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La valeur des hommes


Haydée Erache, après avoir travaillé dans un ministère, a exercé la responsabilité de directrice des ressources humaines, pendant quinze années, d’une filiale (3000 salariés) d’une multinationale. Celle-ci a absorbé successivement d’autres entreprises. Haydée Erache est actuellement consultante.

Projet – Après avoir été dans la fonction publique, vous avez fait le choix de l’entreprise ?

Haydée Erache – N’étant pas énarque, je savais que, dans l’administration, je n’aurai de responsabilité importante, en termes de réalisation de projets, que très tard dans ma carrière. J’ai occupé pendant plusieurs années un poste juridique dans un ministère avant d’y intégrer une équipe chargée de la « gestion du personnel ».

S’occuper de personnel dans la fonction publique, c’est assurer la gestion des concours (c’est le principal mode d’accès), et suivre les relations sociales à  travers les commissions paritaires, à propos des rémunérations, de l’avancement, de la mobilité interne (et parfois, de la délocalisation d’un service). Ce rôle n’est pas trop éloigné de celui qui s’exerce dans le privé. On y retrouve tous les grands axes d’une gestion du personnel : intégration, formation, rémunérations, mobilité, relations sociales Simplement, les problématiques sont traitées de façon très différente. Parallèlement, je travaillais en lien étroit avec des fédérations de structures privées. J’y ai découvert une dynamique particulière à ce secteur et cela m’a donné le désir de rejoindre « le monde du privé ».

Projet – Une fois passée dans le secteur privé, votre rôle de DRH a-t-il changé ? N’y a-t-il pas encore la contrainte d’exécuter des tâches à la demande de la direction ?

Haydée Erache – Cette place dépend beaucoup du dirigeant et de son équipe. Si le DRH participe réellement au comité de direction, et si sa légitimité est reconnue par ses pairs, alors sa voix n’est pas celle d’un simple exécutant de stratégies et de décisions engagées sans lui. Naturellement, cela suppose qu’il ait lui-même une approche « business » pour discuter sur des bases communes avec le directeur financier, le directeur de production, etc. Sinon, il sera toujours dans la main des autres. Le DRH doit avoir les deux approches, responsable de sa discipline et gestionnaire d’entreprise, et trouver les carrefours pour dialoguer efficacement avec les autres cadres.

Une seule personne ne peut pas posséder toutes les compétences. Toute une part de l’activité du DRH concerne les relations sociales – avec les individus comme avec les groupes, les services ou les organisations syndicales – ; l’autre grande part est celle de la gestion administrative qui doit être « impeccable » : veiller à la formulation des contrats de travail, à la régularité et à la précision des rémunérations, etc.

Le recrutement est aussi un autre métier : tout en gardant le souci d’une vision d’ensemble stratégique et sociale, le DRH doit parfois déléguer cette responsabilité à un collaborateur qui possède le savoir-faire nécessaire concret pour cette tâche. Le DRH doit également articuler la relation humaine avec le développement de la performance de l’entreprise elle-même, par exemple, en suscitant la mobilité interne des salariés, en accompagnant leur évolution et la prise de risque. La formation devient un volet de plus en plus important pour permettre cette mobilité. Mais il faut encore penser à la gestion des seniors et à leur place dans la vie de l’entreprise : tutorat, formation, soutien aux jeunes. Cette perspective suppose de mettre en œuvre une vraie reconnaissance des compétences, avec une politique de rémunération prenant appui sur d’autres leviers que ceux de la compétition. Malgré les incitations et les aides (les réductions de charges), bien peu de DRH sont disposés à embaucher des salariés qui ont plus de 50 ans.

