par son appétit de transformation. Des attitudes, des comportements, des opinions se « transmettent » à l’horizontale, par une forme de contamination, dans laquelle l’individu ne gagne pas nécessairement en liberté. Le jeune est assujetti à une identification à un autre anonyme dont il ne pourrait être séparé, tant la menace d’exclusion est réelle. Il s’agit d’une « obéissance » profonde, où le fait de rester relié au groupe soutenant, rassurant et protecteur, devient essentiel, et même vital4. Mais ce qui se transmet a-t-il alors vocation à demeurer?

Le deuxième problème est celui de l’explicite et de l’implicite. Si les psychanalystes parlent de « transmission psychique », c’est que l’aspect implicite de la transmission a une place importante. L’implicite se transmet souvent dans ce qu’il a de négatif. C’est dans les failles, dans les manques, dans les blancs du vouloir parental que se transmettent les difficultés, les souffrances. Mais, à trop insister sur le négatif, on méconnaît le versant « positif ». Si notre époque favorise une image du développement fondée sur les acquisitions du sujet, et sur sa pure liberté, c’est qu’elle développe cette angoisse du négatif de l’implicite, et qu’elle méconnaît un incompressible de cette transmission par « imprégnation », caractéristique de la transmission parentale, mais aussi d’une partie de la transmission sociale. Cette dimension est le vecteur de la portée symbolique de la transmission. Il est toujours possible de verser dans un implicite « pathologique », où celui à qui l’on transmet est prisonnier du transmetteur.

Une transmission observable et mythique

La prévalence de la transmission entre pairs apparaît dans un contexte où l’articulation de l’individuel au collectif est devenue complexe. Nous expérimentons une méfiance vis-à-vis des institutions, mais nous n’avons jamais autant insisté sur la nécessaire ouverture au fait social de l’éducation, que celle-ci soit parentale ou scolaire. Pendant longtemps l’école a opéré la synthèse de la méritocratie républicaine, de l’égalité sociale et du vœu individualiste. L’article de Bernard Bier5 exprime cette fin de l’école comme lieu central puissamment intégrateur. L’auteur met au jour d’autres espaces-temps éducatifs qui mettraient en valeur d’autres pédagogies, dites « non formelles » ou « informelles », que celle de l’abstraction scolaire. En même temps, il remarque que « la difficulté pour nombre de jeunes les plus fragilisés est plutôt de savoir s’y reconnaître dans l’abondance et l’hétérogénéité des normes. »

Le centrage sur l’originalité individuelle, et sur un individu abstrait posé comme préalable à toute éducation, implique que, d’une certaine manière, seule une « autoéducation » serait possible. L’individu contemporain, détenteur de droits prééminents à tout impératif de transmission « veut l’éducation, mais il ne veut pas être éduqué (…) ; il aspire à des savoirs dont il repousse les instruments »6. Le « devenir individu » devient normatif. L’enfant doit définir sa propre identité. Le modèle antérieur de l’identification – fondé sur la transmission entre générations de statuts et de valeurs quasi à l’identique – fait place à un modèle d’expérimentation7. Ce fait observable de la construction par l’expérimentation est considéré par les auteurs sollicités dans ce dossier comme une réalité qu’il s’agit de reconnaître dans tous ses aspects.

Que l’école, la famille, soient encore porteuses d’une dimension dissymétrique, par leur structure même, n’empêche pas une réalité œuvrant au sein de ces institutions, celle de la demande sociale d’autoéducation. Ce qui engendre des tensions et conflits internes (internes aux institutions et aux sujets). « Si les parents ont perdu une grande partie de leur pouvoir de prescription, les individualités ne peuvent pas pour autant s’exprimer »8. Cette prégnance du groupe, de la « majorité » à laquelle l’adolescent se conformerait, ne s’effectue pas complètement à distance de l’univers des adultes. Ceux-ci, nous l’avons énoncé, ne sont pas absents de ces pouvoirs. Ils y sont, en quelque sorte, présents/absents.

