Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Au moment où les Européens cherchaient à tracer les orientations d’une route commune en rédigeant une charte des droits fondamentaux, des mots se sont heurtés : héritage religieux, patrimoine spirituel. La lutte autour de ces mots pourrait renvoyer, une fois encore, au passé plus qu’à l’avenir. Ce serait sans doute fausser la question qui nous est adressée : comment croyants et non-croyants faisons nous route commune dans nos sociétés ?
A la génération qui nous a précédés, les tâches de la cité – la reconstruction économique, les rapprochements économiques – se sont imposées dans leur impérieuse nécessité. Au cœur des camps, comme dans le combat de la résistance, chrétiens et non-chrétiens se sont rencontrés dans l’inhumanité. Le refus s’est révélé plus fort que les liens de l’héritage. Comme le rappelle René Rémond, une génération de chrétiens s’est ainsi construite dans la désobéissance à l’égard d’un épiscopat plus qu’hésitant, dans la fidélité à l’Evangile et dans l’urgence d’un ouvrage à accomplir. Structurée par l’expérience collective des mouvements, mais ayant aussi éprouvé une fraternité forte par-delà les clivages religieux et sociaux, elle mit en œuvre un processus de transformation et de réformes dont on connaît l’ampleur.
Aujourd’hui, dans une Europe où les lignes de fracture de nos sociétés ne correspondent pas aux frontières, pour beaucoup de nos contemporains, l’engagement sur cette route commune apparaît comme un choix personnel. Certes, nous savons la fragilité du tissu collectif, des liens sociaux et familiaux toujours à renouer, la fracture entre les quartiers de la périphérie et ceux des centres villes, la mobilité active des uns et la stabilité contrainte des autres. Mais nous savons aussi combien l’implication personnelle que représente l’option de soutenir une association de chômeurs, une maison de quartier, une banque alimentaire, un groupe d’alphabétisation, de participer à un mouvement pour peser sur les choix de société, d’entrer dans un conseil municipal, ou toute autre initiative qui contribue à faire vivre une solidarité. Plus que du temps, cette option demande que l’on accepte de se risquer.
Chacun de ces lieux devient le terrain d’une laïcité renouvelée. Les uns et les autres apprennent à se connaître, à trouver surtout les modes d’une compréhension et d’un respect. Ils s’éprouvent ensemble dans la recherche d’une plus grande humanité. Connaissant la vulnérabilité de cet engagement, ils en mesurent la fidélité, la durée, la constance. Les mots fréquents de « prochain », « d’accueil de l’étranger », ou toute autre expression qui dit la disponibilité, sont mesurés à l’aune des gestes et des paroles dites. C’est là leur plus grande vérité.
Dans les débats qui impliquent l’avenir de nos pays, espérons qu’au-delà de revendications quasi patrimoniales, nous sachions attester la force de ce creuset de l’engagement social et politique. Des croyants et des laïcs s’y sont retrouvés. Les dynamiques de solidarité ou d’intégration représentent le véritable défi de cette nouvelle phase de la construction européenne. Ne nous trompons pas d’enjeu !