Tout cela se fait sans que le DRH soit déconnecté du reste de l’entreprise : il doit être au fait de ses enjeux et de ses projets. S’il est membre à part entière du comité de direction – ce qui était mon cas –, il connaît les processus de décision et les difficultés rencontrées. Son travail pour rechercher les priorités s’en trouve amélioré. Ainsi, à travers la formation, le soutien au management est-il fondamental. C’est à partir d’une connaissance du terrain que l’on détermine les besoins en formation et en reconversion, et les réponses à apporter par une politique de rémunérations, de compétences et de mobilité, selon les types d’emploi. Les principes directeurs de la politique de l’entreprise doivent être reconnus, pour que chacun les retrouve dans le mode de rémunération qui le concerne. Pour la mobilité dans les équipes de production, des bilans de compétence sont nécessaires afin de penser sur plusieurs années une réussite dans l’évolution des salariés. Des formations adaptées à des petits groupes ont ainsi permis de préparer la reconversion vers d’autres types d’activités de ceux qui n’avaient pas l’aptitude requise pour évoluer comme on l’avait initialement imaginé. Restent, malgré tout, ceux qui ne seront pas capables d’une reconversion au sein de l’entreprise. Pour ceux-là, malheureusement, il faut envisager des solutions telles que le licenciement.

Projet – Quelle est la pertinence aujourd’hui de la notion de « projet d’entreprise », et quel rôle y joue le DRH ?

Haydée Erache – On a connu, un peu partout, une mode de « projets d’entreprise », très formels, coûteux et sans véritables effets pratiques. Mon expérience en termes de culture d’entreprise m’a montré qu’au-delà des textes, ce qui importe, c’est la manière dont les dirigeants témoignent d’une capacité de transmettre une ambition, des objectifs et des valeurs à toute l’entreprise, en collaboration avec leur équipe de direction. Pour sa réalisation concrète, la façon de construire un projet d’entreprise compte énormément : des valeurs communes au personnel et à la direction peuvent faire l’objet de réflexion par équipes,  dans des groupes de travail.

Le DRH joue d’abord un rôle d’inspirateur. Il peut aussi, à partir d’une orientation précise donnée par le directeur général, travailler lui-même sur la meilleure transcription à lui donner dans la vie de l’entreprise.

Projet – A votre poste, vous avez connu plusieurs fusions. Quel sens y voyez-vous, économiquement et industriellement ?

Haydée Erache – L’enjeu premier était de devenir plus fort et plus gros, pour conquérir des parts de marché. Les restructurations que j’ai vécues ne venaient pas de ce que l’entreprise était en difficulté et devait chercher à sauver une partie de son activité. Aussi bien, si j’ai eu à mener des projets de fusion, ce fut sans y adhérer sur le fond. Si l’argument de la plus value nette pour les deux entreprises concernées vient en premier dans le discours des dirigeants tenu aux actionnaires, il n’est pas mobilisateur au sein de l’entreprise ! Pour préparer la fusion, il y a un travail de collaboration à effectuer avec d’autres équipes que l’on ne connaît pas. Dans cette phase transitoire, le DRH est aussi là pour défendre et valoriser les ressources humaines de ses équipes.

L’organisation de la fusion proprement dite est la période la plus délicate, ne serait-ce que parce que l’on garde des employés pour assurer cette transition tout en sachant qu’ils seront ensuite licenciés. Une autre forme de dialogue social est alors à inventer ! J’avais, par exemple, obtenu des deux entreprises qui fusionnaient d’établir un accord qui reconnaisse clairement la particularité de la phase de transition, et qui ouvre une réflexion rapide et efficace sur les règles communes à adopter pour gérer au mieux ce temps. Concrètement, le personnel de deux entreprises se rencontre pour la première fois et il doit faire comme si tous allaient travailler durablement ensemble, en sachant que nombre d’entre eux subiront un licenciement. C’est un exercice un peu artificiel, il faut pourtant se donner les moyens de le réaliser au mieux.

Projet – Dans les situations que vous avez vécues, comment a réagi le personnel ? S’est-il comporté comme placé devant un processus inéluctable à accepter, ou bien a-t-il considéré que personnel et syndicats pouvaient changer la décision ?