Éric Marlière étudie ainsi l’espace public investi par les jeunes9. Dans les cités, les adultes en sont absents, pour partie par peur, et probablement aussi parce que cet espace est prescrit comme tel par nos représentations collectives. Les jeunes dont la stratégie d’intégration au monde adulte par les études est plus marquée – les « invisibles » de la typologie de Marlière – désertent eux aussi cet espace. La difficulté des adultes à côtoyer les jeunes dans l’espace du dehors redouble leur appréhension à demeurer garants du temps. On pourrait d’ailleurs étudier la manière dont les stratégies identitaires, affinitaires et professionnelles de ces « jeunes en cité » sont, ou non, en relation avec les attentes de leurs géniteurs10.

D’autres chercheurs interrogent l’espace « naturel » de relation entre adultes plus âgés et la « jeunesse ». Dans cette intimité familiale, les absents de l’espace public sont dans une position plus ambiguë, présente/absente. Les liens subtils de l’emprise apparaissent dans un contexte où les autorités sont officiellement niées. La « démocratie familiale » n’empêche pas la domination sourde. L’éducation par les pairs évolue dans ce paradoxe. Les adultes sont aussi metteurs en scène des dominations implicites. Celles-ci surgissent dans l’intimité familiale, mais aussi dans l’articulation de cette intimité avec le monde social. Si l’école et les parents perdent de leur force de légitimation culturelle, c’est au bénéfice, d’une part, de la société des pairs et, d’autre part, de la puissance légitimante des médias qui, jusqu’à nouvel ordre, sont gérés par des adultes11.

L’éducation par les pairs est ainsi un des mythes fondateurs de notre modernité tardive. Ce type d’éducation « horizontale » réjouit notre culture. Nous attachons autant d’importance que jadis à cette entrée en culture de nos enfants. Mais nous demandons à nos jeunes de la gérer dans une plus grande autarcie, tout en en manipulant en sous-main les tenants et les aboutissants. Le monde adulte est, dans son ensemble, pris dans ce paradoxe. Il y trouve probablement aussi son compte. L’angoisse de devenir le « mauvais objet », celui qui risquerait de perdre le lien d’amour qui le lie à son enfant en se montrant trop dur est sans doute au premier plan.

La nécessité de nommer l’implicite

Le rôle du collectif relève-t-il du concept de « domination »? Une simple « influence », vis-à-vis de laquelle l’obéissance n’est pas requise, du moins en apparence, ne semble pas devoir entrer dans la catégorie d’une domination faisant autorité12.

Considérons maintenant l’autorité des pairs. Elle possède des aspects positifs, qui ne sont pas nouveaux. Une certaine inventivité sociale, voire un génie social, sont l’apanage d’une partie des adolescents ou des jeunes adultes. Alors que d’autres, exclus ou à la remorque du groupe, vivent, en revanche, la souffrance de l’assujettissement ou de l’abandon. Dans les sociétés traditionnelles, l’insertion du futur adulte dans le groupe des jeunes a une portée d’insertion dans le monde social, fortement encadrée par les adultes. C’est aussi le cas dans le monde contemporain, dans un contexte implicite et paradoxal. Il s’agirait de retrouver un goût de l’explicite. Et tout au moins de mettre au jour le désir d’une partie d’entre nous de « scénariser » cette éducation par les pairs. À regarder de près les inégalités scolaires, certains chercheurs s’aperçoivent que ce qui fait la différence entre les classes sociales n’est pas seulement causé par l’héritage culturel et social. Il semblerait que les classes favorisées soient moins sensibles que les classes les plus défavorisées à la doxa ambiante privilégiant une culture de masse, et dévalorisant les institutions d’adultes. Les « élites » continuent, quant à elles, à tenir le discours anti-autoritaire, tout en continuant à exercer une autorité subtile. Il s’agit alors d’établir un cadrage serré des activités de la progéniture, tout en tentant d’influer sur ses décisions13. Les enfants des classes favorisées sont, sans que cela leur soit proposé d’une manière directe, habitués, et incités, à utiliser les codes de la société adulte : cynisme plus ou moins conscient qui participe à la reproduction de classe14.

Nommer l’implicite, et donc l’expliciter, ce serait dénoncer ce paradoxe où les institutions continuent, d’une certaine manière, à être valorisées par ceux qui y initient leurs enfants, tout en continuant à gérer un discours « progressiste » à destination de ceux qui sont écartés du jeu institutionnel. Bernard Bier15 note très justement qu’un certain type de respect des différences constitue une manière de reléguer les groupes défavorisés dans une « niche écologique » qui leur serait allouée (d’où l’iconographie étatique des sports et occupations pour jeunes des banlieues).

Reconfiguration du rôle des adultes

Plusieurs catégories d’adultes peuvent être distinguées dans leur positionnement face à la transmission. Le premier groupe, minoritaire, demeure nostalgique du temps d’avant, volontariste d’une éducation ferme qu’il faudrait maintenir. Le deuxième groupe, numériquement beaucoup plus étoffé, se perçoit impuissant, et regarde la fonction éducative comme un bien dont il n’a plus la possession. Le troisième groupe est composé de personnes qui tentent de rationnaliser leur position « hors jeu ». Elles se drapent d’un discours libéral pour masquer l’inquiétude d’avoir perdu la main. D’autres enfin, plus « mystificateurs », tiennent le même discours libéral concernant l’éducation, mais n’en continuent pas moins à œuvrer, avec un grand doigté, à des contraintes très construites concernant leur progéniture.

Le monde adulte, par sa précédence, est nécessairement en position de transmettre. La transmission éthique est issue d’une « contamination » par les valeurs parentales, et celles du groupe d’appartenance. L’enfant internalise l’autorité des parents, et la transforme dans le devenir des instances du monde interne16. Le modèle de la transmission par les pairs est aussi « transmis », ne serait-ce que par son antécédence dans l’esprit des parents. Il passe par l’inconscient culturel et parental. Quel est le texte latent de cette transmission? Il est intéressant, à ce titre, de rappeler la position des adultes évoquée par Serge Tisseron17 : « Dans une culture du lien élastique, les attentes des jeunes vis-à-vis des adultes relèvent d’une logique d’allers et retours. Ce qui est attendu de la part des tuteurs ou mentors est moins un accompagnement que la possibilité pour les adultes de fixer des objectifs adaptés aux possibilités de chacun. » Tisseron utilise la métaphore des personnages « non joueurs » dans les jeux en réseaux. Ces arbitres initiatiques sont là pour indiquer des « quêtes » aux participants.

Dans notre culture des « liens faibles », et révocables, les adultes se positionnent non pas comme garants d’un monde déjà là, mais comme introducteurs à une hypercomplexité dont ils ne souhaitent pas avoir la clé. La dépossession liée à la transmission se configure à un registre différent. Auparavant, il s’agissait de transmettre ce que l’on avait reçu, sans en être possesseur. Il s’agit aujourd’hui d’aider le jeune à s’inscrire dans une socialité mouvante, et sans cesse se créant18. Le surmoi parental n’est plus alors représentant d’une culture tendant à reproduire les valeurs de contrainte du vivre ensemble, mais induit la direction d’une quête où les utilités individuelles ont à s’additionner dans la plastique du futur proche. Ce surmoi, dont Freud disait déjà qu’il se configure, dans son aspect le plus ancien, à la crainte de perte d’amour, fait porter la menace non pas sur la castration (limitation de la toute-puissance du désir), mais sur la dissolution du lien19. La contrainte sociale n’est plus de sacrifier une partie de sa libido sur l’autel de l’intérêt collectif, mais d’investir celle-ci dans la régénération continue du lien, au prix même de l’aliénation par le groupe.