Haydée Erache – Cette seconde hypothèse ne s’est guère présentée. En revanche, des tentatives ont été faites par certains groupes pour modifier plusieurs des choix stratégiques dans le processus, mais cela a été rarement le cas lors des réunions formelles. Le DRH est parfois appelé à clarifier des décisions qui sont prises bien loin des employés d’une des deux entreprises (dans les sièges sociaux, à l’étranger…). Il m’est arrivé de traverser la Manche pour expliquer en quoi consiste un plan social en France et comment il s’articule avec le code du travail, la jurisprudence. En France, le DRH informe, consulte, relève le plus possible les avis. Le comité d’entreprise a la possibilité de recourir à des experts, et de retarder le processus de fusion, pour demander d’approfondir au préalable certaines questions incontournables. La difficulté venait de ce que, dans une fusion internationale, un calendrier s’impose aussi et l’objectif de la fusion n’est pas toujours facile à associer au respect de la législation de chaque pays. Au DRH revenait la responsabilité de faire prendre conscience de cette complexité et de favoriser la prise en compte de situations très différentes, dont la considération favorisera pourtant la pérennité de la nouvelle entreprise.

Projet – Le métier de DRH prend une dimension internationale, du moins européenne. Comment est géré le rapport aux différentes cultures (d’entreprise, sociales…) ?

Haydée Erache – Je connaissais, pour ma part, deux liens de rattachement : l’un, hiérarchique, avec le Président de la filiale française, l’autre, fonctionnel, avec le DRH général du groupe en Europe. J’étais également membre du comité d’entreprise européen, en raison de l’importance de la filiale française et parce que les particularités juridiques françaises rendaient cette présence nécessaire. Dans ce cadre, j’ai cherché à favoriser une mutualisation des expériences et des moyens par des réunions entre les diverses filiales, au lieu de se contenter, comme souvent, du travail extérieur et coûteux de consultants. Dans un autre domaine, cette internationalisation est bénéfique, celui de l’enrichissement de leur expérience pour certains collaborateurs : elle permet de faire évoluer le personnel d’une filiale à une autre. Les jeunes sont preneurs d’une période de travail à l’internationale. Naturellement, pour accompagner la gestion des expatriés, on voit toute l’importance d’un travail en réseau des DRH.

Projet – Les compétences du personnel, leurs qualifications, leurs savoir-faire sont-ils considérés comme des éléments au cœur du patrimoine de l’entreprise ou sont-ils appréhendés comme un coût, un poids qui peut freiner son évolution ?

Haydée Erache – Le discours actuel est souvent celui d’une négation de la valeur réelle des hommes et des femmes. Je n’aime pas le terme de « capital humain », même si je sais qu’il peut être employé dans plusieurs sens ; je préfère le terme de « ressources ». Mais généralement, la stratégie des entreprises est encore beaucoup trop sous la coupe des financiers qui, tableaux chiffrés à l’appui, parlent plus de gains à réaliser à court terme et de rationalisations. C’est souvent à partir de ces approches que naissent des décisions de fusion, sans qu’il y ait toujours un réel besoin économique ni une raison objective. Cette mentalité est très destructrice pour l’entreprise, et d’abord pour tous ceux qui « produisent », pour leur motivation et leur compétence. La valeur des hommes et des femmes est vitale, d’autant plus que ce sont eux qui assurent la pérennité de l’entreprise. Les choix et les investissements sont à penser sur le long terme et la responsabilité des dirigeants est de préparer les hommes et les femmes à assurer ce futur. Les investissements financiers n’y suffisent pas. Pourtant, les discours qui s’y réduisent semblent de plus en plus admis, détériorant le climat social, le degré de confiance et d’adhésion, entraînant une politique de retrait du personnel au sein de l’entreprise. Tout au long de ma carrière, dans toutes les catégories socio-professionnelles, j’ai entendu de la part de la très grande majorité du personnel exprimer d’abord un besoin de respect, de reconnaissance de son travail et de ses compétences.

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