Le très grand succès du dernier film de Guillaume Canet, au demeurant très moyen, Les petits mouchoirs, donne ainsi à penser. Suite à l’hospitalisation d’un élément central du groupe, une bande de copains décide, malgré tout, de partir tous ensemble en vacances comme chaque année. Le film détaille les incertitudes amicales et amoureuses, la recherche de soi de chacun des membres, cultivant le plaisir toujours menacé de la couette groupale. La trentaine bien avancée leur montre bien que l’entre deux de l’adolescence prolongée se termine. Le tout sous la houlette de Max, le chef de bande, vieux mâle représentant d’une génération précédente qui garantit le confort du groupe par son aisance financière. Chaque été, la bande se réunit dans sa maison, tentant d’arrêter le temps, dans ce sursis qui lui est donné avant l’expulsion définitive de l’adolescence. Max lui-même n’a pour projet que de maintenir la superbe maison, et de superviser de loin cette jeunesse exploratrice un peu perdue. Métaphore du temps qui use, les combles de la maison sont menacées par les fouines, jusqu’à l’obsession de Max qui se réveille la nuit pour pourchasser les nuisibles. Entre père inquiet et financeur inconsciemment séducteur – l’un des jeunes hommes tombe amoureux de lui – Max sait qu’il risque à tout moment de perdre sa couvée. Sa présence se résume à une attention anxieuse de maintenance d’un univers douillet et menacé, où les liens se font et se défont, mais où le groupe seul se veut pérenne. La génération d’avant exerce un pouvoir subtil, mais sans réelle portée. Il ne s’agit pas de transmettre, mais de préserver un présent fragile.

L’émergence des témoins

Dans le contexte que nous venons de décrire, continuer à « éduquer » consisterait à dénoncer les méfaits de la naturalisation contemporaine de l’appétence de l’enfant, qui devrait être à même de s’auto-éduquer hors de toute influence, si ce n’est dans l’expérimentation du groupe. Ce type de pensée, inaugurée par l’Émile, est encore central actuellement20. De ce fait, l’adulte ne s’expose plus dans un don de transmission, mais se révèle le chef d’orchestre d’un pouvoir obscur qui, pour œuvrer en coulisse n’en est pas moins réel. « Qu’il croie toujours être le maître et que ce soit toujours vous qui le soyez », affirme Rousseau21.

Ce modèle de l’enfant s’auto-éduquant est erroné, voire nuisible, notamment pour ce qui concerne les enfants les plus défavorisés. L’enjeu serait que le monde adulte s’expose d’une manière plus explicite, sans pour autant renier les acquis d’une vie familiale plus pacifique et dialoguante. Même si le modèle de la transmission semble « ringard », nos sociétés continuent à transmettre, et à se reproduire.

Sortir de la passivité ne consiste pas à se mettre dans une posture volontariste aussi inutile qu’inefficace. Les parents et les éducateurs ont à ré-élaborer, dans un contexte où une certaine liberté ne saurait être remise en cause, une position de garants générationnels. Nous incorporons ainsi ceux qui nous ont précédés dans le processus de transmission. La figure du « témoin » est essentielle aujourd’hui. Elle permet de retrouver ce goût de transmettre qui ne se déploierait plus dans un contexte de contrainte lourde de jadis. La vie du témoin est signe pour ceux qui le suivent. Il est porteur « pour autrui, pour ces générations, de ce qui ne lui appartient pas en propre, de ce qui l’habite et le fait vivre, de façon singulière et insubstituable. »22 Cette figure permettra dans l’exercice de l’éducation ou de la parentalité non pas de s’accommoder de l’injonction d’horizontalité qui est la nôtre, mais de l’habiter d’une autre manière. Afin de se recevoir de nouveau du temps d’avant, tout en cherchant à ne pas se retirer de notre époque de plasticité.



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1 / Olivier Galland, « Individualisation des mœurs et choix culturels », in Olivier Donnat et Paul Tollila (dir.), Les publics de la culture : politiques publiques et équipements culturels, Presses de sciences po, 2003, p. 94.

2 / « L’imposition d’un principe de division interne » aux classes populaires, souligné par Stéphane Beaud dans ce numéro dans son article « Que reste-t-il de la jeunesse populaire? » (pp. 64-70) (notamment entre Français et étrangers) relève sans doute pour une part de l’intériorisation de la pression de la culture dominante poussant à une « ethnicisation » des rapports entre jeunes.

3 / Nous ne limitons pas la notion de performativité à l’impact d’un acte de langage qui fait ce qu’il énonce, en même temps qu’il l’énonce (cf. John L. Austin, Quand dire, c’est faire, Seuil, 1962, 1991). Une action « performative », en ce sens plus large, participe à la création de l’objet visé par son intention.

4 / L’origine de cette identification à un autre anonyme est l’angoisse d’abandon. Le collectif en tant que tel devient figure identificatoire. Cf. Sigmund Freud, Psychologie des masses et analyse du moi, in Œuvres complètes, t. XVI, Janine Altounian (trad. fr.), Puf, 1921, 2003, pp. 1-97.

5 / Cf. dans ce numéro : « Le temps des loisirs : enjeu éducatif et démocratique », pp. 39-46.

6 / Marcel Gauchet, « Démocratie, éducation, philosophie », in Marie-Claire Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Pour une philosophie politique de l’éducation, Hachette, 2003, pp. 42-43.

7 / Olivier Galland, « Qu’est-ce que la jeunesse? », in Alessandro Cavalli et Olivier Galland (dir.), L’allongement de la jeunesse, Actes Sud, 1993, p. 37.

8 / Dominique Pasquier, Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Autrement, 2005, p. 13.

9 / Cf. dans ce numéro : « Jeunes de cité, des trajectoires multiples », pp. 47-54.

10 / Ce que fait Dominique Pasquier pour les stratégies culturelles.

11 / Avec la montée en puissance, par exemple, des radios « adolescentes ». NRJ a ainsi la meilleure audience dans les programmes musicaux, et est la seconde radio la plus écoutée toutes catégories confondues pour les 13 ans et plus (Source : Médiamétrie, chiffres de nov.-déc. 2010).

12 / On ne peut parler de « domination » seulement dans la mesure où se produit un rapport « d’obédience immédiat » géré et décrit par des directives précises. Cf. Max Weber, Économie et société¸ t. I, Jacques Chavy (trad. fr.), Plon, 1971, 1995. Dans cette optique, une domination fait autorité seulement dans une obéissance reconnue. La question est bien celle d’une « influence » qui concerne une domination implicite, et dont les effets sont, pour une part, inconscients.

13 / Marie-Claude Blais, « La famille contre l’éducation? », in Marie-Claire Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Stock, 2009, p. 20. L’auteur cite une étude américaine d’Anette Lareau, Unequal Childhoods. Class, Race, and Family Life, University of California Press, 2003.

14 / Dominique Pasquier (op. cit., pp. 42-56) étudie la population de trois lycées, au recrutement très différent, dans son approche des habitudes culturelles. Elle évoque longuement les jeunes d’un lycée parisien, dont les enfants sont issus de milieux très favorisés, et sélectionnés scolairement à l’entrée. Elle montre avec finesse les stratégies sophistiquées des parents pour protéger leurs rejetons de la culture de masse.

15 / Op. cit.

16 / « Le surmoi de l’enfant ne s’édifie pas d’après le modèle des parents mais d’après le surmoi parental; il se remplit du même contenu, il devient porteur de la tradition, de toutes les valeurs à l’épreuve du temps qui se sont perpétuées de cette manière de génération en génération ». Sigmund Freud, « La décomposition de la personnalité psychique », in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 1933, 1989, p. 93.

17 / Cf. dans ce numéro : « Blogs, jeunes et vidéos, la responsabilité des adultes », pp. 55-62.

18 / Dans ce cadre, la contrainte des adultes concernant l’accès à internet est très souple. Des règles sont données, chargées d’une tonalité affective plus que prescriptrice. La première incursion sur ce média se fait le plus souvent sans les parents, et l’utilisation de mots de passe et de logiciels filtrants est minoritaire. Cf. l’enquête de Marion Haza et Émeline Grolleau, « Adolescents face aux usages d’internet », citée dans ce numéro p. 63.

19 / L’idée est évoquée, surtout dans Le malaise dans la culture, in Œuvres complètes, t. XVIII, Janine Altounian (trad. fr.), Puf, 1930, 1994, pp. 245-333.

20 / Nathalie Bulle, L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en France, Hermann, 2010, p. 38.

21 / Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation.

22 / Catherine Chalier, Transmettre, de génération en génération, Buchet Chastel, 2008, p. 263.


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